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Les compagnons de Jéhu. Dumas Alexandre
Читать онлайн.Название Les compagnons de Jéhu
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Dumas Alexandre
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Un geste de menace acheva sa phrase.
Valence partit.
Le 10 octobre 1785, Bonaparte recevait lui-même son brevet de sous-lieutenant: il faisait partie des cinquante-huit brevets que Louis XVI venait de signer pour lécole militaire.
Onze ans plus tard, le 15 novembre 1796, Bonaparte, général en chef de l'armée d'Italie, à la tête du pont d'Arcole, que défendaient deux régiments de Croates et deux pièces de canon, voyant la mitraille et la fusillade décimer ses rangs, sentant la victoire plier entre ses mains, s'effrayant de l'hésitation des plus braves, arrachait aux doigts crispés d'un mort un drapeau tricolore et s'élançait sur le pont en s'écriant: «Soldats! n'êtes-vous plus les hommes de Lodi?» lorsqu'il s'aperçut qu'il était dépassé par un jeune lieutenant qui le couvrait de son corps.
Ce n'était point ce que voulait Bonaparte; il voulait passer le premier; il eût voulu, si la chose eût été possible, passer seul.
Il saisit le jeune homme par le pan de son habit, et, le tirant en arrière:
– Citoyen, dit-il, tu nes que lieutenant, je suis général en chef; à moi le pas.
– Cest trop juste, répondit celui-ci.
Et il suivit Bonaparte, au lieu de le précéder.
Le soir, en apprenant que deux divisions autrichiennes avaient été complètement détruites, en voyant les deux mille prisonniers quil avait faits, en comptant les canons et les drapeaux enlevés, Bonaparte se souvint de ce jeune lieutenant quil avait trouvé devant lui au moment où il croyait navoir devant lui que la mort.
– Berthier, dit-il, donne lordre à mon aide de camp Valence de me chercher un jeune lieutenant de grenadiers avec lequel jai eu une affaire ce matin sur le pont dArcole.
– Général, répondit Berthier en balbutiant, Valence est blessé.
– En effet, je ne lai pas vu aujourdhui. Blessé, où? comment? sur le champ de bataille?
– Non général; il a pris hier une querelle et a reçu un coup dépée à travers la poitrine.
Bonaparte fronce le sourcil:
– On sait cependant autour de moi que je naime pas les duels; le sang dun soldat nest pas à lui, il est à la France. Donne lordre à Muiron, alors.
– Il est tué, général.
– À Elliot, en ce cas.
– Tué aussi.
Bonaparte tira un mouchoir de sa poche et le passa sur son front inondé de sueur.
– À qui vous voudrez, alors; mais je veux voir ce lieutenant.
Il n'osait plus nommer personne, de peur d'entendre encore retentir cette fatale parole: «Il est tué.»
Un quart d'heure après, le jeune lieutenant était introduit sous sa tente.
La lampe ne jetait qu'une faible lueur.
– Approchez, lieutenant, dit Bonaparte.
Le jeune homme fit trois pas et entra dans le cercle de lumière.
– C'est donc vous, continua Bonaparte, qui vouliez ce matin passer avant moi?
– C'était un pari que j'avais fait, général, répondit gaiement le jeune lieutenant, dont la voix fit tressaillir le général en chef.
– Et je vous lai fait perdre?
– Peut-être oui, peut-être non.
– Et quel était ce pari?
– Que je serais nommé aujourd'hui capitaine.
– Vous avez gagné.
– Merci, général.
Et le jeune homme sélança comme pour serrer la main de Bonaparte; mais presque aussitôt il fit un mouvement en arrière.
La lumière avait éclairé son visage pendant une seconde; cette seconde avait suffi au général en chef pour remarquer le visage comme il avait remarqué la voix.
Ni l'un ni lautre ne lui étaient inconnus.
Il chercha un instant dans sa mémoire; mais, trouvant sa mémoire rebelle:
– Je vous connais, dit-il.
– C'est possible, général.
– C'est certain même; seulement je ne puis me rappeler votre nom.
– Vous vous êtes arrangé, général, de manière qu'on n'oublie pas le vôtre.
– Qui êtes-vous?
– Demandez à Valence, général.
Bonaparte poussa un cri de joie.
– Louis de Montrevel, dit-il.
Et il ouvrit ses deux bras.
Cette fois, le jeune lieutenant ne fit point difficulté de s'y jeter.
– C'est bien, dit Bonaparte, tu feras huit jours le service de ton nouveau grade, afin qu'on s'habitue à te voir sur le dos les épaulettes de capitaine, et puis tu remplaceras mon pauvre Muiron comme aide de, camp. Va!
– Encore une fois, dit le jeune homme en faisant le geste d'un homme qui ouvre les bras.
– Ah! ma foi! oui, dit Bonaparte avec joie.
Et, le retenant contre lui après l'avoir embrassé une seconde fois:
– Ah çà! c'est donc toi qui as donné un coup d'épée à Valence? lui demanda-t-il. – Dame! général, répondit le nouveau capitaine et le futur aide de camp, vous étiez là quand je le lui ai promis: un soldat n'a que sa parole.
Huit jours après, le capitaine Montrevel faisait le service d'officier d'ordonnance près du général en chef qui avait remplacé son prénom de Louis, malsonnant à cette époque, par le pseudonyme de Roland.
Et le jeune homme s'était consolé de ne plus descendre de saint
Louis en devenant le neveu de Charlemagne.
Roland – nul ne se serait avisé d'appeler le capitaine Montrevel
Louis, du moment où Bonaparte lavait baptisé Roland – Roland fit avec le général en chef la campagne d'Italie, et revint avec lui à
Paris, après la paix de Campo-Formio.
Lorsque lexpédition d'Égypte fut décidée, Roland, que la mort du général de brigade de Montrevel, tué sur le Rhin tandis que son fils combattait sur l'Adige et le Mincio, avait rappelé près de sa mère, Roland fut désigné un des premiers par le général en chef pour prendre rang dans l'inutile mais poétique croisade qu'il entreprenait.
Il laissa sa mère, sa soeur Amélie et son jeune frère Édouard à Bourg, ville natale du général de Montrevel; ils habitaient à trois quarts de lieue de la ville, c'est-à-dire aux Noires- Fontaines, une charmante maison à laquelle on donnait le nom de château, et qui, avec une ferme et quelques centaines d'arpents de terre situés aux environs, formait toute la fortune du général, six ou huit mille livres de rente à peu près.
Ce fut une grande douleur au coeur de la pauvre veuve que le départ de Roland pour cette aventureuse expédition; la mort du père semblait présager celle du fils, et madame de Montrevel, douce et tendre créole, était loin d'avoir les âpres vertus d'une mère de Sparte ou de Lacédémone.
Bonaparte, qui aimait de tout son coeur son ancien camarade de l'École militaire, avait permis à celui-ci de le rejoindre au dernier moment à Toulon.
Mais la peur d'arriver trop tard empêcha Roland de profiter de la permission dans toute son étendue. Il quitta sa mère en lui promettant une chose qu'il n'avait garde de tenir: c'était de ne s'exposer que dans les cas d'une absolue nécessité, et arriva à Marseille huit jours avant que la flotte ne mît à la voile.
Notre intention n'est