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On a fait un préfet de l'un. L'autre, un adorable et séduisant garçon s'il en fut, élève des bestiaux maintenant, je ne sais où. Enfin chacun poursuivait son ambition, sa chimère, son intérêt; laissant derrière eux, et presque sans regret, les ingrats! le nid chaud, parfumé et joyeux de leurs vraies, de leurs heureuses, de leurs indépendantes amours!.. Et moi, que m'est-il resté de tout cela? Un cœur usé, vieilli par ces abandons et ces désenchantements successifs; l'impuissance d'aimer; une vie incertaine, jetée au hasard de la faim et de la maladie! Rien dans mon existence, plus rien dans mon cœur: voilà le résultat des plus belles et plus heureuses amours qu'il ait été possible d'avoir en ce monde. Si cet exemple vous sert, tant mieux! Mais j'en doute. Si vous suiviez un bon conseil, vous quitteriez votre Paris, votre Prosper, et prendriez un engagement pour la province. Vous vous y formeriez à la scène. Vos études seraient bonnes, parce qu'elles pourraient être suivies. Au bout de deux ou trois ans, vous auriez peut-être du talent, et à coup sûr une routine aisée, suffisante. Vous retourneriez à Paris dans de bonnes conditions, et votre existence matérielle serait au moins assurée.

      Mathilde.

      Dijon, septembre 1847.

      Chère bien-aimée, avez-vous cru que je vous abandonnais? Non, n'est-ce pas? Notre liaison n'est pas une de ces liaisons ordinaires qu'un silence fait défiantes. Vous me connaissez assez pour ne pas entrer en doute sur mon compte pour une paresse de plume. C'est sur l'intelligence de votre cœur que je compte pour ne pas me condamner sur les apparences, et pour croire que, malgré mon silence inqualifiable, je vous aime toujours, et que vous êtes toujours tout près de toutes mes pensées. Trop de charmants souvenirs lient mon souvenir au vôtre pour que je puisse oublier.

      Si donc aucun message de moi n'a volé vers vous, accusez-en, chère petite, ces mille accablements de l'esprit découragé, ces riens qui se définissent difficilement, qui vous taquinent la pensée et la vie, ces ennuis de toute sorte qui, malgré leur vulgarité et leur insuffisance, ramènent à eux des facultés portées vers un point plus élevé et plus sympathique, en les isolant forcément de leur centre choisi. D'abord j'ai été accablée de répétitions et de lectures. Puis j'ai eu, non un amour, mais une liaison très-mouvementée, – comme disent MM. les romantiques: un père prudent, qui s'est jeté entre son fils éperdu et fou de passion, dont l'âme et la vie étaient fatalement livrées à cette sirène dangereuse que je suis, disent MM. les Dijonnais, et qui l'a arraché aux séductions bien émoussées, hélas! de votre désenchantée Mathilde. Cet incident m'a pris du temps et quelques préoccupations. Ce jeune homme, le seul qui vaille la peine qu'on s'occupe un peu de lui dans tout le département, a été malade de chagrin; mais il a engagé à sa famille sa parole d'honneur que tout était à jamais fini entre nous; et malgré tout, il tient sa parole! C'est beau!.. mais j'enrage! Le malheureux est chaque soir au théâtre. Si je suis en scène, il me mange des yeux; quand je suis dans ma loge, il rôde autour comme autour d'une chandelle un papillon. Les jeunes gens de Dijon, une sotte et cancanière engeance! sont vivement émus, et suivent avec une fièvre de curiosité les phases de ce petit roman provincial; il y a des paris d'engagés. Au milieu de cette effervescence, je suis d'un calme splendide, en apparence; car au fond je suis animée d'une colère assez colorée envers le père; et j'ai pour le fils un âpre regret, fruit de l'amour-propre et de l'entêtement. Avouez qu'il est difficile de se disséquer avec une meilleure grâce.

      Et vous, cher ange, que devenez-vous? Comment menez-vous ces bienheureux drôles qui ont le droit de vous aimer et l'adresse de vous le prouver? Quelle génération éclopée et infime! Ces petits jeunes gens-là ont l'air de sortir de nourrice. Quel rien, et quelle fatuité! Ils sont poussifs comme des danseuses, et bêtes comme des écuyers. Ils n'ont que deux talents: celui de s'essuyer les lèvres, comme s'ils venaient de boire du madère, celui de marcher comme s'ils venaient de monter à cheval. Ah! les amusants petits bonshommes, avec leurs vices à bon marché, leurs ostentations, leur manque d'esprit, leur manque d'argent, apitoyant tout le monde, – et nous-mêmes, – des efforts qu'ils se donnent à paraître riches; commanditant à plusieurs les caprices d'une femme; subsistant de petites caresses et de grosses lâchetés! Amoureux de papier mâché, gris d'un doigt de vin, sur les dents d'une nuit blanche, fatigués, usés, blasés, finis! Ils se mettent à trois pour parier un louis sur un cheval qui appartient à un de leurs amis; ils fument leur cigare à la portière quand ils sont en coupé de louage, et on les rencontre au bal masqué avec leur papa!

      Au revoir, ma belle mignonne. Je baise vos beaux yeux qui, je l'espère, ne m'envoient pas de grands vilains regards de courroux. Ah! si j'étais là-bas, je ne m'inquiéterais guère; mais de si loin, on a si peu de moyens de conviction!

      Au revoir et mille baisers.

      Mathilde.

      Marseille, décembre 1847.

      Vous ririez bien de me voir vous écrire, ma chère Louise, sur un coin de toilette, tout encombrée de pommades et de peignes à bandeaux. Je vous écris de ma loge pendant un acte où je ne parais pas; mon encrier est tout près de mon rouge végétal; j'ai pour tabouret un carton à chapeau. Mon habilleuse dort ou à peu près. J'ai encore une demi-heure avant d'entendre la sonnette au foyer. Causons.

      Dimanche prochain, le public de Marseille va être appelé à décider du renvoi ou de l'admission des artistes. La soirée sera, dit-on, des plus orageuses. – Comme dans beaucoup de villes de province soucieuses de ressembler à Paris, se montrer fantasque et irraisonnable est une preuve de haut goût et d'exigences motivées. Puis les jeunes gens et les officiers, toujours peu alliés, jugent la femme bien plus que l'actrice, et profitent souvent du tumulte et des discussions théâtrales pour vider des querelles de rivalité ou d'amour. Quant à moi, j'ai ici une réputation d'esprit qui me nuit auprès des négociants, seuls individus qui par leur position financière soient acceptables. Je suis pour eux un charme dangereux, une attraction malfaisante, un feu follet séduisant, mais qu'il faut bien se garder de suivre, car il vous entraînerait sur des routes pleines d'abîmes. Le soir, sur le quai, tous ces honnêtes richards du négoce, qui guettent leurs arrivages de coton et d'indigo, se pressent autour de moi, me regardent et m'écoutent; les plus osés me suivent jusqu'à ma porte, mais ils s'arrêtent à l'antre de la louve! – J'ai à la tête de mon parti un officier de marine dont vous seriez amoureuse, j'en suis sûre: un bon et brave garçon, gai et crâne, ami de mes amis, qui m'aime comme un niais, c'est-à-dire sérieusement et qui va se faire quelque affaire fâcheuse dimanche, j'en ai peur. Déjà hier, j'avais deux rôles pour ma soirée, et on avait dit dans la ville que quelques jeunes gens devaient commencer les hostilités contre les artistes. Mon officier s'en va, en grande tenue, l'épée au côté, se planter au milieu du parquet, deux de ses amis un peu plus loin pour le soutenir. Là, avant le lever du rideau, il fait grand tapage, et jure par tous les saints du paradis que le premier qui sifflera la perle du théâtre, madame Mathilde, sera souffleté par lui. Aussi ai-je été bien accueillie à mon entrée en scène. Il est vrai que mes costumes m'ont été envoyés par Babin, et qu'hier précisément j'avais de très-belles toilettes. Enfin nous verrons la décision de dimanche. Mon cœur est toujours le même, rempli du souvenir d'Alphonse, inaccessible à tout amour nouveau! Je n'ai pas encore d'amant et n'en prendrai que par intérêt: c'est ignoble! mais c'est ainsi!

      Et vous, chère enfant, quelle nouvelle de bourse ou de cœur? Avez-vous trouvé un filon? Croyez-moi, presque tous les hommes n'ont bien réellement qu'une valeur d'utilité. Êtes-vous toujours aussi remplie d'Octave? Celui-là est au moins un loyal et excellent cœur; et il offre à l'amour des circonstances atténuantes.

      Envoyez-moi quelques notes de l'archet éblouissant de Musard. Cela me rappellera des jours de joyeuses folies, et d'ardentes fêtes, et de radieuses jouissances, jours que je ne regrette pas d'avoir vécu, que je ne regrette pas de ne plus vivre. – Mon entrée arrive.

      Adieu, aimez-moi.

      Mathilde.

      Marseille, décembre 1847.

      Je ne veux pas manquer à votre découragement, ma pauvre chère amie. Si vous étiez heureuse, gaie, je serais moins empressée. Mais vous êtes triste, accablée de soucis, je me dois donc à vous.

      Hélas! je comprends votre situation, je la sais d'expérience, dans chacune de

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