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les domestiques, la bibliothèque, c'est-à-dire ces amis qui ne changent jamais, les livres.

      Le curé dit à haute voix les prières auxquelles Nodier répondit aussi à haute voix, en homme familier avec la liturgie chrétienne. Puis, les prières finies, il embrassa tout le monde, rassura chacun sur son état, affirma qu'il se sentait encore de la vie pour un jour ou deux, surtout si on le laissait dormir pendant quelques heures.

      On laissa Nodier seul, et il dormit cinq heures.

      Le 26 janvier au soir, c'est-à-dire la veille de sa mort, la fièvre augmenta et produisit un peu de délire; vers minuit, il ne reconnaissait personne, sa bouche prononça des paroles sans suite, dans lesquelles on distingua les noms de Tacite et de Fénelon.

      Vers deux heures, la mort commençait de frapper à la porte: Nodier fut secoué par une crise violente, sa fille était penchée sur son chevet et lui tendait une tasse pleine d'une potion calmante; il ouvrit les yeux, regarda Marie et la reconnut à ses larmes; alors il prit la tasse de ses mains et but avec avidité le breuvage qu'elle contenait.

      – Tu as trouvé cela bon? demanda Marie.

      – Oh oui! mon enfant, comme tout ce qui vient de toi.

      Et la pauvre Marie laissa tomber sa tête sur le chevet du lit, couvrant de ses cheveux le front humide du mourant.

      – Oh! si tu restais ainsi, murmura Nodier, je ne mourrais jamais[1]. La mort frappait toujours.

      [Note 1: Francis Wey a publié, sur les derniers moments de Nodier, une notice pleine d'intérêt, mais écrite pour les amis, et tirée à vingt-cinq exemplaires seulement.]

      Les extrémités commençaient à se refroidir; mais, au fur et à mesure que la vie remontait, elle se concentrait au cerveau et faisait à Nodier un esprit plus lucide qu'il ne l'avait jamais eu.

      Alors il bénit sa femme et ses enfants, puis il demanda le quantième du mois.

      – Le 27 janvier, dit madame Nodier.

      – Vous n'oublierez pas cette date, n'est-ce pas, mes amis? dit Nodier. Puis, se tournant vers la fenêtre:

      – Je voudrais bien voir encore une fois le jour, fit-il avec un soupir. Puis il s'assoupit. Puis son souffle devint intermittent.

      Puis enfin, au moment où le premier rayon du jour frappa les vitres il rouvrit les yeux, fit du regard un signe d'adieu et expira.

      Avec Nodier tout mourut à l'Arsenal, joie, vie et lumière; ce fut un deuil qui nous prit tous; chacun perdait une portion de lui-même en perdant Nodier.

      Moi, pour mon compte, je ne sais comment dire cela, mais j'ai quelque chose de mort en moi depuis que Nodier est mort.

      Ce quelque chose ne vit que lorsque je parle de Nodier.

      Voilà pourquoi j'en parle si souvent.

      Maintenant, l'histoire qu'on a lue, c'est celle que Nodier m'a racontée.

      CHAPITRE II

      La famille d'Hoffmann

      Au nombre de ces ravissantes cités qui s'éparpillent au bord du Rhin, comme les grains d'un chapelet dont le fleuve serait le fil, il faut compter Mannheim, la seconde capitale du grand-duché de Bade, Mannheim, la seconde résidence du grand-duc.

      Aujourd'hui que les bateaux à vapeur qui montent et descendent le Rhin passent à Mannheim, aujourd'hui qu'un chemin de fer conduit à Mannheim, aujourd'hui que Mannheim, au milieu du pétillement de la fusillade, a secoué, les cheveux épars et la robe teinte de sang, l'étendard de la rébellion contre son grand-duc, je ne sais plus ce qu'est Mannheim; mais, à l'époque où commence cette histoire, c'est-à-dire il y a bientôt cinquante-six ans, je vais vous dire ce qu'elle était.

      C'était la ville allemande par excellence, calme et politique à la fois, un peu triste, ou plutôt un peu rêveuse: c'était la ville des romans d'Auguste Lafontaine et des poèmes de Goethe, d'Henriette Belmann et de Werther.

      En effet, il ne s'agit que de jeter un coup d'œil sur Mannheim pour juger à l'instant, en voyant ses maisons honnêtement alignées, sa division en quatre quartiers, ses rues larges et belles où pointe l'herbe, sa fontaine mythologique, sa promenade ombragée d'un double rang d'acacias qui la traverse d'un bout à l'autre; pour juger, dis-je, combien la vie serait douce et facile dans un semblable paradis, si parfois les passions amoureuses ou politiques n'y venaient mettre un pistolet à la main de Werther[2] ou un poignard à la main de Sand[3].

      [Note 2: Les souffrances du jeune Wether (1774) est un roman sous forme épistolaire, écrit par Goethe. Ce récit tragique évoque une passion amoureuse sans espoir qui accule le héros au suicide.]

      [Note 3: Karl Sand, criminel célèbre exécuté à Mannheim en 1820.]

      Il y a surtout une place qui a un caractère tout particulier, c'est celle où s'élèvent à la fois l'église et le théâtre.

      Église et théâtre ont dû être bâtis en même temps, probablement par le même architecte; probablement encore vers le milieu de l'autre siècle, quand les caprices d'une favorite influaient sur l'art à ce point que tout un côté de l'art prenait son nom, depuis l'église jusqu'à la petite maison, depuis la statue de bronze de dix coudées jusqu'à la figurine en porcelaine de Saxe.

      L'église et le théâtre de Mannheim sont donc dans le style Pompadour.

      L'église a deux niches extérieures: dans l'une de ces deux niches est une Minerve, et dans l'autre est une Hébé.

      La porte du théâtre est surmontée de deux sphinx. Ces deux sphinx représentent, l'un la Comédie, l'autre la Tragédie.

      Le premier de ces deux sphinx tient sous sa patte un masque, le second un poignard. Tous deux sont coiffés en racine droite avec un chignon poudré ce qui ajoute merveilleusement à leur caractère égyptien.

      Au reste, toute la place, maisons contournées, arbres frisés, murailles festonnées, est dans le même caractère, et forme un ensemble des plus réjouissants.

      Eh bien! C'est dans une chambre située au premier étage d'une maison dont les fenêtres donnent de biais sur le portail de l'église des Jésuites, que nous allons conduire nos lecteurs, en leur faisant seulement observer que nous les rajeunissons de plus d'un demi-siècle, et que nous en sommes, comme millésime, à l'an de grâce ou de disgrâce 1793, et comme quantième au dimanche 10 du mois de mai. Tout est donc en train de fleurir: les algues au bord du fleuve, les marguerites dans la prairie, l'aubépine dans les haies, la rose dans les jardins, l'amour dans les cœurs.

      Maintenant ajoutons ceci: c'est qu'un des cœurs qui battaient le plus violemment dans la ville de Mannheim et dans les environs était celui du jeune homme qui habitait cette petite chambre dont nous venons de parler, et dont les fenêtres donnaient de biais sur le portail de l'église des Jésuites.

      Chambre et jeune homme méritent chacun une description particulière.

      La chambre, à coup sûr, était celle d'un esprit capricieux et pittoresque tout ensemble, car elle avait à la fois l'aspect d'un atelier, d'un magasin de musique et d'un cabinet de travail.

      Il y avait une palette, des pinceaux et un chevalet, et sur ce chevalet une esquisse commencée.

      Il y avait une guitare, une viole d'amour et un piano, et sur ce piano une sonate ouverte.

      Il y avait une plume, de l'encre et du papier, et sur ce papier un commencement de ballade griffonné.

      Puis, le long des murailles, des arcs, des flèches, des arbalètes du quinzième, des instruments de musique du dix-septième, des bahuts de tous les temps, des pots à boire de toutes les formes, des aiguières de toutes les espèces, enfin des colliers de verre, des éventails de plumes, des lézards empaillés, des fleurs sèches, tout un monde enfin; mais tout un monde ne valant pas vingt cinq thalers de bon argent.

      Celui qui habitait cette chambre était-il un peintre, un musicien ou un poète? Nous l'ignorons.

      Mais, à coup sûr, c'était un fumeur; car, au milieu de toutes ces collections, la collection la plus

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