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dans ses mœurs calmes, dans son foyer domestique irréprochable. Il fut traîné sur le théâtre, chose qui ne s'était pas faite depuis Aristophane, c'est-à-dire depuis deux mille quatre cents ans.

      Là chacun put le siffler, le huer, lui cracher au visage.

      Fréron avait vu tout cela de l'orchestre sans se plaindre, sans dire un mot; il avait vu le comédien qui le jouait, et qui, par le vol d'un valet, c'était procuré un de ses habits, il avait vu le comédien qui le jouait, imiter sa figure, et, s'avançant jusqu'à la rampe, dire de lui-même:

      – Je suis un sot, un voleur, un misérable, un mendiant, un folliculaire vénal.

      Mais, au cinquième acte, une pauvre femme tomba évanouie aux premières loges, en jetant un cri.

      À ce cri, Fréron se retourna et s'écria:

      – Ma femme! ma femme!

      Un homme aida Fréron à sortir de l'orchestre, au milieu des rires, des huées, des sifflets; cet homme c'était ce même Malesherbes, cet athée honnête homme qui défendit Louis XVI, et qui, payant de sa vie sa généreuse intervention dans le procès, remontait comme d'habitude sa montre à midi, quoiqu'il dût être guillotiné à une heure.

      Malgré tout cela, malgré la lettre méprisante de Rousseau, qui cette fois-là donna dans sa haine la main à Voltaire, Fréron tint bon. – Il continua d'exalter Corneille, Racine, Molière, aux dépens de Crébillon, de Voltaire et de Marivaux. Mais, dans cette lutte qu'il soutenait à lui seul contre toute l'Encyclopédie, il tomba malade de fatigue; alité, sans force, mais dictant encore, il apprit que le garde des sceaux Miroménil, venait de supprimer le privilége de l'Année littéraire, et que, par conséquent, il était non-seulement ruiné, mais désarmé.

      Il laissa retomber sa tête sur l'oreiller, poussa un soupir, et mourut.

      Grâce à l'influence de quelques protecteurs qui lui étaient restés, la veuve de Fréron fit rendre à son fils le privilége de l'Année littéraire.

      L'enfant n'avait que dix ans, et ce furent son oncle Royou et l'abbé Geoffroy qui rédigèrent le journal, tout en lui attribuant une partie du produit. Bercé par le souvenir des souffrances de son père, il avait pris, tout jeune encore, la société en haine. Le hasard fit qu'il fut à Louis-le-Grand le condisciple de Robespierre, de sorte que, quand la révolution éclata, la place de l'homme corrompu par excellence se trouva près de l'incorruptible.

      Le journal, qui n'avait été jusque là qu'une puissance littéraire, était devenu dans les mains de Marat une puissance politique. À côté de l'Ami du peuple, Fréron publia l'Orateur du peuple. Il se livra dans cette feuille à tous les excès de l'homme timide qui ne sait pas s'arrêter dans la cruauté parce qu'il ne sait pas s'arrêter dans la faiblesse. Nommé membre de la Convention, il avait voté la mort du roi, puis avait été envoyé avec Barras à Marseille.

      On sait ce qu'il y fit. On connaît ses mitraillades; l'histoire a enregistré ces mots terribles, après une canonnade:

      – Que ceux qui ne sont pas morts se relèvent, la patrie leur pardonne!

      Et quand, sur la foi de cette promesse, sains et saufs, les blessés se relevèrent, ce mot plus terrible encore, car il était un mensonge sanglant:

      – Feu!

      Et cette seconde fois, personne ne se relevait.

      Eh bien! nous le disons, pour qu'il y ait eu une semblable haine contre les hommes dans le cœur de l'impitoyable proconsul, il fallait que l'enfant, élevé dans le cabinet de son père, se souvînt que, pour prix d'un travail acharné, de son dévouement à tous les principes conservateurs, son père n'avait recueilli que les insultes et l'ingratitude de ceux-là même qu'il défendait.

      Ce fut cet éclectisme dans le crime qui lui fit abandonner le parti de Robespierre et prendre celui de Tallien, se faire thermidorien de terroriste qu'il était, dénoncer Fouquier-Tinville et tous ses complices les uns après les autres, et, à la tête de la réaction antijacobine, créer cette jeunesse dorée à laquelle il donna son nom et que nous appellions tout à l'heure une France nouvelle.

      Ce qui l'attirait, cette jeunesse, au théâtre Louvois, le 19 février 1796, c'était sa réouverture, sous la direction de la célèbre mademoiselle Raucourt, qui avait réuni quelques-uns de ses camarades du Théâtre-Français, et qui tentait avec eux de ramener les esprits à la belle littérature dont elle s'était faite l'interprète.

      Tout avait son côté politique à cette époque; mademoiselle Raucourt avait le sien. Belle à faire damner la moitié des spectateurs, après avoir reçu des conseils de Brizard, elle avait paru pour la première fois en 1772 sur la scène du Théâtre-Français, dans le rôle de Didon.

      Mais tout à coup des bruits étranges s'étaient répandus sur l'emploi qu'elle faisait de sa beauté, et, malgré les petits vers de Voltaire qui lui promettaient la royauté de la scène, malgré l'écrin que lui avait fait remettre madame du Barry en lui recommandant d'être sage, elle avait bientôt vu, sous les coups de la calomnie ou de la médisance, – nous ne saurions, nous faire juge dans un pareil procès, – ses admirateurs les plus ardents l'abandonner et ses détracteurs les plus acharnés la siffler.

      Criblée de dettes, ne croyant plus à cet avenir prédit par Voltaire, la belle débutante s'était réfugiée dans l'enclos du Temple, asile ouvert aux débiteurs insolvables.

      Poussée comme elle l'était par le démon de la tragédie, Raucourt ne pouvait demeurer inconnue; elle s'évada une nuit, gagna la frontière, donna des représentations devant les souverains du nord, et revint en France, où Marie-Antoinette, – la chose ne contribua pas peu à accréditer les premières rumeurs, – où Marie-Antoinette paya ses dettes, et la fit rentrer à la Comédie-Française dans ce même rôle de Didon qui lui avait valu ses premiers succès.

      Ce fut alors que, se livrant à des études sérieuses, elle reconquit à force de talent la faveur du public.

      Lorsque, à la suite de la représentation de Paméla, la Convention ordonna l'incarcération en masse de la Comédie-Française, elle fut incarcérée aux Madelonnettes avec Saint-Phal, Saint-Prix, Larive, Naudet, mesdemoiselles Lange, Devienne, Joly et Contat.

      Le 11 thermidor, elle sortit de prison, joua quelque temps à l'Odéon; mais, se trouvant trop éloignée du centre de la ville, elle entraîna ses compagnons à la salle Louvois.

      La salle Louvois s'ouvrait donc, comme nous l'avons dit, sous ses auspices, par la pastorale de Pygmalion et Galatée, qui permettait à mademoiselle Raucourt de faire admirer ses formes magnifiques dans le rôle de la statue, et par Britannicus, qui lui permettait de faire admirer son génie dans le rôle d'Agrippine.

      L'emprisonnement de mademoiselle Raucourt, sous prétexte d'attachement à l'ancien régime, lui assurait la sympathie de toute cette jeunesse folle qui allait encombrer la salle, et qui ne faisait qu'apparaître en passant sous le péristyle.

      Mais si le lecteur veut suivre un des deux escaliers qui montent à l'orchestre, s'il veut entrer dans la salle, soit du côté cour, soit du côté jardin, il pourra alors jeter un coup d'œil sur l'ensemble de cette admirable ruche, qu'au premier abord on croirait peuplée, grâce au chatoiement des taffetas et des satins, grâce aux feux des diamants et des pierreries, d'oiseaux des tropiques et de papillons de l'équateur.

      Pour donner une idée de l'ensemble des toilettes de toute cette jeunesse dorée, hommes et femmes, il nous suffira de peindre, en hommes, les deux ou trois incroyables, et, en femmes, les deux ou trois merveilleuses qui donnaient le style à l'époque.

      Les trois femmes étaient, l'une dans une avant-scène, et les deux autres dans les loges d'entre-colonnes de la salle. Les loges d'entre-colonnes étaient, après les avant-scènes, les loges les plus recherchées.

      Ces trois femmes, au nom desquelles l'admiration publique avait ajouté l'épithète de belles, étaient la belle madame Tallien, la belle madame Visconti et la belle marquise de Beauharnais.

      Ce sont les trois déesses qui se partagent

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