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j’ai la consolation de penser qu’ils n’ont en pour lecteurs que l’heureux petit nombre des élus. Quelques-uns de mes amis appelaient cela mon côté faible; mais, hélas! ils n’en avaient pas fait, comme moi, le sujet de longues méditations. Plus j’y réfléchissais, plus il me paraissait important. J’allai même un pas plus loin que Whiston dans la manifestation de mes principes: comme il avait fait graver sur la tombe de sa femme qu’elle était la seule femme de William Whiston, j’avais écrit pour ma femme, à moi, bien qu’elle fût encore vivante, une épitaphe analogue, dans laquelle je vantais sa prudence, son économie et son obéissance jusqu’à la mort; et, en ayant fait faire une belle copie, dans un cadre élégant, je la plaçai au-dessus de la cheminée, où elle remplissait plusieurs buts fort utiles: elle rappelait à ma femme ses devoirs envers moi et ma fidélité pour elle; elle lui inspirait de la passion pour un bon renom et lui remettait constamment en l’esprit sa fin.

      Ce fut ainsi peut-être, en entendant prôner si souvent le mariage, que mon fils aîné, au sortir de l’Université, fixa ses affections sur la fille d’un ecclésiastique de nos voisins, dignitaire de l’Église, et en position de lui donner une grande fortune; mais la fortune était sa moindre qualité. Tout le monde (excepté mes deux filles) s’accordait à déclarer que miss Arabella Wilmot était parfaitement jolie. Sa jeunesse, sa santé et son innocence étaient encore rehaussées par un teint si transparent, par une sensibilité de regard si heureuse, que la vieillesse même ne pouvait la voir avec indifférence. Comme M. Wilmot savait que je pouvais constituer à mon fils un très bel établissement, il n’était pas contraire au mariage. Les deux familles vivaient donc ensemble dans toute l’harmonie qui précède généralement une alliance attendue. Convaincu par expérience que le temps où l’on fait sa cour est le plus heureux de la vie, j’étais assez disposé à en reculer le terme, et les plaisirs variés que les jeunes gens partageaient chaque jour dans la compagnie l’un de l’antre semblaient augmenter leur passion. Nous étions ordinairement réveillés le matin par la musique, et, dans les beaux jours, nous chassions à cheval. Les dames consacraient les heures qui séparent le déjeuner du dîner à la toilette et à l’étude: habituellement elles lisaient une page et puis se regardaient dans la glace, qui souvent présentait – des philosophes même pourraient eu convenir – la page la plus belle de toutes. A dîner, ma femme prenait la direction: elle tenait à toujours découper tout elle-même, parce que c’était l’habitude de sa mère, et elle en profitait pour nous donner l’historique de chaque plat. Quand nous avions dîné, afin d’empêcher les dames de nous quitter, je faisais d’ordinaire enlever la table, et quelquefois, avec l’aide du maître de musique, nos filles nous donnaient un concert très agréable. La promenade, le thé, les danses champêtres, les gages touchés abrégeaient le reste de la journée, sans le secours des cartes; car je haïssais toute espèce de jeu, excepté le tric-trac, auquel nous jouions parfois, mon vieil ami et moi, une partie de quatre sous. Et je ne puis omettre ici une circonstance de mauvais augure qui se présenta la dernière fois que nous jouâmes ensemble: il ne me fallait qu’amener un quatre, et je jetai double as cinq fois de suite.

      Quelques mois s’étaient écoulés de cette manière, lorsque enfin on jugea convenable de fixer un jour pour les noces du jeune couple, qui semblait le désirer ardemment. Je n’ai pas besoin de décrire l’importance affairée de ma femme pendant les préparatifs du mariage, ni les coups d’œil furtifs de mes filles; le fait est que mon attention se fixait sur un autre objet, – l’achèvement d’un traité que je comptais publier bientôt pour défendre mon principe favori. Comme ce traité me semblait un chef-d’œuvre et d’argumentation et de style, je ne pus, dans la vanité de mon cœur, m’empêcher de le montrer à mon vieil ami, M. Wilmot, ne doutant aucunement de recevoir son approbation; mais ce ne fut que trop tard que je découvris qu’il était attaché avec la plus grande énergie à l’opinion contraire, et qu’il avait de bonnes raisons pour cela. En effet, il faisait, en ce moment même, la cour à une quatrième femme. Ceci, comme on peut s’y attendre, amena une discussion accompagnée de quelque aigreur, qui menaça de couper court à nos projets d’alliance; mais nous convînmes de débattre le sujet à fond la veille du jour arrêté pour la cérémonie.

      Tout se passa avec l’ardeur voulue des deux côtés: il affirma que j’étais hétérodoxe, je rétorquai l’accusation; il répliqua, je ripostai. Cependant, au plus chaud de la controverse, je fus appelé dehors par un de mes parents qui, d’un visage affligé, me conseilla d’abandonner la dispute, du moins jusqu’à ce que le mariage de mon fils fût chose faite.

      «Comment! m’écriai-je, déserter la cause de la vérité, et le laisser se remarier lorsqu’il est déjà poussé aux confins de l’absurde! Autant vaudrait me conseiller d’abandonner ma fortune que mon argument.

      – Votre fortune, reprit mon ami, je regrette de vous en informer à présent, n’est plus rien, ou à peu près. Le négociant de Londres, aux mains de qui votre argent était placé, s’est enfui pour éviter une déclaration de banqueroute, et l’on croit qu’il ne laisse pas un shilling par livre sterling. Je répugnais à vous chagriner de cette nouvelle, vous et votre famille, avant l’accomplissement du mariage; mais elle peut maintenant servir à modérer votre chaleur d’argumentation; car, je le suppose, votre prudence vous imposera la nécessité de dissimuler, du moins jusqu’à ce que votre fils se soit assuré la fortune de la jeune fille.

      – Eh bien, répondis-je, si ce que vous me dites est vrai, si je dois être réduit à la mendicité, cela ne fera jamais de moi un coquin, ni ne m’induira à désavouer mes principes. Je vais de ce pas instruire la compagnie de ma position; et pour ce qui est de la discussion, je rétracte ici les premières concessions que j’avais faites au vieux gentleman, et je ne lui accorderai pas qu’il puisse être un mari dans aucun sens du mot.»

      On n’en finirait pas de décrire les différentes impressions des deux familles lorsque je divulguai la nouvelle de notre infortune; mais ce que les autres ressentirent était chose légère auprès de ce que les amants parurent endurer. M. Wilmot, qui semblait auparavant déjà suffisamment disposé à rompre le mariage, fut bientôt décidé par ce coup: il y avait une vertu qu’il possédait en perfection, c’était la prudence, trop souvent la seule qui nous reste à soixante-douze ans.

      CHAPITRE III

Abnégation. – Les circonstances heureuses de notre vie se trouvent généralement être, en fin de compte, notre propre ouvrage

      IL ne restait plus à notre famille qu’un espoir: c’était que la nouvelle de notre malheur fût un rapport malicieux ou prématuré; mais une lettre de mon agent à Londres vint bientôt m’en confirmer tous les détails. La perte de la fortune eût été pour moi bagatelle; la seule inquiétude que je ressentisse était pour ma famille, destinée à une vie humble sans cette éducation qui endurcit aux dédains.

      Près d’une semaine se passa avant que je tentasse de modérer leur affliction, car des consolations hâtives ne font que rappeler la douleur. Durant cet intervalle, j’appliquai mes pensées à trouver quelque moyen de les soutenir désormais; à la fin, on m’offrit une petite cure de quinze livres sterling par an dans une partie éloignée du pays, où je pourrais continuer de jouir de mes principes sans molestation. J’adhérai avec joie à cette proposition, décidé à augmenter mon traitement en faisant valoir une petite ferme.

      Cette résolution prise, mon premier soin fut de rassembler les débris de ma fortune; et, toutes dettes recouvrées et payées, de quatorze mille livres sterling il ne nous en resta que quatre cents. Ma principale préoccupation était donc maintenant de ramener les sentiments de ma famille au niveau de notre position, car je savais bien qu’une indigence prétentieuse est la pire des misères. «Vous ne pouvez ignorer, mes enfants, m’écriai-je, qu’aucune prudence de notre part n’était capable de prévenir notre récente infortune; mais la prudence peut beaucoup pour en détourner les effets. Nous sommes pauvres maintenant, mes bien-aimés, et la sagesse nous commande de nous conformer à notre humble situation. Abandonnons donc, sans murmurer, ce luxe qui rend tant de gens misérables, et cherchons, dans une condition plus humble, cette paix avec laquelle tous peuvent être heureux. Les pauvres vivent contents sans notre aide; pourquoi

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