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de vous! J'en ai été toute surprise, et j'en suis toute réjouie. Votre lettre me rejoint à Dijon, où je compte passer l'hiver, attachée au théâtre, vous pensez bien. Il y a si longtemps que nous n'avons causé ensemble, et tant de fortunes diverses me sont arrivées depuis, que je pourrais facilement vous envoyer un in-octavo sur les impressions par moi éprouvées depuis huit mois. Qu'il vous suffise de savoir, pour le moment, que j'ai été heureuse à la Haye au delà de ce que je pourrais vous dire! que ce pays maussade, brumeux, sans soleil ni éclat, garde pourtant mes plus précieux souvenirs, mes plus chères ivresses; que je l'ai quitté désespérée, éperdue de chagrin, y laissant désormais tout l'amour et le vrai bonheur que je puis avoir en ce monde! Je vous expliquerai tout plus tard; j'ai voulu vous répondre immédiatement pour vous dire que je vous remercie d'avoir songé à moi, et que je suis aise de votre lettre et de vous avoir retrouvée.

      Je suis contente que vous ayez rompu avec Théodore: un vilain nom d'abord! et puis il doit aimer comme son ami Edouard, qui prend ses maîtresses à proximité du café où il déjeune. Gustave fait-il toujours des vers? Le brave garçon! il est ennuyeux comme un album. Embrassez-le de ma part. – Camille est ruiné? Je le crois bien. Il faut avoir trop d'oncles pour hériter tous les ans. Je me rappelle quand nous avons été déjeuner au pavillon d'Henri IV, au sortir d'un bal de l'Opéra, et qu'il voulait allumer son cigare à un réverbère, vous souvenez-vous?

      Que ne vous mettez-vous au théâtre? vous feriez merveille. C'est une vie animée, pleine de péripéties, de détails émouvants et grotesques, et de dîners de carton qui donnent à manger. Le théâtre ici manque de femmes; on n'exige ni talent ni habitude: de la grâce et de la beauté, voilà tout! Si vous le vouliez je vous y ferais entrer avec moi. Quelque chose, quelqu'un vous retient-il à Paris? – J'ai mille choses à vous dire; mais on m'attend chez un correspondant. Je vous quitte. Je vous embrasse.

      Mathilde.

      Dijon, janvier 1847.

      Mon réengagement est signé d'hier. Je ne veux pas tarder, chère belle, à vous écrire cette bonne nouvelle, sachant toute la part que vous y prendrez. J'ai eu affaire à un directeur presque amoureux: c'est vous dire que j'ai tiré à moi la couverture. Comme je ne suis pas d'aujourd'hui au théâtre, et que je sais sur le bout du doigt tout le sous-entendu de ces messieurs, j'ai tout précisé. Je ne dois jouer que trois fois par semaine; et j'ai, de plus, un congé de quinze jours à prendre quand il me plaira. Vous concevez, ma mignonne, que j'attendrai un succès, et que le lendemain je me ferai racheter mes quinze jours ce que je voudrai.

      Encore une fois, que ne vous mettez-vous au théâtre? Votre idée de Conservatoire est puérile: vous y entrerez très-difficilement; puis, ce que vous gagnerez vous permettra au plus d'acheter des bouquets de violettes. Le théâtre, à la bonne heure! Si vous avez quelque chance de faire fortune, c'est là, uniquement là. Vous savez que si vous avez du talent, cela sera un accessoire fort généreux de votre part, c'est la dernière chose qu'on vous demandera. Pourvu que vous ayez la jambe bien tournée et l'œil bien fendu, directeur et public seront satisfaits; or vous avez cela, et, en plus, une jolie voix, et vous êtes musicienne. Venez ici, je vous fais engager au théâtre. J'ai le directeur dans mon bas, ou peu s'en faut. Pour ce qui est de vos débuts, ne vous en faites pas un monstre d'avance. C'est une des nombreuses choses de la vie auxquelles il ne faut songer que le lendemain. L'habitude du public vous viendra peu à peu, ma chère, comme toutes les habitudes. Vous concevez bien que mes conseils et mes exhortations ne vous donneront pas du courage si vous n'en avez pas. Ceci, vous le sentez, est une condition toute physique. Mais, rassurez-vous; tout le monde est ému le premier jour; les débuts sont toujours pleins de troubles et d'émotions, et le public, je vous jure, le public de province surtout, ne songe pas à se formaliser de voir une jolie fille embarrassée d'être regardée et qui rougit sous son rouge. Mais vous ne voulez pas quitter Paris; vous tenez à votre Prosper. Passons.

      Je vous envoie une lettre pour M. ***, rue…; vous lui direz qu'il vous fasse entrer au Vaudeville; il sera enchanté de vous recevoir. Puis il faut voir rue… nº 9, je crois: en prenant par la rue Montmartre, c'est la sept ou huitième maison à droite; il y avait des portraits au daguerréotype à la porte. Vous demanderez M. ***. C'est un charmant garçon qui a été mon amant pendant deux ans. Il fait des pièces de théâtre. On l'a joué. Il m'a passionnément aimée; ceci sans fatuité. Je l'ai rendu un peu malheureux parfois, en sorte qu'il ne m'aura pas oubliée. Vous lui écrirez qu'il vienne chez vous prendre des nouvelles de Mathilde ***. Il viendra, c'est sûr. Songez au théâtre.

      Mathilde.

      Dijon, mars 1847.

      De soir en soir, je remets depuis quinze jours, ma chère Louise, pour vous répondre une longue lettre bien bavarde et bien paresseuse en même temps, de ces causeries à bâtons rompus, à branches cassées, dans lesquelles l'esprit se pose sans durée et s'arrête sans choix. Depuis votre dernière lettre, j'ai été occupée d'une façon absolue, excessive. J'en ai été malade. On a été forcé de faire venir une seconde amoureuse pour me seconder. Chère petite, quelles fatigues le public nous paye en bravos! Vous ne sauriez croire à quel point le théâtre est un maître exigeant, capricieux; comme il vous envahit la vie! C'est un amant qui a bien besoin de faire plaisir quelque peu pour qu'on le supporte. Enfin j'attrape au vol une heure de liberté franche et de flânerie: je viens à vous. J'ai toujours été égoïste. Bah! c'est toujours quelque chose de bien choisir ses défauts et ses victimes.

      Ma chère mignonne, votre lettre est triste et toute vibrante d'une foule d'inquiétudes non avouées, et que j'ai bien comprises. Malheureusement, je ne puis en cela vous venir en aide. Un seul argument peut vous toucher, et celui-là précisément me manque. Ne doutez pas de ma bonne volonté et de mes généreuses pensées à votre égard. Croyez à mon impuissance. Je viens de jouer ces jours-ci un rôle Jenny-Vertpré dans Madame Pinchon. J'ai été rappelée avec deux autres personnes. C'était la première fois, depuis la Haye, que je revenais ainsi glorieusement devant le public. Eh bien! aucune jouissance d'amour-propre ne m'a fait battre le cœur. Ce cœur, cet amour-propre sont si complétement usés que rien maintenant ne les active, ne les réveille. Quand je ne dédaigne pas, je suis indifférente. C'est que, voyez-vous, aucun résultat, de quelque nature que ce soit, ne vaut les peines, les fatigues, les emplois de force et de pensées qu'on a donnés pour l'obtenir, et ce qu'on a désiré est toujours au-dessus de ce qu'on possède. Aussi, bien pénétrée à présent de cette vérité, je ne cours fougueusement au-devant de rien ici-bas. Si j'ai à portée de ma main des choses désirables et qui tentent quelque partie sensuelle ou très-délicate de mon individu, je les prends sans impatience, je les consomme le plus vite possible afin d'être débarrassée de la fantaisie que j'en ai eue. Si, au contraire, ces choses sont éloignées et d'un abord difficile, je fouille mon souvenir, et j'y trouve des joies et des sensations comme il ne me sera jamais plus possible d'en éprouver, et qui cependant ne valaient pas mes rêves… excepté une époque et un amour que je veux oublier! – Je ne fais plus de course à l'aventure. Je me suis assise en mon indifférence comme en une stalle commode pour voir la vie.

      Je sais bien que tout ce que je vous dis là n'est guère pratique pour vous, ma chère belle. Vos illusions sont encore bleues comme des pervenches ouvertes le matin; vous faites un poëme intitulé: «Misère et Amour», et vous ne vous effrayez pas du dernier chapitre, qui est «Misère» seulement. Voyez, moi, j'ai été aimée, idolâtrée, pardonnée et gâtée comme Manon le fut à peine par Desgrieux. J'ai dormi sur des cœurs jeunes, forts et valeureux qui ne battaient que pour moi, sur des poitrines qui bondissaient d'ivresse et d'amour au toucher de ma main, dans des bras qui étaient toujours amoureux pour m'enlacer, toujours levés et tendus pour me soutenir, toujours prêts à me défendre; si ma bouche ne s'est pas usée sous les baisers délirants qu'elle a reçus, c'est que Dieu l'avait créée sans doute pour cela. Pendant cinq ans, cette vie fêtée, choyée, enveloppée de mailles brillantes, de dentelles, de velours, inondée de parfums et de soleil, cette vie a duré sans relâche; puis, un beau jour, je me suis trouvée seule, toute seule! Mes oiseaux, qui gazouillaient si bien et si passionnément dans les rideaux transparents de mon alcôve, se sont envolés l'un après l'autre, me laissant beaucoup de souvenirs-et autant de dettes… Tous ces hommes qui m'avaient sincèrement aimée, qui avaient animé près de moi leur triomphante

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