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les irez-vous chercher?

      – Au prochain village.

      – Je vous attends ici.

      Joseph partit.

      Depuis que j'avais dépassé la grande porte du château j'entendais des abois désespérés.

      Je me retournai du côte d'où ils venaient, c'était Scipion qu'ils avaient mis à la chaîne et qui s'élançait de toute la longueur de sa chaîne pour venir me rejoindre.

      Mon pauvre Scipion, pendant huit jours, comprends-tu, mon bien-aimé Jacques, je l'avais oublié!

      Que veux-tu, j'eusse oublié jusqu'à ma vie, si je n'avais souffert!

      Ce fut pour moi une grande joie que de revoir Scipion. Quant à lui, il était fou de bonheur.

      Joseph revint avec du papier et un crayon; je t'écrivis une lettre insensée au fond de laquelle il n'y avait en réalité que ces deux mois: je t'aime.

      Mon messager partit; le lendemain à la même heure je devais le retrouver à la même place.

      J'avais peur que l'on m'empêchât d'emmener Scipion dans ma chambre, mais on n'y fit même pas attention.

      Je ne pouvais me lasser de lui parler et, folle que j'étais de lui parler de toi, je ne sais si c'était ton nom qu'il reconnaissait ou l'accent avec lequel je le prononçais; mais, à chaque fois qu'il l'entendait, il jetait un petit cri tendre, comme si lui aussi avait dit: Je l'aime.

      Dès le point du jour j'étais à ma fenêtre; je pensais que Joseph aurait passé la nuit chez toi à Argenton, et qu'il arriverait le matin.

      Je m'étais trompée, il était revenu la nuit même. Quand je sortis du château, je vis, à l'endroit où j'étais assise la veille, un homme qui était couché sur l'herbe et qui faisait semblant de dormir.

      Je m'approchai; c'était lui; mais je vis bien, au premier regard que je jetai sur lui, qu'il n'avait que de mauvaises nouvelles à m'apprendre.

      En effet, tu étais parti, mon bien-aimé Jacques, et cela sans dire où tu allais.

      Joseph me rapportait ma lettre.

      Je la déchirai en morceaux impalpables que je livrai au vent. Il me semblait déchirer mon cœur lui-même.

      Joseph était au désespoir.

      – Je ne puis donc rien pour vous? me dit-il.

      – Si fait, lui répondis-je, vous pouvez me parler de lui.

      Alors avec des choses relatives à la manière dont tu m'avais trouvée et que tu m'avais racontées toi-même, il me raconta des choses que je ne savais point. Ces espèces de miracles opérés par toi sur des animaux furieux; comment tu domptais les chevaux, les taureaux, comment tu avais dompté Scipion; il me montra la voûte du mur où le chien s'était réfugié, quand tu le forças de venir rempant à tes pieds; puis des animaux il passa aux hommes et me raconta les merveilleuses cures que tu avais faites: un enfant mordu par une vipère que tu avais sauvé en suçant la plaie, un chasseur qui s'était mutilé le bras avec son fusil, à qui on voulut couper le bras, et à qui tu te conservas; que te dirai-je, mon bien-aimé Jacques, les mêmes souvenirs que je croyais toujours nouveaux. Un jour cependant la conversation changea.

      – Mademoiselle, me dit Joseph avant que j'eusse eu le temps de lui adresser la parole, savez-vous une nouvelle?

      – Laquelle?

      – C'est que M. le marquis part; il émigre.

      Je songeai aussitôt au changement que le départ du marquis allait faire dans mon existence, à la liberté qu'il allait me donner.

      – En êtes-vous sûr? lui demandai-je avec un mouvement de joie que je ne pus réprimer.

      – Cette nuit, ses amis se ressemblent au château; on y tient conseil sur la façon d'émigrer, et, quand chaque fugitif aura arrêté son moyen de fuite, on partira.

      – Mais qui vous a dit cela, à vous, Joseph? Vous n'êtes pas, il me semble, des conseils du marquis?

      – Non. Mais comme il sait que je tire proprement un coup de fusil, que je tue un lapin au déboulé et une bécassine à son troisième crochet, il serait bien aise de m'avoir près de lui.

      – Et il vous a fait des offres?

      – Oui. Mais je suis du peuple, moi, et par conséquent pour le peuple. De sorte que je lui ai dit: Monsieur le marquis, si nous nous retrouvons là-bas, ce sera l'un contre l'autre, et non pas l'un avec l'autre.

      – Mais, m'a-t-il dit, je sais que tu es honnête homme et que le secret de mon départ, que je te confie, tu le garderas. Or, comme ce secret n'en doit pas être un pour vous et que vous ne dénoncerez pas votre père, je vous le dis pour que, de votre côté, si vous avez des mesures à prendre, vous les preniez.

      – Quelle mesure voulez-vous que je prenne? Je ne dispose de rien et l'on dispose de moi; je laisserai faire à la Providence.

      Le lendemain de cet entretien, mon père me fit prier de passer chez lui.

      Je ne lui avais parlé que deux fois depuis qu'il m'avait repris à toi, mon bien-aimé! Il m'avait demandé si je voulais manger avec tout le monde ou dans ma chambre: je m'étais empressée de répondre: Dans ma chambre; quand on est séparé de celui qu'on aime, être seule c'est être à moitié avec lui.

      Je passai chez le marquis.

      Il aborda immédiatement la question.

      – Ma fille, me dit-il, les circonstances deviennent telles que je dois songer à quitter la France; d'ailleurs, mon opinion, mon rang dans la société, ma position parmi la noblesse de France, me forcent d'aller offrir mon épée aux princes. Dans huit jours j'aurai rejoint le duc de Bourbon.

      Je fis un mouvement.

      – Ne vous inquiétez pas de moi, dit-il; j'ai des moyens sûrs de quitter la France. Quant à vous, qui ne courez aucun risque et n'avez aucun devoir à remplir, vous resterez à Bourges avec votre tante: elle vient vous chercher demain. Avez-vous des observations à me faire?

      – Aucune, monsieur, je n'ai qu'à vous obéir.

      – Si notre séjour à l'étranger paraît devoir se prolonger, ou si vous couriez quelque danger en France, je vous écrirais de venir me rejoindre, et nous nous fixerions hors de France pour tout le temps que durera leur infâme révolution, qui du reste, je l'espère bien, n'en a pas pour longtemps. Comme nous n'avons plus que trois ou quatre jours à passer ensemble, si vous voulez pendant ce temps prendre votre dîner en même temps que nous et avec nous, vous me ferez plaisir.

      Je m'inclinai en signe d'assentiment.

      Sans doute les jeunes nobles qui s'étaient réunis au château la nuit précédente y étaient restés, car le marquis avait une douzaine de convives.

      Il me présenta à eux, et je vis bien vite quel était le but de cette présentation.

      Trois ou quatre étaient jeunes, élégants, beaux, bien faits. Mon père voulait savoir si l'un d'entre eux ne parviendrait pas à attirer mes regards.

      Mon père n'avait donc jamais aimé, qu'une pareille idée lui ait passé par l'esprit! Douze jours après que je t'avais quitté, toi ma vie, toi mon âme, toi mon Jacques bien-aimé, penser que mes yeux pouvaient s'arrêter sur un autre homme!

      Je ne me fâchai même pas d'une semblable supposition; j'en haussai les épaules.

      Le lendemain, ma tante arriva. Je ne l'avais jamais vue.

      C'est une grande fille sèche, dévote et prude; elle n'a jamais dû être jolie, et par conséquent n'a jamais été jeune.

      Son père, ne pouvant pas la marier, en fit une chanoinesse.

      En 1789 elle sortit de son couvent et rentra dans la société avec six ou huit mille livres de rentes que lui faisait mon père. Seulement elle ne voulut pas quitter Bourges, sa ville chérie, pour venir demeurer au château de Chazelay.

      Elle avait

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