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n'est pas mort, dit la Perlette.

      – Tâchez de le saigner sous la langue avec la pointe de mon épée, dit le blessé.

      – Jamais bon animal n'a trop de sang, répondit Marguerite; – je ferai mieux, – vous allez voir.

      Elle emplit sa main de neige et versa dessus de l'eau-de-vie. Avec ce mélange, elle frotta les naseaux du cheval, qui souffla bruyamment. Elle lui ouvrit la bouche et y introduisit le reste de son vulnéraire improvisé.

      Elle fut obligée de se jeter de côté pour n'être point renversée par le cheval, qui se remettait brusquement sur ses pieds.

      – Plût à Dieu, mon général, dit-elle, – que vous en fussiez quitte à si bon marché que lui… Allons! ne craignez pas de vous appuyer sur moi: je suis forte comme un Turc!.. Les voilà qui se rapprochent: nous n'avons que le temps de nous mettre en selle.

      Le blessé parvint à remonter sur son cheval. La Perlette sauta en croupe.

      – Je vais vous tenir, mon général, dit-elle encore; – car, ce soir, vous faites un pauvre cavalier!

      Il était temps. Les silhouettes noires des soldats ennemis se détachaient au sommet du ravin. – Deux ou trois coups de feu retentirent.

      – Jouons des éperons! cria la Perlette; – tournez à gauche et suivez le cours de l'eau!

      Une décharge générale illumina le bois. Une grêle de balles siffla aux oreilles des fugitifs. – Le cheval prit le galop.

      – Vous avez de la chance, mon général, fit la Perlette; – mon épaule droite vous a garé d'une balle.

      – Seriez-vous blessée? s'écria vivement le général.

      – Bah! répliqua tranquillement Marguerite; – ça me connaît!.. La balle s'est relevée et n'a fait qu'une égratignure… J'ai dans mon tonneau de quoi guérir cent mille plaisanteries comme ça… Tournez à droite maintenant, car il ne faut pas leur laisser le temps de recharger.

      Une demi-heure après, ils étaient au village d'Einengen, encore occupé par l'arrière-garde de l'armée française.

      – Aussi jolie que brave! dit le général en la voyant pour la première fois aux lumières… – Mon enfant, reprit-il d'un accent sérieux et pénétré, – vous m'avez sauvé plus que la vie, car il est des jeux où un général français n'a pas le droit de risquer sa tête… Quelle récompense voulez-vous?

      – Mon général, répondit la Perlette, – j'ai mon mari qui est sergent: s'il passait officier, ça le rendrait bien content.

      – Et vous? demanda S***.

      Marguerite hésita.

      – Moi, répliqua-t-elle enfin, – je ne sais trop… Il a déjà honte de moi parce que je suis vivandière.

      – Alors, choisissez une autre récompense.

      – Non. – Je choisis celle-là… Je l'aime.

      Le général prit le nom de Roger sur ses tablettes.

      Napoléon portait à la garde de son épée le roi des diamants: le Régent. Cela faisait mode. La plupart des officiers généraux avaient à leur ceinturon une agrafe de diamants. Le général S*** en avait une très-belle. Il y porta la main.

      – Excusez si je vous demande une dernière grâce, mon général, dit la Perlette; – je voudrais que la chose fût arrangée de manière que mon mari ne sût point que son avancement lui est venu par moi.

      S*** caressa paternellement la joue rougissante de Marguerite.

      – Ce sergent Roger est plus heureux que bien des ducs et princes, dit-il; vous êtes une bonne femme!

      Il détacha en même temps sa belle agrafe de diamants.

      – Comment avez-vous nom? interrogea-t-il.

      – Marguerite Vital, femme Roger.

      – Je ne veux écrire ce nom-là que dans ma mémoire, dit le général en souriant; – si jamais je pouvais l'oublier, prenez ceci, mon enfant… A quelque heure, en quelque lieu que ce soit, quand vous aurez besoin de moi, venez: ceci est un gage entre nous.

      – Ah! mon général! s'écria Marguerite tristement, ceci doit valoir beaucoup d'argent et vous voulez me payer!

      – Qu'importe le prix, Marguerite, si vous ne le vendez jamais?

      Marguerite tendit la main et le général serra doucement cette main entre les siennes.

      – Ceci ne me quittera point, dit-elle en glissant l'agrafe dans son sac; ça me rappellera que j'ai sauvé la vie d'un héros… je mourrais de faim auprès!

      – Et maintenant, Marguerite, reprit S***, – il faut aller vous reposer.

      – Je suis de la septième, répliqua-t-elle; – j'ai plus de trois lieues à faire pour rejoindre… Que Dieu vous bénisse, mon général, et au revoir!

      Elle s'en alla, suivant les traces de la septième dans la neige. Quand elle arriva au bivac, Roger dormait, la tête sur un fagot. Marguerite s'étendit près de lui et le sommeil la prit tout de suite. D'ordinaire, elle était toujours sur pied avant le premier roulement de tambour, mais elle avait tant travaillé cette nuit, qu'elle n'entendit point battre le réveil.

      Roger et Garnier s'éveillèrent avant elle.

      – Tiens! fit Roger, qui affectait maintenant une sorte de dédain pour celle qu'il avait tant aimée, – voilà mon épouse!

      – Le pauvre sous-lieutenant n'est pas revenu, repartit Garnier; – elle les tue tous… Dis donc! l'autre lui avait donné sa croix… celui-ci n'avait pas de croix, mais je lui ai vu de beaux bijoux au bal, quand l'empereur vint à Aix…

      – On peut regarder, dit Roger, qui ouvrit le sac de la Perlette.

      Ils se penchèrent tous deux curieusement et se relevèrent, éblouis à la vue de l'agrafe du général S***.

      – A la bonne heure! dit Garnier.

      Ce mot avait dans sa bouche une portée si outrageante, que Roger mit la main à son sabre.

      Mais il se ravisa, lâcha un juron, referma le sac et dit:

      – C'est fini!

      Ce Roger n'était pas du tout un méchant cœur. – Seulement, il ne venait pas à la cheville de sa femme Marguerite.

      On ne s'expliqua point, parce que Garnier avait dit: «Si tu lui fais des reproches, elle t'entortillera.»

      Quelques jours après, Roger reçut son brevet de sous-lieutenant. – Garnier en faillit mourir de jalousie. Il était toujours caporal. Il se dit:

      – Du moins, je lui prendrai sa femme!

      S'il avait su au juste ce que valait l'agrafe de diamants, c'eût été l'agrafe qu'il eût prise la première.

      En passant officier, Roger quittait la septième demi-brigade pour entrer dans l'infanterie légère. Marguerite voulut le suivre; il lui remit une feuille de route toute signée qui la dirigeait sur Paris pour cause d'enceintement.

      Elle se pendit à son cou.

      – Mon homme, lui dit-elle, – je pense bien que je ne te reverrai plus… Ce Garnier t'a perdu, et puis tu as bien de l'orgueil… Adieu! aie de la chance… Dans vingt ans comme aujourd'hui, si tu as besoin de moi, je suis ta femme!

      A cette heure de la séparation, le cœur de Roger se révolta contre sa propre conduite. Il serra Marguerite sur sa poitrine. Elle eut un moment d'espoir, car une larme brillait dans les yeux de Roger. – Mais, sous la tente, une voix trop connue se mit à chanter la chanson de Panard:

      Je ris

      De ces maris,

      Bonnes âmes!..

      C'était Garnier.

      Les

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