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de ma main, c'est assez. Vous allez avoir vos cinq cent mille livres.

      Cagliostro s'inclina.

      – Je sais bien, continua le cardinal dévoré par la douleur de perdre en une minute tant d'argent, péniblement amassé, je sais, monsieur, que ce papier n'est qu'une reconnaissance de la dette, et ne fixe pas d'échéance au paiement.

      – Votre Éminence veut-elle m'excuser, répliqua le comte; mais je m'en rapporte à la lettre de ce reçu, et j'y vois écrit:

      «Je reconnais avoir reçu de monsieur Joseph Balsamo la somme de 500 000 livres, que je lui paierai sur sa première demande.

«Signé, Louis DE ROHAN»

      Le cardinal frissonna de tous ses membres; il avait oublié non seulement la dette, mais encore les termes dans lesquels elle était reconnue.

      – Vous voyez, monseigneur, continua Balsamo, que je ne demande pas l'impossible, moi. Vous ne pouvez pas soit. Seulement, je regrette que Votre éminence paraisse oublier que la somme a été donnée par Joseph Balsamo spontanément, dans une heure suprême; et cela à qui, à monsieur de Rohan, qu'il ne connaissait pas. Voilà, ce me semble, un de ces procédés de grand seigneur que monsieur de Rohan, si grand seigneur de toute manière, eût pu imiter pour la restitution. Mais vous avez jugé que cela ne devait point se faire ainsi, n'en parlons plus; je reprends mon billet. Adieu, monseigneur.

      Et Cagliostro ploya froidement le papier et s'apprêta à le remettre dans sa poche.

      Le cardinal l'arrêta.

      – Monsieur le comte, dit-il, un Rohan ne souffre pas que personne au monde lui donne des leçons de générosité. D'ailleurs, ici, ce serait tout simplement une leçon de probité. Donnez – moi ce billet, monsieur, je vous prie, afin que je le paie.

      Ce fut Cagliostro alors qui, à son tour, parut hésiter.

      En effet, le visage pâle, les yeux gonflés, la main vacillante du cardinal semblaient émouvoir en lui une compassion très vive.

      Le cardinal, tout fier qu'il fût, comprit cette bonne pensée de Cagliostro. Un moment il espéra qu'elle serait suivie d'un bon résultat.

      Mais soudain l'œil du comte s'endurcit, un nuage courut entre ses sourcils froncés, et il tendit la main et le billet au cardinal.

      Monsieur de Rohan, frappé au cœur, ne perdit pas un instant; il se dirigea vers l'armoire qu'avait signalée Cagliostro, et en tira une liasse de billets sur la caisse des eaux et forêts; puis il indiqua du doigt plusieurs sacs d'argent, et tira un tiroir plein d'or.

      – Monsieur le comte, dit-il, voici vos cinq cent mille livres; seulement, je vous dois encore à cette heure deux cent cinquante autres mille livres pour les intérêts, en admettant que vous refusiez l'intérêt composé, qui ferait une somme plus considérable encore. Je vais faire faire les comptes par mon intendant, et vous donner des sûretés pour ce paiement en vous priant de vouloir bien m'accorder du temps.

      – Monseigneur, répondit Cagliostro, j'ai prêté cinq cent mille livres à monsieur de Rohan. Monsieur de Rohan me doit cinq cent mille livres, et pas autre chose. Si j'eusse désiré toucher des intérêts, je les eusse stipulés dans le reçu. Mandataire ou héritier de Joseph Balsamo, comme il vous plaira, car Joseph Balsamo est bien mort, je ne dois accepter que les sommes énoncées dans la reconnaissance; vous me les payez, je les reçois et vous remercie, en vous priant d'accepter mes respectueuses révérences. Je prends donc les billets, monseigneur, et comme j'ai instamment besoin de la somme tout entière dans la journée, j'enverrai prendre l'or et l'argent que je vous prie de me tenir prêts.

      Et sur ces mots, auxquels le cardinal ne trouvait rien à répondre, Cagliostro mit la liasse de billets dans sa poche, salua respectueusement le prince, aux mains duquel il laissa le billet, et sortit.

      – Le malheur n'est que pour moi, soupira monsieur de Rohan, après le départ de Cagliostro, puisque la reine est en mesure de payer, et qu'à elle, au moins, un Joseph Balsamo inattendu ne viendra pas réclamer un arriéré de cinq cent mille livres.

      Chapitre LIX

      Comptes de ménage

      C'était l'avant-veille du premier paiement indiqué par la reine. Monsieur de Calonne n'avait pas encore tenu ses promesses. Ses comptes n'étaient point signés du roi.

      C'est que le ministre avait eu beaucoup de choses à faire. Il avait un peu oublié la reine. Elle, de son côté, ne pensait pas qu'il fût de sa dignité de rafraîchir la mémoire au contrôleur des finances. Ayant reçu sa promesse, elle attendait.

      Cependant, elle commençait à s'inquiéter et à s'informer, à chercher les moyens de parler à monsieur de Calonne sans compromettre la reine, quand un billet lui vint du ministre.

      «Ce soir, disait-il, l'affaire dont Votre Majesté m'a fait l'honneur de me charger sera signée au Conseil, et les fonds seront chez la reine demain matin.»

      Toute sa gaieté revint aux lèvres de Marie-Antoinette. Elle ne songea plus à rien, pas même à ce lendemain si lourd.

      On la vit même chercher dans ses promenades les plus secrètes allées, comme pour isoler ses pensées de tout contact matériel et mondain.

      Elle se promenait encore avec madame de Lamballe et le comte d'Artois qui l'avaient rejointe quand le roi entra au Conseil après son dîner.

      Le roi était d'une humeur difficile. Les nouvelles de Russie se présentaient mauvaises. Un vaisseau s'était perdu dans le golfe de Lion. Quelques provinces refusaient l'impôt. Une belle mappemonde, polie et vernie par le roi lui-même, avait éclaté de chaleur, et l'Europe se trouvait coupée en deux parties, à la jonction du 30e degré de latitude avec le 55e de longitude. Sa Majesté boudait tout le monde, même monsieur de Calonne.

      En vain, celui-ci offrit-il son beau portefeuille parfumé avec sa mine riante. Le roi se mit, silencieux et morose, à griffonner sur un morceau de papier blanc des hachures qui signifiaient: tempête – comme les bonshommes et les chevaux signifiaient: beau temps.

      Car la manie du roi était de dessiner pendant les conseils. Louis XVI n'aimait pas à regarder les gens en face, il était timide; une plume à sa main lui donnait assurance et maintien. Pendant qu'il s'occupait ainsi, l'orateur pouvait développer ses arguments; le roi, levant un œil furtif, prenait çà et là un peu du feu de ses regards, tout juste autant qu'il en fallait pour ne pas oublier l'homme en jugeant l'idée.

      Parlait-il lui-même, et il parlait bien, son dessin ôtait tout air de prétention à son discours, il n'avait plus de geste à faire; il pouvait s'interrompre ou s'échauffer à loisir, le trait sur le papier remplaçait au besoin les ornements de la parole.

      Le roi prit donc la plume, selon son habitude, et les ministres commencèrent la lecture des projets ou des notes diplomatiques.

      Le roi ne souffla pas le mot, il laissa passer la correspondance étrangère, comme s'il ne comprenait pas une parole à ce genre de travail.

      Mais on en vint au détail des comptes du mois; il leva la tête.

      Monsieur de Calonne venait d'ouvrir un mémoire relatif à l'emprunt projeté pour l'année suivante.

      Le roi se mit à faire des hachures avec fureur.

      – Toujours emprunter, dit-il, sans savoir comment on rendra; c'est pourtant un problème cela, monsieur de Calonne.

      – Sire, un emprunt, c'est la saignée faite à une source, l'eau disparaît d'ici pour abonder là. Il y a plus, elle se voit doublée par les aspirations souterraines. Et d'abord, au lieu de dire comment paierons-nous, il faudrait dire: comment et sur quoi emprunterons-nous? car le problème dont parlait Votre Majesté n'est pas: avec quoi rendra-t-on? mais bien: trouvera – t-on des créanciers?

      Le roi poussa les hachures jusqu'au noir le plus opaque; mais il n'ajouta pas un mot: ses traits parlaient d'eux-mêmes.

      Monsieur de Calonne ayant exposé son plan, avec l'approbation de ses collègues, le roi prit le projet et le signa, bien qu'en soupirant.

      – Maintenant

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