ТОП просматриваемых книг сайта:
La vie infernale. Emile Gaboriau
Читать онлайн.Название La vie infernale
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Emile Gaboriau
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Une seule circonstance lui semblait indiscutable: c’est que Mme Léon et Mlle Marguerite attachaient une importance égale à cette question de savoir si, oui ou non, le comte reprendrait connaissance.
Quant à l’intérêt des deux femmes sur ce point, le docteur estimait qu’il n’était pas le même, qu’un secret désaccord existait entre elles, et que même la femme de confiance avait dû venir le trouver en cachette.
Car il n’était dupe qu’à demi de Mme Léon et de ses protestations de tendresse à l’endroit de Mlle Marguerite.
L’entrée de cette respectable personne, ses façons onctueuses, son accent de résignation dévote, cette allusion à un grand nom qu’elle aurait le droit de porter, tout cela était bien calculé pour en imposer; mais elle s’était trop découverte sur la fin pour qu’on ne se défiât pas.
Le docteur Jodon ne s’était pas senti le courage de regagner son superbe appartement, et c’est dans un petit café qu’il réfléchissait ainsi, tout en buvant dans un verre fabriqué en Bavière, d’exécrable bière brassée à Paris…
Enfin, minuit sonna… c’était l’heure.
Cependant, le docteur ne se leva pas. S’étant résigné à attendre, il voulait, en revanche, qu’on l’attendît…
C’est donc seulement quand le café fut fermé qu’il remonta la rue de Courcelles…
Mme Léon, sans doute, avait laissé la porte de l’hôtel de Chalusse entre-bâillée, le docteur n’eut qu’à la pousser et il se trouva dans la cour…
Comme au commencement de la soirée, les domestiques étaient réunis chez le concierge. Mais la jubilation de la médisance qui s’en donne à cœur joie avait fait place, sur leur physionomie, à l’inquiétude de l’avenir compromis.
On les apercevait, à travers les vitres, debout dans la loge, absorbés par l’intérêt d’une discussion qui s’agitait entre les deux hommes les plus importants de la réunion: M. Bourigeau, le concierge, et M. Casimir, le valet de chambre.
Et si le docteur eût prêté l’oreille, ses illusions singulières eussent été quelque peu entamées, car à chaque moment revenaient les mots de gages et de legs particuliers, de rémunération de loyaux services et de rentes viagères…
Mais M. Jodon n’écouta pas.
Pensant qu’il rencontrerait quelque valet à l’intérieur il entra dans l’hôtel.
Mais rien ne pouvait annoncer sa présence, les portes se refermaient sans bruit, l’épais tapis qui couvrait le marbre de l’escalier étouffait le bruit de ses pas, et il arriva au palier du premier étage sans avoir aperçu personne…
La porte de la chambre de M. de Chalusse était ouverte et elle se trouvait assez vivement éclairée par un grand feu clair et par une grosse lampe posée sur le coin de la cheminée…
Instinctivement le docteur s’arrêta, regardant…
Nul changement n’était survenu depuis sa visite. Le comte gisait toujours immobile, très-haussé sur ses oreillers, la face tuméfiée, les paupières fermées, respirant encore pourtant, ainsi que l’indiquait le mouvement inégal du drap sur sa poitrine.
Seules, Mme Léon et Mlle Marguerite le veillaient.
La femme de charge, un peu dans l’ombre, était affaissée sur un fauteuil, et, les mains croisées sur le ventre, les lèvres crispées, elle semblait suivre de l’œil, dans le vide, quelque difficile combinaison.
Pâle, mais calme maintenant, plus imposante et plus belle avec ses cheveux en désordre, Mlle Marguerite s’appuyait aux montants du lit, épiant sur le visage de M. de Chalusse le réveil de la vie et de l’intelligence.
Un peu honteux de son indiscrétion, le docteur redescendit à reculons sept ou huit marches, qu’il remonta en toussant, pour s’annoncer…
Il fut entendu, car Mlle Marguerite vint au-devant de lui jusqu’à la porte.
– Eh bien? demanda-t-il.
– Hélas!
Il s’avança vers le lit; mais, sans lui laisser le temps d’examiner le moribond, Mlle Marguerite lui tendit une feuille de papier.
– Le médecin ordinaire de M. de Chalusse est venu en votre absence, monsieur, dit-elle, et voici son ordonnance… C’est une potion qu’il a prescrite, dont on a fait glisser quelques gouttes entre les lèvres de M. de Chalusse.
L’autre, qui s’attendait à ce coup, s’inclina froidement.
– Je dois ajouter, poursuivit Mlle Marguerite, que le docteur a approuvé tout ce qui avait été fait, et qu’il vous prie, et que je vous prie de lui continuer le secours de vos lumières…
Malheureusement toutes les lumières de la Faculté n’y pouvaient rien.
Et après un nouvel examen, le docteur Jodon se borna à dire qu’il fallait laisser agir la nature, mais qu’on vînt le prévenir au moindre mouvement du malade…
– Et même, ajouta-t-il, je préviendrai mon valet de chambre pour qu’il n’hésite pas à m’éveiller…
Il prenait congé lorsque Mme Léon lui barra presque le passage.
– N’est-il pas vrai, monsieur le docteur, demanda-t-elle, qu’une seule personne attentive suffit pour veiller M. le comte?..
– Assurément…
La femme de charge se retourna vers Mlle Marguerite.
– Eh bien!.. chère demoiselle, que vous disais-je!.. Croyez-moi, consentez à prendre un peu de repos… Veiller, voyez-vous, n’est pas de votre âge…
– Il est inutile d’insister, interrompit résolûment la jeune fille… Je veillerai.
L’autre se tut, mais il sembla au docteur qu’elles avaient échangé de singuliers regards.
– Diable!.. pensait-il en se retirant, on dirait qu’elles se défient l’une de l’autre…
Peut-être le docteur avait-il raison. Le sûr, c’est qu’il n’avait pas tourné les talons, que déjà Mme Léon pressait une fois encore sa «chère demoiselle» de se coucher au moins quelques heures.
Elle l’en conjurait au nom de sa santé altérée par l’émotion ainsi qu’on ne le voyait que trop aux marbrures de ses joues et au cercle bleuâtre qui allait s’élargissant autour de ses yeux…
– Que craignez-vous, insistait-elle, de sa voix onctueuse; ne serai-je pas là! Supposez-vous votre vieille Léon capable de s’endormir quand votre avenir dépend d’un mot de ce pauvre homme qui est là…
– De grâce… cessez…
– Non, chère demoiselle bien aimée, mon dévouement me commande…
– Oh?.. Assez!.. interrompit Mlle Marguerite; assez, Léon!..
Le ton annonçait une volonté si forte que la vieille se résigna, non sans un gros soupir, par exemple, non sans un regard au ciel pour le prendre à témoin de la pureté de ses intentions et de l’inutilité de ses efforts.
– Du moins, chère demoiselle, reprit-elle, couvrez-vous bien… Voulez-vous que j’aille vous chercher votre gros châle de voyage…
– Merci, ma chère Léon… Annette me l’apportera.
– Oui, je vous en prie… Du reste, nous n’allons pas veiller seules, n’est-ce pas? Comment ferions-nous si nous avions besoin de quelque chose?
– Je vais appeler, dit la jeune fille.
C’était inutile. La sortie du docteur Jodon avait brusquement mis fin à la conférence des domestiques, et tous maintenant étaient sur le palier, inquiets, retenant