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La vie infernale. Emile Gaboriau
Читать онлайн.Название La vie infernale
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Emile Gaboriau
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Depuis un moment, Mme Léon sentait sa langue se sécher dans sa bouche.
Aussi, triomphant de l’appréhension que lui causait le magistrat, se décida-t-elle à s’approcher.
– Comment pouvez-vous dire cela! chère demoiselle, s’écria-t-elle. Ne savez-vous pas combien M. le comte, Dieu ait son âme! était un homme inquiet. Je parierais, voyez-vous, qu’il y a un bout de testament quelque part.
L’œil du juge ne quittait plus le chaton de sa bague.
– On peut toujours chercher avant d’apposer les scellés… Vous avez qualité pour me requérir… ainsi, si vous le voulez?
Elle ne répondit pas.
– Oh! oui… insista Mme Léon, je vous en prie, monsieur, cherchez…
– Mais où serait ce testament?..
– Ici, pour sûr, dans ce secrétaire, ou dans un des meubles du cabinet de défunt M. le comte.
Le juge de paix connaissait l’histoire de la clef, mais peu importe.
– Où est la clef de ce secrétaire? demanda-t-il.
– Hélas!.. monsieur, répondit Mlle Marguerite, je l’ai brisée hier soir quand on a rapporté M. de Chalusse mourant. Pourquoi?.. vous devez le comprendre… J’espérais éviter ce qui est néanmoins arrivé… Puis, je savais que dans ce secrétaire se trouve une forte somme en or, et plus de deux millions en billets de banque et en valeurs au porteur… Cela tenait toute la tablette supérieure.
Deux millions… là!.. Tous les assistants eurent un éblouissement. Le greffier en laissa tomber un pâté sur son papier. Deux millions!..
Évidemment le magistrat délibérait.
– Hum!.. murmurait-il, porte close… il y aurait peut-être lieu à référé… D’un autre côté, il y a certainement urgence… Ma foi!.. je vais toujours statuer par provision.
Et se décidant:
– Qu’on aille quérir un serrurier, dit-il…
On partit, et en attendant, il alla s’asseoir près du greffier, lui expliquant comment il faudrait relater l’incident au procès-verbal.
Enfin, l’ouvrier parut, sa trousse de cuir pendue à l’épaule, et aussitôt il se mit à l’œuvre.
Ce fut long, ses crochets ne mordaient pas et il parlait de scier le pêne, quand tout à coup il trouva le joint et l’abattant tomba…
Le secrétaire était vide, il n’y avait sur la tablette que quelques papiers et un flacon bouché à l’émeri, aux trois-quarts plein d’une liqueur rouge…
Le cadavre de M. de Chalusse secouant son linceul et se dressant, eût à peine produit une plus formidable impression…
Un même frisson de peur secoua tous les gens rassemblés dans cette chambre…
Le secrétaire était vide. Une fortune énorme avait disparu. Les mêmes soupçons allaient peser sur tous… Et chacun déjà se voyait arrêté, emprisonné, traîné devant les tribunaux…
Puis, au premier moment d’effarement la colère succédant, une furieuse clameur s’éleva.
– Un vol a été commis! criaient-ils tous ensemble. Mademoiselle a eu la clef à sa disposition… Il ne faut pas qu’on accuse des innocents!..
Si émouvante que fût cette scène, elle n’était pas capable d’altérer l’impassible sang-froid du magistrat. Il en avait vu d’autres, lui qui, vingt fois dans sa vie, avait dû se jeter entre des héritiers, entre des enfants prêts à en venir aux mains devant le cadavre non encore refroidi de leur père…
– Silence! prononça-t-il.
Et comme le tumulte ne cessait pas, comme on continuait à crier:
– Il faut que les voleurs se retrouvent… nous saurons bien découvrir le coupable…
Le juge, d’une voix forte dit:
– Un mot de plus et je fais évacuer la chambre.
On se tut, avec un sourd grondement; mais les regards et les gestes avaient une éloquence à laquelle il était impossible de se méprendre. Tous les yeux étaient rivés sur Mlle Marguerite avec une expression farouche où se confondaient la haine présente et les rancunes du passé…
Elle ne le voyait que trop, l’infortunée, mais sublime d’énergie, elle demeurait le front haut en face de cet orage, dédaignant de répondre à de si viles imputations.
Mais elle avait là, près d’elle, un protecteur: le juge.
– Si des valeurs ont été détournées de la succession, reprit-il, le coupable sera recherché et découvert… Cependant il faut s’expliquer: qui a dit que Mlle Marguerite a eu à sa disposition la clef du secrétaire?..
– Moi!.. répondit un valet de pied. J’étais dans la salle à manger hier matin, quand M. le comte la lui a remise.
– Pourquoi la lui confiait-il?
– Pour venir chercher cette fiole, qui est là, je la reconnais, et qu’elle lui a descendue.
– Lui a-t-elle rendu la clef?
– Oui, monsieur, en même temps que la fiole, et il l’a mise dans sa poche.
Le magistrat désigna du doigt le flacon déposé sur la tablette.
– C’est donc le comte qui l’a rapporté là, dit-il, cela ressort des explications. Donc, si on eût enlevé les valeurs, en faisant la commission, il s’en fût aperçu.
Il n’y avait rien à répondre à cette objection si simple, qui était en même temps une éclatante justification.
– Et d’ailleurs, poursuivit le juge, qui vous a révélé qu’une somme immense se trouvait dans le secrétaire?.. Le saviez-vous?.. Qui de vous le savait?..
Personne ne répondit, et, sans paraître remarquer les regards de reconnaissance que lui adressait Mlle Marguerite, il dit encore d’un ton sévère:
– Ce n’est pas une preuve d’honnêteté, que de se montrer si accessible que cela aux plus vagues soupçons… N’était-il pas plus simple de réfléchir que le défunt peut avoir changé ses valeurs de place, et qu’elles se retrouveront!
Moins que le juge encore, le greffier avait été ému. Lui aussi, il était blasé, et jusqu’à l’écœurement, sur ces drames effroyables et honteux qui se jouent au chevet des morts. S’il avait accordé un coup d’œil au secrétaire, c’est qu’il lui avait paru curieux de juger en quel étroit espace peuvent tenir deux millions. Et aussitôt après, il s’était mis à supputer combien d’années il lui faudrait rester titulaire d’un greffe de justice de paix avant de réunir ce fantastique capital.
Entendant le juge déclarer qu’il allait poursuivre la recherche du testament annoncé par Mme Léon, et en même temps des valeurs, il abandonna son calcul.
– Alors, monsieur, demanda-t-il, je puis commencer ma rédaction?
– Oui, répondit le juge, écrivez.
Et d’une voix sans inflexions, il se mit à dicter, encore que l’autre n’en eût pas besoin, les formules consacrées:
«Et le 16 octobre 186… à neuf heures du matin;
«En exécution de notre ordonnance qui précède, rendue à la requête des gens au service de défunt Louis-Henri-Raymond de Durtal, comte de Chalusse, dans l’intérêt des héritiers présomptifs absents et de tous autres qu’il appartiendra, vu les articles 819 (Code Napoléon) et 909 (Code de procédure);
«Nous, juge de paix