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enfant, dit le vieux marquis en la serrant dans ses bras, c'est bien; mais il manque une croix à votre autel: il faut rappeler la bonté de Dieu à côté de sa puissance.

      – C'est vrai, dit Sibylle, je mettrai une croix.

      – Est-ce vous seule, ma mignonne, dit madame de Férias, qui avez fait ces belles lettres de fleurs?

      – C'est moi, répondit Sibylle, mais c'est Jacques qui a cueilli les violettes. Et croiriez-vous que je n'ai jamais pu le décider à prier avec moi? C'est un monstre!

      Sibylle accompagna cette objurgation d'un jeu de sourcils terrible, qui parut affecter cruellement Jacques Féray. Il baissa ses yeux hagards vers le sol, et murmura d'une voix timide:

      – Il n'y a pas de bon Dieu!

      – Malheureux! s'écria Sibylle, et, le poussant tout à coup par les épaules, elle lui fit perdre l'équilibre. Le voyant alors étendu au pied de l'arbre dans une attitude de gaucherie effarée, elle lança brusquement dans les bois un de ses doux éclats de rire, et, haussant les épaules:

      – Grand sot! dit-elle.

      Jacques parut enchanté.

      La journée que Sibylle avait commencée par cet acte de foi naïve était un dimanche, et, suivant l'usage, les châtelains de Férias, après avoir déjeuné à la hâte, se rendirent à l'église de la paroisse. Ils arrivèrent quelques minutes avant l'heure de la messe, et la petite nef était encore déserte. Le choeur seul était occupé par un groupe composé de la famille Beaumesnil et du curé. Madame de Beaumesnil, remarquable par un air plus affairé et plus important que de coutume, mettait alors la dernière main à la décoration d'une petite table placée devant le maître-autel, et sur laquelle reposait une figure de cire au visage fardé, aux yeux d'émail et aux cheveux bouclés, encadrée de fleurs en papier et d'ornements en chenille. Autour de cette image, don pieux et spirituel de madame de Beaumesnil, étaient étalées diverses estampes coloriées où l'on voyait principalement des coeurs de toute dimension, les uns percés de flèches, les autres enflammés, quelques-uns avec des ailes. Le curé, le chevalier Théodore et mademoiselle Constance contemplaient cet édifiant chef-d'oeuvre d'un oeil profondément charmé, tandis que M. de Beaumesnil se pâmait dans un rire béat.

      – Qu'est-ce que c'est? dit Sibylle en s'approchant curieusement.

      – Mon enfant, dit madame de Beaumesnil, c'est un nouveau bon

      Dieu que j'ai fait venir de Paris.

      La foule se précipitait en ce moment dans la nef, et mit fin au dialogue. Sibylle prit sa place dans le banc de sa famille; mais le marquis observa qu'elle ne priait point avec son recueillement ordinaire. La distraction de Sibylle était du reste partagée par tous les fidèles qui, pendant la cérémonie, ne cessaient de jeter des regards impatients sur le petit autel supplémentaire et d'échanger des chuchotements mêlés de sourires. Quand le messe fut terminée, la curiosité, si longtemps et si mal contenue, fit explosion, et le choeur fut pris d'assaut par la foule. En cet instant critique, le chevalier Théodore Desrozais, opposant ses grands bras au flot des envahisseurs et dominant le tumulte des éclats de sa voix de chantre, réussit à transformer la cohue en un défilé méthodique; puis, adoptant le rôle de cicerone, il démontra à chaque groupe de curieux les grâces et les mérites de la figure de cire dont il se plut même à faire jouer les yeux d'émail par le moyen d'un ressort ingénieux. Les impressions que cette scène laissait dans l'esprit des assistants étaient de diverse nature: quelques hommes, à peine sur le seuil du porche, riaient à leur aise du bon Dieu de madame de Beaumesnil; quelques vieilles femmes, prises d'une dévotion subite pour cette image, lui consacraient des cierges. Madame de Férias, sur l'invitation pressante de madame de Beaumesnil, eut la politesse de se ranger au nombre de ces prosélytes vulgaires.

      Sibylle, en retournant au château, resta remarquablement triste et silencieuse. Avait-elle été choquée des indécentes familiarités d'un tel épisode, contrastant avec l'idée solennelle qu'elle s'était faite de la Divinité et du culte qui lui était dû? La logique droite et même un peu roide qui caractérise l'intelligence des enfants lui suggérait-elle à cette occasion des réflexions d'un ordre plus sérieux encore? Quelles que fussent ses pensées, l'enfant les garda pour elle.

      Cependant, l'époque fixée pour sa première communion approchait. L'abbé Renaud venait alors presque chaque jour au château de Férias; il y partageait le dîner de famille, qui avait lieu à midi, et donnait ensuite à Sibylle une leçon de catéchisme. Une après-midi, M. de Férias, qui peu d'instants auparavant avait laissé sa petite-fille enfermée avec la curé, fut surpris de la rencontrer tout à coup dans le jardin.

      – Mais que faites-vous là? lui dit-il; est-ce que l'abbé est déjà parti?

      – Non, dit brièvement Sibylle, il dort.

      – Comment! reprit le marquis, est-ce qu'il s'endort souvent ainsi?

      – Très-souvent après dîner.

      – Il n'importe, dit gravement M. de Férias, votre devoir était d'attendre son réveil avec patience. Je n'aime ni votre conduite ni votre ton, qui manquent de respect.

      Ce n'était pas la première fois que M. de Férias avait l'occasion de constater dans l'attitude et dans le langage de Sibylle vis-à-vis du curé une nuance assez indéfinissable d'irrévérence et presque de dédain. Alarmé de ce bizarre symptôme, il ne l'était pas moins de l'humeur mélancolique qui, depuis quelque temps, s'était emparée de l'enfant, et du goût qu'elle avait repris pour la solitude. En même temps, chose étrange, il croyait voir qu'une altération analogue se produisait peu à peu dans le caractère de l'abbé Renaud, dont la santé même ne paraissait pas aussi bonne qu'autrefois. L'incident du jour prêtait une nouvelle gravité à ces observations. La leçon finie, le marquis et la marquise mandèrent le curé. Le brave homme arriva tout haletant sous le poids de trois énormes in-quarto qui chargeaient ses bras.

      – Ah! ah! qu'avez-vous donc là, l'abbé? dit M. de Férias.

      – Monsieur le marquis, ce sont les Pères.

      – Ah! ce sont les Pères?

      – Oui, ce sont quelques volumes des Pères que je prends la liberté d'emprunter à votre bibliothèque, et que j'emporte au presbytère.

      – Ah! vous relisez les Pères, l'abbé?

      – Oui, monsieur le marquis: je me propose même de les relire à fond, et je me reproche de ne l'avoir pas fait plus tôt. Au surplus, j'y passerai mes nuits, s'il le faut.

      M. de Férias toussa légèrement.

      – Hem! mais voilà du zèle, l'abbé, voilà du zèle!.. Et vous êtes toujours content de Sibylle, mon ami?

      Une faible teinte rosée nuança les jours du vieux prêtre.

      – Toujours, monsieur le marquis; mais, vous le savez, l'enfant a de l'esprit!

      – Voulez-vous dire, l'abbé, qu'elle abuse de son esprit?

      – Mon Dieu! monsieur le marquis, si quelqu'un doit être blâmé en cette affaire, c'est moi seul. Avant d'entrer en lice contre une intelligence si subtile, j'aurais dû sans doute fourbir à neuf mon arsenal théologique, un peu rouillé par les années.

      – Comment! l'enfant discute donc avec vous?

      – A dire vrai, monsieur le marquis, elle ne s'en fait pas faute depuis quelque temps. Aujourd'hui en particulier elle a soulevé quelques objections véritablement embarrassantes.

      – Mais à propos de quoi, mon pauvre abbé?

      – A propos de tout, monsieur le marquis, et spécialement à propos des mystères.

      – A propos des mystères? Mais cela n'est pas naturel, l'abbé. Les mystères n'ont rien qui doive étonner l'intelligence des enfants, car pour eux tout est mystère. Il faut qu'il y ait là-dessous du parti-pris.

      – Véritablement, monsieur le marquis, je serais quelquefois tenté de le croire.

      – Expliquez-vous,

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