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à table au milieu de cette agréable excitation, qui, doucement entretenue par les fumées du repas, se traduisit par un déchaînement de verbeux commérages. Les voisins et les voisines, leurs habitudes, leurs opinions politiques, leur toilette du dernier dimanche, furent tour à tour passés en revue par la maîtresse du logis, qui généralement blâma les uns et n'approuva pas les autres. – N'oubliant pas toutefois le but moral de la fête, madame de Beaumesnil entremêlait çà et là sa charitable chronique de quelques anecdotes instructives qu'elle accompagnait de clins d'oeil adressés à Sibylle. Tantôt c'était une petite fille qui, pour avoir mal fait sa prière, avait été tirée par les pieds pendant la nuit; tantôt c'était un petit garçon qui, pour avoir eu des distractions pendant le catéchisme, avait reçu le fouet d'une main invisible. Ces effrayantes légendes parurent malheureusement affecter M. de Beaumesnil beaucoup plus que Sibylle. Lui-même n'avait-il pas fait la nuit dernière un rêve bien digne de figurer parmi ces sinistres miracles? Il avait rêvé qu'il était mouton et qu'il bêlait tristement sur le sommet d'une haute montagne. M. de Beaumesnil, pour donner plus de couleur à son récit, voulut bien l'appuyer de quelques bêlements imitatifs qui eurent le privilège d'amener sur les lèvres de Sibylle son premier sourire de la soirée. – Au dessert enfin, le chevalier Théodore chanta quelques refrains de ses pères, dont tout ce que Sibylle put comprendre fut que le chevalier aimait à danser sur la fougère avec les bergères, ce qui effectivement lui arrivait quelquefois après vêpres. Puis le chevalier, qui était alors au comble de l'exaltation, saisissant d'une main la pauvre Sibylle et entraînant de l'autre l'épaisse Constance, commença à travers la salle une vive farandole, qui se termina brusquement par l'effraction d'une pile d'assiettes et par l'interpellation de stupide animal que sa tendre soeur ne lui fit pas attendre.

      Sibylle, qui se sentait comme naufragée au milieu d'une tribu de cannibales, éprouva enfin un moment de bien-être quand elle se trouva seule, installée dans la chambrette de son amie Clotilde et couchée sous ses rideaux blancs. Cachant alors sa tête dans les plis de l'oreiller, pour n'être pas entendue de mademoiselle Constance, sa voisine, et mordant une boucle de ses cheveux, elle pleura abondamment.

      Le lendemain, l'abbé Renaud se présenta de bonne heure au manoir. Madame de Beaumesnil s'inquiéta d'un peu de fatigue qui paraissait sur ses traits.

      – Ce n'est rien, dit-il: c'est que j'ai lu une partie de la nuit.

      Le déjeuner le remit. Se trouvant alors en bonnes dispositions, l'excellent homme emmena son élève sous une tonnelle du jardin, et, posant sur une petite table sa tasse de café, dans laquelle il puisait une cuillerée de temps en temps, il répondit victorieusement aux questions épineuses que Sibylle lui avait posées la veille. Madame de Beaumesnil, assise à deux pas, tricotait en surveillant Sibylle d'un oeil sévère. Contre l'habitude, et à la vive satisfaction du curé, la leçon s'acheva sans que l'enfant eût soulevé la moindre objection.

      En récompense de cette docilité, madame de Beaumesnil organisa sur-le-champ, dans le salon chinois, une petite chapelle qu'elle orna de coquillages et d'images de dévotion, et devant laquelle le chevalier se mit aussitôt à chanter vêpres comme s'il eût été au lutrin, tandis que Sibylle le regardait avec épouvante. A ce jeu édifiant succédèrent des lectures pieuses, faites alternativement d'une voix de psalmodie par madame de Beaumesnil et mademoiselle Constance, qui s'interrompaient de temps à autre pour gourmander rudement, de leur voix ordinaire, les mendiants qui se présentaient dans la cour. Elles ne semblaient point d'ailleurs comprendre les livres qu'elles lisaient, et pouvaient au surplus donner pour excuse qu'ils étaient incompréhensibles. Ces femmes n'avaient garde, en effet, de demander leur instruction ou leurs consolations à l'oeuvre, si riche et si variée cependant, des grands hommes et des saints qui, dans tous les temps, ont honoré à la fois l'Eglise et l'esprit humain en prêtant à la vérité un langage digne d'elle. Il leur fallait mieux: il leur fallait quelqu'une de ces niaises productions mystiques où toute vérité morale et religieuse disparaît sous les fleurs les plus fades d'un symbolisme raffiné; la phraséologie précieuse et vide de cette basse littérature avait l'avantage de bercer doucement la paresse de leur pensée, la mollesse de leur âme et le sommeil de leur conscience, en paraissant même les sanctifier. Sibylle, après avoir essayé vainement de saisir le sens de ce verbiage, avait fini par s'endormir; elle fut réveillée en sursaut par la voix formidable du chevalier, qui entonnait un cantique, soutenu par le contralto de madame de Beaumesnil et par le fausset de mademoiselle Constance. Sibylle, invitée à se joindre à ce concert spirituel, s'y joignit.

      M. et madame de Férias vinrent ce jour-là dîner au manoir. Madame de Beaumesnil les informa de la soumission de Sibylle et du succès complet de l'expérience, et reçut en retour leurs affectueux remercîments. Le dîner se passa sans incidents; seulement, Sibylle s'étonna que miss O'Neil ne fût pas venue la voir, et madame de Férias alléguant qu'elle avait été retenue par une indisposition, madame de Beaumesnil crut devoir exprimer l'espérance que miss O'Neil n'en mourrait pas, car si elle mourait, elle irait directement en enfer, ce qui était pénible à penser. Cette proposition, appuyée de quelques murmures de condoléance, fit ouvrir de grand yeux à Sibylle, qui apparemment avait peine à se figurer madame de Beaumesnil couronnée de l'auréole des élus en regard de miss O'Neil plongée dans les puits de l'abîme.

      Le soir, comme Sibylle venait de se mettre au lit, madame de Beaumesnil, en l'embrassant, découvrit dans les plis de sa chemisette une petite médaille d'argent que l'enfant tenait de sa grand'mère.

      – Qu'avez-vous là, ma chère fille?

      Elle examina la médaille.

      – Otez cela, reprit-elle, je veux vous donner quelque chose de mieux.

      Elle ouvrit une armoire et en tira une boîte remplie de médailles. Madame de Beaumesnil avait des médailles de toutes sortes: elle en avait de bonnes, elle en avait de meilleures, elle en avait d'excellentes. Ce fut une de ces dernières qu'elle suspendit au cou de Sibylle en lui en expliquant les vertus particulières.

      – Mais je voudrais garder la mienne avec la vôtre, dit

      Sibylle.

      – Vous le pouvez, mon enfant; seulement ne vous étonnez pas si la vôtre devient en peu de jours terne comme du plomb.

      – Et pourquoi, madame?

      – C'est un miracle qui arrive souvent, dit madame de

      Beaumesnil, quand une médaille est jalouse de sa soeur.

      – Comment! de sa soeur! De quelle soeur? s'écria l'enfant avec une sorte d'effroi; mais il n'y a qu'une sainte Vierge, madame!

      Madame de Beaumesnil y réfléchit un instant.

      – Sans doute, reprit-elle en hésitant, assurément;… mais cela ne fait rien! Voyons, tâchez de dormir, mademoiselle, au lieu de bavarder à tort et à travers comme une pie borgne.

      Obéissant à cette pressante recommandation, Sibylle appela de tout son coeur le bienfaisant sommeil; mais elle l'appela longtemps avant de pouvoir échapper à la confusion d'idées qui torturait son cerveau.

      Les jours qui suivirent cette première journée d'épreuve en furent la répétition à peu près exacte, et nous n'en dirons rien. Après trois semaines de ce régime, Sibylle, silencieuse et douce comme une colombe, était citée avec orgueil par madame de Beaumesnil comme une néophyte exemplaire.

      – Désormais, disait-elle, mademoiselle de Férias était aussi bien préparée qu'elle-même aux plus hauts devoirs de la religion.

      Grande fut donc la surprise de la dame, quand un matin Sibylle, arrivant sous la tonnelle pour prendre sa leçon de catéchisme, déclara tranquillement qu'elle ne la prendrait pas, que cela était inutile, puisqu'elle était décidée à ne pas faire sa première communion cette année-là. A cet étonnant discours, madame de Beaumesnil, devenue subitement plus rouge qu'une pivoine, se dressa sur sa chaufferette comme une pythonisse sur son trépied, tandis qu'une pâleur de marbre s'étendait sur le visage du curé.

      – Et pourquoi, mademoiselle, ne ferez-vous point votre première communion, s'il vous plaît? dit madame de Beaumesnil d'une voix sifflante.

      – J'ai des pensées

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