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se laissa aller sur les dalles avec un gémissement.

      – Oh! messieurs, dit le roi, que faites-vous donc?

      On se précipita. On releva doucement monsieur de Charny qui avait complètement perdu connaissance, et on l'étendit sur un fauteuil.

      – Oh! mais, s'écria le roi tout à coup en reconnaissant le jeune officier, c'est monsieur de Charny!

      – Monsieur de Charny? s'écrièrent les assistants.

      – Oui, le neveu de monsieur de Suffren.

      Ces mots firent un effet magique. Charny fut en un moment inondé d'eaux de senteurs ni plus ni moins que s'il se fût trouvé au milieu de dix femmes. Un médecin avait été mandé, il examina vivement le malade.

      Le roi, curieux de toute science et compatissant à tous les maux, ne voulut pas s'éloigner; il assistait à la consultation.

      Le premier soin du médecin fut d'écarter la veste et la chemise du jeune homme, afin que l'air touchât sa poitrine; mais, en accomplissant cet acte, il trouva ce qu'il ne cherchait point.

      – Une blessure! dit le roi redoublant d'intérêt et s'approchant de manière à voir de ses propres yeux.

      – Oui, oui, murmura monsieur de Charny en essayant de se soulever, et en promenant autour de lui des yeux affaiblis, une blessure ancienne qui s'est rouverte. Ce n'est rien… rien…

      Et sa main serrait imperceptiblement les doigts du médecin.

      Un médecin comprend et doit comprendre tout. Celui-là n'était pas un médecin de cour, mais un chirurgien des communs de Versailles. Il voulut se donner de l'importance.

      – Oh! ancienne… cela vous plaît à dire, monsieur; les lèvres sont trop fraîches, le sang est trop vermeil: cette blessure n'a pas vingt-quatre heures.

      Charny, à qui cette contradiction rendit ses forces, se remit sur ses pieds et dit:

      – Je ne suppose pas que vous m'appreniez à quel moment j'ai reçu ma blessure, monsieur; je vous dis et je vous répète qu'elle est ancienne.

      Alors, en ce moment, il aperçut et reconnut le roi. Il boutonna sa veste, comme honteux d'avoir eu un aussi illustre spectateur de sa faiblesse.

      – Le roi, dit-il.

      – Oui, monsieur de Charny, oui, moi-même, qui bénis le ciel d'être venu ici pour vous apporter un peu de soulagement.

      – Une égratignure, sire, balbutia Charny; une ancienne blessure, sire, voilà tout.

      – Ancienne ou nouvelle, dit Louis XVI, la blessure m'a fait voir votre sang, sang précieux d'un brave gentilhomme.

      – À qui deux heures dans son lit rendront la santé, ajouta Charny, et il voulut se lever encore; mais il avait compté sans ses forces. Le cerveau embarrassé, les jambes vacillantes, il ne se souleva que pour retomber aussitôt dans le fauteuil.

      – Allons, dit le roi, il est bien malade.

      – Oh! oui, fit le médecin d'un air fin et diplomate, qui sentait sa pétition d'avancement; mais cependant on peut le sauver.

      Le roi était honnête homme; il avait deviné que Charny cachait quelque chose. Ce secret lui était sacré. Tout autre l'eût été cueillir aux lèvres du médecin qui l'offrait si obligeamment; mais Louis XVI préféra laisser le secret à son propriétaire.

      – Je ne veux pas, dit-il, que monsieur de Charny coure aucun risque en retournant chez lui. On soignera monsieur de Charny à Versailles; on appellera vite son oncle, monsieur de Suffren, et quand on aura remercié monsieur de ses soins, et il désignait l'officieux médecin, on ira chercher le chirurgien de ma maison, le docteur Louis. Il est, je crois, de quartier.

      Un officier courut exécuter les ordres du roi. Deux autres s'emparèrent de Charny et le transportèrent au bout de la galerie, dans la chambre de l'officier des gardes.

      Cette scène se passa plus vite que celle de la reine et de monsieur de Crosne.

      Monsieur de Suffren fut mandé, le docteur Louis appelé en remplacement du surnuméraire.

      Nous connaissons cet honnête homme, sage et modeste, intelligence moins brillante qu'utile, courageux laboureur de ce champ immense de la science, où celui-là est plus honoré qui récolte le grain, où celui-là n'est pas moins honorable qui ouvre le sillon.

      Derrière le chirurgien, penché déjà sur son client, s'empressait le bailli de Suffren, à qui une estafette venait d'apporter la nouvelle.

      L'illustre marin ne comprenait rien à cette syncope, à ce malaise subit.

      Lorsqu'il eut pris la main de Charny et regardé ses yeux ternes:

      – Étrange! dit-il, étrange! Savez-vous, docteur, que jamais mon neveu n'a été malade.

      – Cela ne prouve rien, monsieur le bailli, dit le docteur.

      – L'air de Versailles est donc bien lourd, car, je vous le répète, j'ai vu Olivier en mer pendant dix ans, et toujours vigoureux, droit comme un mât.

      – C'est sa blessure, dit un des officiers présents.

      – Comment sa blessure! s'écria l'amiral; Olivier n'a jamais été blessé de sa vie.

      – Oh! pardon, répliqua l'officier en montrant la batiste rougie; mais je croyais…

      Monsieur de Suffren vit du sang.

      – C'est bon, c'est bon, fit avec une brusquerie familière le docteur, qui venait de sentir le pouls de son malade, n'allons-nous pas discuter l'origine du mal? Nous avons le mal, contentons-nous-en, et guérissons-le si c'est possible.

      Le bailli aimait les propos sans réplique; il n'avait pas accoutumé les chirurgiens de ses équipages à ouater leurs paroles.

      – Est-ce bien dangereux, docteur? demanda-t-il avec plus d'émotion qu'il n'en voulait montrer.

      – À peu près comme une coupure de rasoir au menton.

      – Bien. Remerciez le roi, messieurs. Olivier, je te reviendrai voir.

      Olivier remua les yeux et les doigts, comme pour remercier à la fois son oncle qui le quittait, et le docteur qui lui faisait lâcher prise.

      Puis, heureux d'être dans un lit, heureux de se voir abandonné à un homme plein d'intelligence et de douceur, il feignit de s'endormir.

      Le docteur renvoya tout le monde.

      Le fait est qu'Olivier s'endormit, non sans avoir remercié le ciel de tout ce qui lui était arrivé, ou plutôt de ce qui ne lui était pas advenu de mal en des circonstances si graves.

      La fièvre s'était emparée de lui, cette fièvre régénératrice merveilleuse de l'humanité, sève éternelle qui fleurit dans le sang de l'homme, et servant les desseins de Dieu, c'est-à-dire de l'humanité, fait germer la santé dans le malade, ou emporte le vivant au milieu de la santé.

      Quand Olivier eut bien ruminé, avec cette ardeur des fiévreux, sa scène avec Philippe, sa scène avec la reine, sa scène avec le roi, il tomba dans un cercle terrible que le sang furieux vient jeter comme un filet sur l'intelligence… Il délira.

      Trois heures après, on eût pu l'entendre de la galerie où se promenaient quelques gardes; ce que remarquant le docteur, il appela son laquais et lui commanda de prendre Olivier dans ses bras. Olivier poussa quelques cris plaintifs.

      – Roule-lui la couverture sur la tête.

      – Et qu'en ferai-je? dit le valet. Il est trop lourd et se défend trop. Je vais demander assistance à l'un de messieurs les gardes.

      – Vous êtes une poule mouillée, si vous avez peur d'un malade, dit le vieux docteur.

      – Monsieur…

      – Et si vous le trouvez trop lourd, c'est que vous n'êtes pas fort comme je l'avais cru. Je vous renverrai donc en Auvergne.

      La menace fit son effet. Charny, criant, hurlant, délirant

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