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que le pauvre homme trouvera fermée la porte qu'il croyait trouver ouverte.

      – L'ordre de fermer les portes de la ville a-t-il donc été donné, monseigneur?

      – Non, je ne crois pas, qui aurait donné cet ordre?

      – Eh bien! qui vous fait supposer?

      – Il y a des fatalités, répondit négligemment l'Altesse, et les plus grands hommes sont parfois tombés victimes de ces fatalités-là.

      L'officier sentit à ces mots courir un frisson dans ses veines, car il comprit que, d'une façon ou de l'autre, le prisonnier était perdu.

      En ce moment, les rugissements de la foule éclataient comme un tonnerre, car il était bien démontré que Cornélius de Witt n'était plus dans la prison.

      En effet, Corneille et Jean, après avoir longé le vivier, avaient pris la grande rue qui conduit au Tol-Hek, tout en recommandant au cocher de ralentir le pas de ses chevaux pour que le passage de leur carrosse n'éveillât aucun soupçon.

      Mais arrivé au milieu de cette rue, quand il vit de loin la grille, quand il sentit qu'il laissait derrière lui la prison et la mort et qu'il avait devant lui la vie et la liberté, le cocher négligea toute précaution et mit le carrosse au galop.

      Tout à coup, il s'arrêta.

      – Qu'y a-t-il? demanda Jean en passant la tête par la portière.

      – Oh! mes maîtres, s'écria le cocher, il y a…

      La terreur étouffait la voix du brave homme.

      – Voyons, achève, dit le grand pensionnaire.

      – Il y a que la grille est fermée.

      – Comment, la grille est fermée? Ce n'est pas l'habitude de fermer la grille pendant le jour.

      – Voyez plutôt.

      Jean de Witt se pencha en dehors de la voiture et vit en effet la grille fermée.

      – Va toujours, dit Jean, j'ai sur moi l'ordre de commutation, le portier ouvrira. La voiture reprit sa course, mais on sentait que le cocher ne poussait plus ses chevaux avec la même confiance.

      Puis en sortant sa tête par la portière, Jean de Witt avait été vu et reconnu par un brasseur qui, en retard sur ses compagnons, fermait sa porte à toute hâte pour aller les rejoindre sur le Buitenhof.

      Il poussa un cri de surprise, et courut après deux autres hommes qui couraient devant lui.

      Au bout de cent pas, il les rejoignit et leur parla; les trois hommes s'arrêtèrent, regardant s'éloigner la voiture, mais encore peu sûrs de ceux qu'elle renfermait.

      La voiture, pendant ce temps, arrivait au Tol-Hek.

      – Ouvrez! cria le cocher.

      – Ouvrir, dit le portier paraissant sur le seuil de sa maison, ouvrir et avec quoi?

      – Avec la clef, parbleu! dit le cocher.

      – Avec la clef, oui; mais il faudrait l'avoir pour cela.

      – Comment! vous n'avez pas la clef de la porte? demanda le cocher.

      – Non.

      – Qu'en avez-vous donc fait?

      – Dame! on me l'a prise.

      – Qui cela?

      – Quelqu'un qui probablement tenait à ce que personne ne sortît de la ville.

      – Mon ami, dit le grand pensionnaire, sortant la tête de la voiture et risquant le tout pour le tout, mon ami, c'est pour moi Jean de Witt et pour mon frère Corneille, que j'emmène en exil.

      – Oh! M. de Witt, je suis au désespoir, dit le portier se précipitant vers la voiture, mais sur l'honneur, la clef m'a été prise.

      – Quand cela?

      – Ce matin.

      – Par qui?

      – Par un jeune homme de vingt-deux ans, pâle et maigre.

      – Et pourquoi la lui avez-vous remise?

      – Parce qu'il avait un ordre signé et scellé.

      – De qui?

      – Mais des messieurs de l'Hôtel de Ville.

      – Allons, dit tranquillement Corneille, il paraît que bien décidément nous sommes perdus.

      – Sais-tu si la même précaution a été prise partout?

      – Je ne sais.

      – Allons, dit Jean au cocher, Dieu ordonne à l'homme de faire tout ce qu'il peut pour conserver sa vie; gagne une autre porte.

      Puis, tandis que le cocher faisait tourner la voiture:

      – Merci de ta bonne volonté, mon ami, dit Jean, au portier; l'intention est réputée pour le fait; tu avais l'intention de nous sauver, et, aux yeux du Seigneur, c'est comme si tu avais réussi.

      – Ah! dit le portier, voyez-vous là-bas?

      – Passe au galop à travers ce groupe, cria Jean au cocher, et prends la rue à gauche; c'est notre seul espoir.

      Le groupe dont parlait Jean avait eu pour noyau les trois hommes que nous avons vus suivre des yeux la voiture, et qui depuis ce temps et pendant que Jean parlementait avec le portier, s'était grossi de sept ou huit nouveaux individus.

      Ces nouveaux arrivants avaient évidemment des intentions hostiles à l'endroit du carrosse.

      Aussi, voyant les chevaux venir sur eux au grand galop, se mirent-ils en travers de la rue en agitant leurs bras armés de bâtons et criant: – Arrête! arrête!

      De son côté, le cocher se pencha sur eux et les sillonna de coups de fouet.

      La voiture et les hommes se heurtèrent enfin.

      Les frères de Witt ne pouvaient rien voir, enfermés qu'ils étaient dans la voiture. Mais ils sentirent les chevaux se cabrer, puis éprouvèrent une violente secousse. Il y eut un moment d'hésitation et de tremblement dans toute la machine roulante, qui s'emporta de nouveau, passant sur quelque chose de rond et de flexible, qui semblait être le corps d'un homme renversé, et s'éloigna au milieu des blasphèmes.

      – Oh! dit Corneille, je crains bien que nous n'ayons fait un malheur.

      – Au galop! au galop! cria Jean.

      Mais, malgré cet ordre, tout à coup le cocher s'arrêta.

      – Eh bien! demanda Jean.

      – Voyez-vous? dit le cocher.

      Jean regarda.

      Toute la populace du Buitenhof apparaissait à l'extrémité de la rue que devait suivre la voiture, et s'avançait hurlante et rapide comme un ouragan.

      – Arrête et sauve-toi, dit Jean au cocher; il est inutile d'aller plus loin; nous sommes perdus.

      – Les voilà! les voilà! crièrent ensemble cinq cents voix.

      – Oui, les voilà, les traîtres! les meurtriers! les assassins! répondirent à ceux qui venaient au-devant de la voiture, ceux qui couraient après elle, portant dans leurs bras le corps meurtri d'un de leurs compagnons, qui, ayant voulu sauter à la bride des chevaux, avait été renversé par eux.

      C'était sur lui que les deux frères avaient senti passer la voiture.

      Le cocher s'arrêta; mais quelques instances que lui fît son maître, il ne voulut point se sauver.

      En un instant, le carrosse se trouva pris entre ceux qui couraient après lui et ceux qui venaient au-devant de lui.

      En un instant, il domina toute cette foule agitée comme une île flottante.

      Tout à coup, l'île flottante s'arrêta. Un maréchal venait, d'un coup de masse, d'assommer un des deux chevaux, qui tomba dans les traits.

      En ce moment le volet d'une fenêtre s'entr'ouvrit

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