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de ses engagements, – et, auprès de son corps, pendu à l'anneau du lustre dans son cabinet, on trouva une liasse de papiers timbrés.

      Marguerite Vital, la portière, fut chassée d'abord, puis mise en prison, pour avoir dit que madame la marquise de Sainte-Croix et Garnier savaient bien où s'en était allée la fortune de l'ancien fournisseur.

      Cette mort violente du chef de la maison Rodelet fit beaucoup de bruit. Il fallut pour l'étouffer le retentissement des événements politiques qui précipitèrent la chute de l'Empire. Mais une chose surnagea, ce fut le souvenir de la digne conduite de Garnier et des efforts généreux de madame la marquise de Sainte-Croix pour arrêter ce malheureux sur le penchant de sa ruine.

      Madame la marquise fit, à quelque temps de là, un héritage considérable, – une vieille parente qu'elle avait en Hongrie. Les dettes furent payées et son train augmenta.

      Quant à Ernestine Rodelet, elle alla cacher sa honte loin de Paris, et le monde qui tressait des couronnes à madame la marquise de Sainte-Croix, le monde clairvoyant et juste, l'accusa tout naturellement d'avoir causé la mort de son père.

      Cette Marguerite Vital, qui avait osé accuser madame la marquise et son ami Garnier, était une petite femme de jolie figure, bien qu'elle eût dépassé la trentaine. Son propriétaire l'avait expulsée à regret, car elle tenait sa loge et la maison dans un état de propreté admirable. Mais le moyen de garder une portière qui fait de pareils cancans!

      Marguerite, citée devant le tribunal, fut obligée de raconter sa petite histoire. Elle était veuve de militaire, à ce qu'elle disait, – mais elle ne put représenter l'acte de décès de son mari, qui ne portait point le même nom qu'elle. – Elle avait un beau garçon de sept ans qui était enfant de troupe à la 7e demi-brigade.

      Nous sommes forcé de nous occuper un peu du passé de Marguerite, parce que, parmi les personnages de l'humble drame de sa jeunesse, se trouvait le digne M. Garnier.

      X

      – La Perlette. —

      Garnier était, au temps de la jeunesse de Marguerite Vital, tambour de la 7e demi-brigade, en garnison à Paris. Il avait pour collègue et camarade intime un gros garçon du nom de Roger qu'on appelait Roger Bontemps, à cause de son joyeux caractère. Garnier et Roger étaient deux inséparables. Comme presque tous les tambours et trompettes de régiment, qui sont exposés à de fréquentes railleries, ils étaient fort assidus à la salle d'armes et passaient pour de dangereux tireurs.

      Roger Bontemps n'était pas querelleur, mais il allait sur le terrain comme on va à la noce. Garnier, au contraire, se montrait singulièrement pointilleux; il faisait le crâne à tout propos et se donnait le plaisir de tailler en pièces les conscrits imprudents qui traduisaient tambour par tapin. – Seulement, on avait pu remarquer que Garnier laissait volontiers à Roger, son Pylade, le soin de punir les troupiers qui passaient pour malins au noble jeu de la pointe.

      C'était sous le Consulat. Roger avait vingt-quatre ans; Garnier atteignait à peine sa vingtième année. Roger attendait avec impatience l'occasion d'aller au feu; Garnier faisait semblant d'avoir la même envie.

      Et tous deux étaient amoureux, tous deux amoureux de la Perlette, une petite vivandière comme on n'en vit jamais, leste, pimpante, plus jolie qu'un amour, gracieuse, avisée, bonne, et sachant des milliers de chansons qu'elle disait, le sourire aux lèvres, d'une voix sonore et gaillarde; un bijou de vivandière. Tout le régiment (pour ne plus parler de demi-brigade, ce qui est fatigant), tout le régiment était fou de la Perlette, qui était notre Marguerite Vital, à l'âge de vingt ans. Elle aurait pu épouser un sergent-major!

      Ce fut elle-même qui alla demander au colonel la permission de prendre Roger Bontemps pour mari. Un tambour!

      Garnier félicita chaudement son camarade et ils firent gamelle à trois. N'ayez aucune inquiétude sur les entreprises de ce Garnier vis-à-vis de la Perlette. La Perlette n'avait, parbleu! besoin de personne pour se défendre contre les galants. C'était un petit diable avec son baril sur le dos, et le sabre du fantassin n'était point du tout trop lourd pour elle.

      Au bout de neuf mois, un beau petit enfant vint: un garçon qui fut baptisé Vital pour garder le nom de sa mère avec le nom de son père.

      Presque aussitôt après, le régiment partit. Marguerite, faible encore, voulut suivre son Roger.

      – Je n'en ai qu'un de plus à qui donner à boire, disait-elle en montrant le maillot de son poupon; – ne voilà-t-il pas une belle affaire?

      Toutes les compagnies de tous les bataillons intercédèrent avec ensemble pour que le colonel la laissât venir. On lui fit une petite place dans un fourgon, et en route!

      Je ne sais trop où ils allèrent, mais ce fut loin et l'on se battit ferme. La Perlette ne resta pas longtemps dans son fourgon. Elle reprit son poste derrière son mari, toujours leste, toujours pimpante, portant son tonneau à droite, son enfant à gauche, chantant comme un loriot et ne manquant jamais de mots pour rire.

      Ce Roger Bontemps était bien le plus heureux des tambours!

      En secret, Garnier, son bon ami, son frère de baguettes, était jaloux de lui terriblement et le détestait de tout son cœur.

      Au bout d'un an, Garnier et Roger passaient caporaux le même jour. La Perlette avait déjà vu le feu, et Dieu sait qu'elle ne se gênait guère pour courir dans les rangs à l'heure la plus chaude. Son petit Vital restait au dépôt. Elle disait:

      – Est-ce que le bon Dieu voudrait faire un orphelin de ce chérubin-là! C'est lui qui nous garde.

      Les jours de bataille, son tonneau était intarissable. Elle allait porter la goutte aux avant-postes. Chemin faisant, elle soignait les blessés, et ses poches étaient toujours pleines de charpie.

      L'admiration et la tendresse que tout le régiment avait pour elle rejaillissait sur Roger, qui, du reste, était un très-bon soldat. Il fut sous-officier avant son ami Garnier.

      Un soir, après une marche forcée, celui-ci lui dit:

      – Sommes-nous toujours des frères?

      – Pourquoi pas? demanda Roger.

      – Peut-on te parler franchement comme autrefois?

      – Je t'écoute.

      – J'ai un secret à te révéler, fit Garnier, qui semblait hésiter.

      – On te dit qu'on t'écoute!

      – C'est que… Tu aimes bien Marguerite, n'est-ce pas, mon pauvre Roger?

      Celui-ci devint tout pâle.

      – Je ne l'ai pas vue ce soir… dit-il; – est-ce qu'il lui serait arrivé malheur?

      – Non… je préférerais cela pour toi.

      Roger le regarda dans le blanc des yeux et Garnier détourna la tête.

      – Est-ce que tu as quelque chose à me dire contre Marguerite? demanda Roger, qui affectait un grand calme, mais dont la voix était changée.

      – Contre elle, répondit Garnier, – non… pas encore… mais un malheur est bien vite arrivé… Le lieutenant Moreau la regarde.

      Roger respira bruyamment, puis il s'étendit sur sa paille et mit son sac en manière d'oreiller sous sa tête.

      – Tu m'as fait peur, dit-il en riant. – Bien, bien, vieux… je te remercie… tout le monde la regarde, parbleu!

      Il ronflait déjà.

      Garnier resta longtemps assis, la tête appuyée sur sa main.

      – Je ne sais plus si je l'aime ou si je la déteste!.. murmura-t-il enfin.

      Ceci se passait en 1809. Le petit Vital avait deux ans. – Le lieutenant Moreau était un beau jeune homme, brave comme son épée et que l'empereur avait décoré de sa propre main.

      Roger avait dormi toute la nuit sur les deux oreilles; le lendemain, il fit attention à ce lieutenant Moreau. –

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