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muraille qui borde la voie à ma droite. Je m’arrête, je frappe trois coups.

      Le battant tourne sur ses gonds. Je me précipite dans un jardin fruitier et, l’issue refermée, je m’arrête interloqué, devant une robuste Boulonnaise en jupon court, en casaque de futaine, qui me dit tranquillement:

      – Que le monsieur anglais me suive. La voiture est attelée. Il sera à Pont-de-Briques dans un petit quart d’heure.

      – Ah! balbutiai-je sottement, nous allons donc à Pont-de-Briques?

      Heureusement, mon interlocutrice n’y entendit pas malice.

      – Nous, non. Le monsieur y va, ça c’est sûr. Mais moi, je reste à la maison. Qu’est-ce que mon homme dirait si je me «trimbalais» en voiture avec un monsieur.

      J’eus l’air de frémir à la pensée de ce que dirait cet homme et je traversai le jardin, dans les pas de la commère. Par un portillon à claire voie, nous passâmes dans une cour pavée. Entre les pierres poussaient des herbes folles.

      Mais, une berline, attelée de deux vigoureux chevaux stationnait là, semblant étonnée de se trouver en pareil lieu.

      La Boulonnaise me poussa dans le véhicule, veilla à ce que ma valise fût bien posée en équilibre sur la banquette du devant.

      – Vous êtes mille fois bonne, madame, crus-je devoir prononcer.

      La femme me regarda avec un gros rire.

      – Bon la dame de monsieur a payé à la largesse; ça ne serait mie honnête de faire mal l’ouvrage.

      La dame de monsieur! Qui appelait-elle ainsi? Je crois bien que je sentis une rougeur monter à mes joues en songeant que ce pourrait bien être miss Tanagra.

      Ma dame… elle… Cela ne me révoltait certainement pas. Alors que signifiait l’émotion qui m’avait envahi?

      Je me le demandais encore, quand la commère s’adressant au cocher immobile sur le siège:

      – Vas-y, mon fieu! Et bon train… La route est large.

      La porte charretière était ouverte, sans que je susse par qui, ni comment.

      Le cocher toucha ses chevaux; l’équipage se prit à rouler, m’emportant vers Pont de Briques et… dans l’inconnu.

      XI. LE CŒUR A SES RAISONS!

      Le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable.

      J’en étais la preuve respirante, ambulante et constante.

      Né sincère jusqu’à la brutalité, il semblait que mon âme ne brûlât de se donner qu’à des êtres, entraînés par les nécessités de l’espionnage, aux antipodes de la sincérité. Je me faisais l’effet d’un sujet anglais, désireux immensément de se marier à l’une des jolies créoles de notre colonie de la Trinité, et qui pour atteindre ce résultat agréable, s’évertuerait à n’offrir son cœur qu’à des Chinoises.

      Ceci ne veut pas dire que les Chinoises sont méprisables, loin de là. Je me souviens qu’autour de Pékin, lorsque le Times m’y envoya à l’occasion de l’Affaire des Jades Rouges, je fus surpris par la grâce et la beauté délicate des ladies ambrées de la région.

      J’ai voulu simplement citer deux types de beauté, totalement différents, occupant chacun l’une des deux extrémités d’un diamètre terrestre.

      Les réflexions qui précèdent me remplissaient le crâne, tandis que la voiture m’emportait sur la route de Pont-de-Briques.

      Nous avions gagné les quais, à hauteur du Casino, puis filant vers le pont tournant, laissant à droite la statue du bienfaiteur Jenner, bronze et vaccine, nous avions rejoint la route qui, par Pont-de-Briques, court parallèlement à la côte jusqu’à Étaples.

      En dehors des usines de ciment Portland, aux toitures saupoudrées des poussières blanches de la fabrication, le chemin parcouru n’a rien de bien intéressant. Aussi, délaissant le paysage, m’étais-je plongé dans le spectacle que m’offrait ma pensée intérieure.

      Ah! là par exemple, je découvrais des points de vue accidentés, plus pittoresques même que je ne l’aurais souhaité.

      Je découvrais que par une pente que je n’avais pas soupçonnée jusqu’à ce moment, j’étais entraîné vers la tendresse… Et l’objet de ce sentiment était la personne mystérieuse, étrange, qui venait de me délivrer d’Agathas.

      Moi, le sincère, découvrant mon amour, à la faveur d’un déguisement!

      Nos amis français prennent les évolutions de leur cœur avec une douce et souriante philosophie. De la blonde à la brune, ils passent sans lutte, sans émoi, déclarant que leur volonté n’y est pour rien, qu’ils sont victimes d’une fatalité historique, atavique, scientifique, psychologique. Pour un peu, ils invoqueraient la loi de l’Attraction Universelle de notre grand Newton.

      Mais moi, je suis anglais, n’est-ce pas, et j’aime en anglais, ce qui signifie que je prend très au grave les conversions de mon personnage sentimental.

      Et mon évolution amative prit pour moi les proportions d’une révolution.

      J’étais au plus fort de la bataille entre mes deux «moi», dont l’un réclamait impérieusement des éclaircissements, alors que l’autre se déclarait inapte à en fournir, quand l’arrêt brusque de la voiture me rappela à la conscience de la réalité.

      Je regardai au dehors. Nous étions dans une rue. En bordure du trottoir, une maison sur laquelle se lisaient ces trois mots:

      Postes, Télégraphe, Téléphone

      Ce que vos journalistes, économes de leurs colonnes, traduisent par la formule abrégée de P. T. T.

      Au même instant, le cocher, apercevant mon visage à la portière, se penchait sur son siège et prononçait d’un accent convaincu:

      – Nous sommes arrivés, monsieur le gentleman.

      – Hein! m’exclamai-je! Arrivés? Où cela?

      – Mais au bureau des Postes de Pont-de-Briques, donc!

      – Qu’ai-je à faire au bureau de la poste, mon ami?

      L’homme haussa les épaules avec une expression de superbe indifférence.

      – Cela, je n’en sais rien, et je suppose que monsieur le gentleman veut s’amuser à mes dépens. On m’a dit: Pétreke…

      – Pétreke, répétai-je, interloqué par ce vocable inconnu?…

      – Et oui, Pétreke, comme on dit dans le pays, vu que je m’appelle Pierre, pour vous servir. Donc, la Loïse m’a dit: Pétreke, tu vas conduire le monsieur anglais à la poste de Pont-de-Briques. La carriole est payée, mais bien sûr qu’il te donnera pourboire pour la bistouille[2], s’il est content de toi.

      – On ne vous a pas dit autre chose?

      – Non, sur le nez du géant Gayant, on n’a pas ajouté un flin.

      En dépit de la locution locale, je compris que le brave garçon exprimait la vérité. Son invocation du géant Gayant, ce héros légendaire des kermesses du Nord, me démontrait sa parfaite véracité.

      Aussi, je descendis sur le trottoir, décidé à me laisser conduire par le hasard.

      Le pourboire pour la bistouille remis au cocher lui parut vraisemblablement large, car il me regarda avec attendrissement, en prononçant celle phrase dotée du plus pur parfum du terroir wallon:

      – Ah! monsieur le gentleman, la Loïse va bé sur luminer al copette del mongeonne.

      Je traduis, car tout le monde ne conçoit pas les mystères linguistiques du pays wallon:

      – Ah! monsieur, la Louise, bien sûr, illuminera jusqu’au toit de la maison.

      Puis, faisant claquer son

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<p>2</p>

La Bistouille, prononcez bistoulle, est une boisson de l’Artois «Boulonnais et Flandre» composée de café et de beaucoup d’alcool de grains ou de genièvre.