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La vie infernale. Emile Gaboriau
Читать онлайн.Название La vie infernale
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Emile Gaboriau
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Que se passait-il en eux? Peut-être subissaient-ils cet invincible effroi qui se dégage de la mort inattendue et soudaine… Ils aimaient peut-être, sans en avoir conscience, ce maître dont ils mangeaient le pain… Peut-être encore leur chagrin n’était-il qu’égoïsme, et se demandaient-ils ce qu’ils allaient devenir, où ils iraient, s’ils trouveraient une autre place et si elle serait bonne.
Ne sachant que faire, ils délibéraient à voix basse, chacun offrant quelque remède dont il avait entendu parler.
Les plus sensés proposaient d’aller prévenir Mademoiselle ou madame Léon, qui occupaient l’étage supérieur, lorsqu’un frôlement de robe contre l’huisserie de la porte, les fit tous retourner.
Celle qu’ils appelaient: «Mademoiselle,» était debout sur le seuil.
Mlle Marguerite était une belle jeune fille de vingt ans.
Elle était assez grande, brune, avec des yeux profonds que ses sourcils un peu accentués faisaient paraître plus sombres. Des masses épaisses de cheveux noirs encadraient son beau front pensif et triste. Il y avait quelque chose d’étrange en elle et d’un peu sauvage, une cruelle souffrance concentrée et une sorte de résignation hautaine.
– Que se passe-t-il? demanda-t-elle doucement. D’où vient tout ce bruit que j’ai entendu?.. J’ai sonné trois fois, personne n’est venu.
Personne n’osa lui répondre.
Surprise, elle promena autour d’elle un rapide regard. D’où elle était, elle ne pouvait apercevoir le lit, placé dans une alcôve, mais elle vit d’un coup d’œil l’attitude morne des gens, les vêtements épars sur le tapis, et tout le désordre de cette chambre magnifique et sévère, éclairée par la seule lampe de M. Bourigeau, le concierge.
Elle eut peur, un grand frisson la traversa, et d’une voix émue:
– Pourquoi êtes-vous tous ici?.. insista-t-elle. Parlez, qu’est-il arrivé?
M. Casimir fit un pas en avant.
– Un grand malheur, mademoiselle, un malheur terrible, M. le comte…
Et il s’arrêta, interdit, effrayé de ce qu’il allait dire… Trop tard, Mlle Marguerite avait compris.
D’un mouvement brusque, elle porta ses deux mains à son cœur, comme si elle eût senti une blessure atroce, et elle prononça ce seul mot:
– Perdue!..
Elle était devenue plus pâle que la mort, sa tête se renversait en arrière, ses yeux se fermaient, elle chancelait…
Deux femmes de chambre s’élancèrent pour la soutenir, elle les repoussa d’un geste doux, en murmurant:
– Merci!.. Merci!.. Laissez-moi… je suis forte.
Elle était assez forte, en effet, pour dompter sa mortelle défaillance. Elle rassembla toute son énergie, et, lentement, plus blanche qu’une statue, les dents serrées, les yeux secs et brillants, elle s’avança vers l’alcôve.
Là, elle resta un moment immobile, murmurant des paroles inintelligibles, et, enfin, écrasée sous la douleur, elle s’abattit à genoux devant le lit, y ensevelit sa tête, et pleura…
Profondément remués par le spectacle de ce désespoir si grand et si simple à la fois, les domestiques retenaient leur haleine, se demandant comment cela allait finir…
Cela finit vite. La malheureuse jeune fille se redressa brusquement, comme si une lueur d’espérance eût illuminé soudainement son esprit.
– Le médecin! dit-elle d’une voix brève.
– On est allé en chercher un, mademoiselle, répondit M. Casimir.
Et, entendant une voix et des pas dans l’escalier, il ajouta:
– Même, par bonheur, le voici!
Le docteur entra.
C’était un homme jeune, encore qu’il n’eût plus guère de cheveux sur le crâne. Il était petit, maigre, scrupuleusement rasé et vêtu de noir de la tête aux pieds.
Sans un mot, sans un salut, sans seulement toucher du doigt le bord de son chapeau, il marcha droit au lit et successivement il souleva les paupières du moribond, lui tâta le pouls, le palpa, et lui découvrit la poitrine, contre laquelle il appliqua son oreille.
Ayant terminé son examen, il dit:
– C’est grave!
Mlle Marguerite, qui avait suivi avec une poignante anxiété tous les mouvements du docteur, ne put retenir un sanglot.
– Mais tout espoir n’est pas perdu, n’est-ce pas, monsieur, fit-elle d’une voix suppliante et les mains jointes, vous le sauverez, n’est-ce pas, vous le sauverez!..
– On peut légitimement espérer.
Ce fut la seule réponse du docteur. Il avait tiré sa trousse et essayait froidement ses lancettes sur le bout de son doigt. Quand il en eut trouvé une à sa convenance:
– Je vous prierais, mademoiselle, dit-il, de faire retirer les femmes qui sont dans cette pièce et de vous retirer vous-même… les hommes resteront pour m’aider, si besoin est.
Elle obéit, avec cette résignation passive qui livre les malheureux à toutes les inspirations. Mais elle ne regagna pas son appartement. Elle resta sur le palier, le plus près possible de la porte, assise sur la première marche de l’escalier, tirant mille conjectures du plus léger bruit, comptant les secondes.
Le médecin, dans la chambre, n’en allait pas plus vite, non par tempérament, mais par principes.
Le docteur Jodon – il se nommait ainsi – était un ambitieux qui jouait un rôle. Élève d’un «prince de la science» plus célèbre par l’argent qu’il gagne que par ses cures, il copiait les façons de son maître, son costume, son geste et jusqu’à ses inflexions de voix.
Jetant aux yeux la même poudre que son modèle, il espérait obtenir les mêmes résultats, une grande clientèle et la fortune.
Cependant, au fond de lui-même, il ne laissait pas que d’être déconcerté. Il n’avait pas, à beaucoup près, jugé l’état du comte de Chalusse si grave qu’il l’était en réalité.
Ni les saignées, ni les ventouses sèches ne rendirent au malade sa connaissance et sa sensibilité. Il demeura inerte; la respiration devint un peu moins rauque, voilà tout.
De guerre lasse, le docteur déclara que les moyens immédiats étaient épuisés, que «les femmes» pouvaient revenir près du comte, et qu’il n’y avait plus qu’à attendre l’effet des remèdes qu’il venait de prescrire et qu’on était allé chercher chez le pharmacien.
Tout autre que cet avide ambitieux eût été ému du regard que lui jeta Mlle Marguerite quand il lui fut permis de rentrer dans la chambre de M. de Chalusse. Lui n’en eut pas seulement l’épiderme effleuré. Il dit tout simplement:
– Je ne puis pas me prononcer encore.
– Mon Dieu!.. murmura la malheureuse jeune fille, mon Dieu! ayez pitié de moi!..
Mais déjà le docteur, poursuivant son imitation, était allé s’adosser à la cheminée.
– Maintenant, fit-il, s’adressant à M. Casimir, j’aurais besoin de quelques renseignements. Est-ce la première fois que M. le comte de Chalusse est victime d’un accident comme celui-ci?
– Oui, monsieur, depuis que je le sers du moins.
– Bon, cela!.. C’est une chance en notre faveur. Et dites-moi, l’avez-vous entendu quelquefois se plaindre de vertiges, de bourdonnements d’oreilles?..
– Jamais…
Mlle