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La vie infernale. Emile Gaboriau
Читать онлайн.Название La vie infernale
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Emile Gaboriau
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Mlle Marguerite écoutait, pâle, émue, embarrassée… Il était évident qu’elle avait sur les lèvres une question qu’il lui coûtait horriblement d’adresser. Enfin, s’armant de courage:
– Et si M. de Chalusse ne doit pas être sauvé, balbutia-t-elle, mourra-t-il sans reprendre connaissance… sans prononcer une parole?..
– Je ne puis rien affirmer, mademoiselle… l’affection de M. de Chalusse est de celles qui déconcertent toutes les hypothèses de la science.
Elle remercia tristement, fit appeler Mme Léon et regagna la chambre du comte.
Quant au docteur, tout en descendant l’escalier, il se disait:
– Singulière fille!.. A-t-elle peur que le comte ne reprenne connaissance?.. Souhaite-t-elle au contraire qu’il puisse parler?.. N’y a-t-il qu’une question de testament là-dessous?.. Y a-t-il autre chose? C’est à s’y perdre…
L’effort de sa méditation était si intense, qu’il oubliait jusqu’à l’endroit où il se trouvait, et il s’arrêtait presque à chaque marche. Il fallut, pour le rappeler à la réalité, l’air frais de la cour; mais aussi sa nature de charlatan reprit immédiatement le dessus.
– Mon ami, ordonna-t-il à M. Casimir qui l’éclairait, vous allez, à l’instant, faire répandre de la paille dans la rue pour amortir le fracas des voitures… Demain vous préviendrez le commissaire de police.
Dix minutes après, en effet, il y avait un pied de paille sur la chaussée, et les passants, involontairement, ralentissaient le pas, chacun sachant à Paris ce que signifie cette lugubre litière étalée devant une maison.
M. Casimir qui avait surveillé l’opération exécutée par les palefreniers, s’apprêtait à rentrer quand un tout jeune homme, qui depuis plus d’une heure se promenait devant la maison, s’avança rapidement vers lui.
Il n’avait pas encore un poil de barbe, ce garçon, et il avait le teint plombé et des rides comme un vieux buveur d’eau-de-vie. Il avait l’air intelligent et encore plus impudent; une audace inquiétante pétillait dans ses yeux. Bien des cordes manquaient à sa voix éraillée, et son accent traînard était le plus pur qu’il y ait aux barrières.
Son costume délabré était celui de ces pauvres diables à qui les huissiers de Paris, qui gagnent cinquante mille francs par an, abandonnent généreusement cinquante francs par mois en échange de la plus écœurante besogne.
– Qu’est-ce que vous voulez? demanda M. Casimir.
L’autre salua humblement, en disant:
– Comment, m’sieu, vous ne me reconnaissez pas?.. Toto… pardon! Victor Chupin, employé chez M. Isidore Fortunat.
– Tiens!.. c’est ma foi vrai!
– Je venais, m’sieu, de la part du patron, vous demander si vous avez enfin obtenu les renseignements que vous espériez; mais, voyant qu’il y a du nouveau chez vous, je n’ai pas osé entrer, j’ai préféré vous guetter…
– Et bien vous avez fait, mon garçon. Des renseignements, je n’en ai pas… Ah! si! Le marquis de Valorsay est resté hier deux heures enfermé avec M. le comte… Mais à quoi bon!.. M. le comte a eu un accident et il ne passera pas la nuit.
Victor Chupin eut un terrible soubresaut.
– Pas possible!.. s’écria-t-il. C’est donc pour lui qu’on a vidé les paillasses dans la rue?
– C’est pour lui.
– A-t-il de la chance, cet homme-là!.. Ce n’est pas pour moi qu’on ferait des frais pareils! C’est égal, j’ai comme une idée que le patron ne va pas casser ses bretelles de rire quand je vais lui dire ça. Enfin, merci tout de même, m’sieu, et au revoir…
Il s’éloignait, une idée soudaine le ramena.
– Excusez, fit-il avec une prestigieuse volubilité, je suis si ahuri que j’oubliais mes affaires… Dites-donc, m’sieu, quand le comte sera mort, c’est vous, n’est-ce pas qui commanderez le service… Eh bien! là, un conseil, n’allez pas aux pompes funèbres, venez chez nous, tenez, voilà l’adresse – il tendait une carte – nous traiterons pour vous avec les pompes, et nous nous chargerons de toutes les démarches. Ce sera plus beau et meilleur marché, par le moyen de certaines combinaisons de tarif… Tout, jusqu’au dernier pompon, est garanti sur facture, on peut vérifier pendant la cérémonie, on ne paye qu’après livraison… Hein! c’est dit.
Mais le valet haussait les épaules.
– Bast! fit-il négligemment, à quoi bon!
– Comment!.. Vous ne savez donc pas que sur un service de première il y aurait peut-être deux cents francs de commission que nous partagerions?..
– Diable!.. c’est à regarder. Passez-moi votre carte et comptez sur moi. Mes civilités à M. Fortunat, n’est-ce pas…
Et il rentra.
Resté seul, Victor Chupin tira de sa poche et consulta une grosse montre d’argent.
– Huit heures moins cinq, grommela-t-il, et le patron m’attend à huit heures… je n’ai qu’à jouer des jambes.
II
C’est place de la Bourse, nº 27, au troisième au-dessus de l’entresol, que demeurait M. Isidore Fortunat.
Il avait là un appartement honorable: salon, salle à manger, chambre à coucher, une vaste pièce où deux employés écrivaient à la journée; enfin, un beau cabinet de travail, sanctuaire de sa pensée et de ses méditations.
Le tout ne lui coûtait que 6,000 francs par an; une bagatelle, au prix où sont les loyers.
Et encore, par dessus le marché, son bail lui donnait droit à un trou de dix pieds carrés sous les combles.
Il y logeait sa domestique, Mme Dodelin, une personne de quarante-six ans, qui avait eu des malheurs, et qui faisait sa cuisine, car il mangeait chez lui, bien que célibataire.
Fixé dans le quartier depuis cinq ans, M. Fortunat y était très-connu.
Payant exactement son terme, ses contributions et son fournisseurs, il y était considéré.
A Paris, la considération ne fait pas crédit; mais elle ne demande jamais aux pièces de cent sous leur certificat d’origine: elles sonnent, il suffit.
D’ailleurs, on savait très-bien d’où M. Isidore Fortunat tirait les siennes. Ses revenus avaient une enseigne.
Il s’occupait d’affaires litigieuses et de recouvrements.
C’était écrit à sa porte, en toutes lettres, sur un élégant écusson de cuivre.
Même il devait être, estimait-on, très-bien dans ses affaires. Il occupait six employés tant au dehors qu’à l’intérieur. Les clients affluaient si bien chez lui que le concierge, par certains jours, s’en plaignait, disant que c’était pis qu’une procession et que, même, les escaliers de l’immeuble en étaient dégradés.
Demander plus ou seulement autre chose à un voisin, avant de lui accorder toute son estime, serait véritablement de l’inquisition.
Il faut ajouter, pour être juste, que l’extérieur, la conduite et les manières de M. Fortunat étaient de nature à lui concilier les plus difficiles sympathies.
C’était un homme de trente-huit ans, méthodique et doux, instruit, causeur agréable, fort bien de sa personne, et toujours mis avec une sorte de recherche du meilleur goût. On l’accusait d’être, en affaires, poli, dur et froid comme une dalle de la Morgue, mais chacun entend les affaires à sa guise.
Ce qui est sûr, c’est qu’il n’allait jamais au café. S’il sortait après son dîner, c’était pour passer la soirée chez quelque riche