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Les derniers iroquois. Emile Chevalier
Читать онлайн.Название Les derniers iroquois
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Emile Chevalier
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Alors ils se recrutaient des Oneidas, Onondagas, Cayugas, Senecas, plus tard des Tuscarocas, six en tout; mais si puissants, mais si vaillants, qu’on les appelait les Hommes, pour les distinguer des Delawares, les Femmes, leurs courageux et infortunés adversaires.
Et cependant ils étaient braves, eux aussi, les Delawares ou Lenni-Lenapes, c’est-à-dire peuple sans mélange, comme ils se qualifiaient.
Que sont-ils devenus? Hélas! notre ambition les a anéantis. Vainqueurs et vaincus, Delawares et Iroquois, n’ont plus sur cette terre un seul représentant pur d’alliance étrangère. Les échos de l’Amérique n’entendent plus leur cri de guerre, ne redisent plus leurs glorieux exploits. Ils sont ensevelis au cénotaphe de l’histoire. Comme sur une tombe, leur nom reste, mais pour désigner quelques divisions territoriales du Canada et des États-Unis.
Qui croirait, en parcourant le chétif hameau de Caughnawagha, en rencontrant ces Bois-Brûlés[20] couverts d’habillements déguenillés comme nos mendiants européens, abrutis par l’ivrognerie et la fainéantise, que ce sont là les petits-fils – bâtards il est vrai – des Iroquois! Qui le croirait à la vue de leurs sales et chétives cahutes en boue, tristement éparpillées sur une plage fertile, mais infécondée vis à vis, et à deux pas d’une grande ville éblouissante de luxe, toute palpitante d’industrie!
Pénible spectacle! navrant contraste! Voilà ce que, sur tout le continent américain, notre civilisation a fait des propriétaires légitimes du sol. Une civilisation généreuse, charitable pourtant que la nôtre, et qui ne prétend marcher qu’armée du code de la légalité! Quelle thèse pour le philosophe! Que de réflexions sur l’incertitude de ce que nous regardons comme le droit, de ce que nous jugeons sacro-saint!
Jamais je n’ai traversé la désolée bourgade de Caughnawagha sans que mon cœur ne se serrât douloureusement et que des larmes ne montassent à mes paupières. Au milieu du désert, l’Indien avive en moi le sentiment de la puissance humaine: il me fait plaisir; quoique déjà dégénéré, quoique déjà il se soit inoculé la plupart des vices qui déshonorent les blancs, il conserve pour moi encore quelque prestige; je le vois libre, alerte, hardi dans le danger, et j’oublie volontiers sa malpropreté habituelle, sa paresse imprévoyante, sa duplicité, pour admirer sa patience à toute épreuve, son amour de l’indépendance, sa pénétration, son adresse, sa résistance aux fatigues, aux luttes du corps, ses admirables talents oratoires, son inflexible stoïcisme dans les tortures, sa sérénité devant la mort.
À l’état demi-policé, il est hideux, hideux comme tous les monstres, parce que le Peau-Rouge n’a pas été, – je le dis hautement, – créé pour l’organisation sociale des Visages-Pâles. Nos missionnaires se sont trompés, ils ont été dupés de leur zèle, pour ne pas dire plus. Chez nous, près de nous, l’Indien s’étiole, s’avilit, se suicide lentement. C’est une plante exotique qui ne peut vivre dans notre atmosphère. Nous était-il permis, sous un prétexte politique, religieux ou autre, de le traiter comme nous l’avons traité? Est-il permis aux Anglais de poursuivre cette œuvre meurtrière? Problèmes redoutables, questions difficiles que je me suis souvent posés, mais pour la solution desquels je ne me crois pas assez autorisé.
Quoi qu’il en soit, en 1837, le village de Caughnawagha n’était ni mieux, ni plus mal construit qu’il ne l’est maintenant. C’était une réunion de cabanes, avec des toits de chaume ou de planches, d’un aspect repoussant. On les avait groupées près d’une chapelle où un prêtre catholique essayait, chaque dimanche, par des instructions dans leur langue, d’attacher les Iroquois à la religion du Christ.
À l’exception d’un petit jardin attenant au presbytère et de deux ou trois lopins de terre semés de maïs, nulle trace de culture autour des huttes. Mais çà et là des flaques d’eau noirâtre où barbotaient quelques pourceaux éthiques et des nichées d’enfants dégoûtants au possible.
Pourtant, au centre du village, on remarquait une maisonnette relativement assez élégante, mais qui, par les matériaux dont elle était composée, sinon par sa forme, affectait le type du wigwam indien.
Des peaux de buffle la recouvraient entièrement. Et, au lieu d’être ouverte à tous les vents ou d’avoir une méchante porte de bois comme les autres, elle se fermait au moyen d’un rideau en cuir d’orignal, orné de broderies en rassade[21], représentant un castor et un grand aigle à tête chauve.
Ces figures étaient le totem ou écusson d’un chef. Le castor est (avec la tortue) l’emblème des Iroquois et des Canadiens qui le leur ont emprunté; l’aigle à tête chauve est un des symboles du pouvoir chez les Peaux-Rouges.
La hutte appartenait en effet à un sagamo. Sa femme, son fils et lui étaient considérés par les habitants du village comme les derniers Iroquois qui n’eussent pas dans leurs veines une seule goutte de sang mêlé.
C’était Nar-go-tou-ké, la Poudre, Ni-a-pa-ah, l’Onde-Pure, sa femme, et Co-lo-mo-o, le Petit-Aigle, leur fils unique.
Nar-go-tou-ké portait gaillardement ses cinquante années. Malgré les malheurs qui avaient abreuvé sa jeunesse, et malgré les tribulations nombreuses qui avaient assailli son âge mûr, il se tenait droit, vert et ferme comme un chêne robuste que l’ouragan a pu agiter sans le courber jamais.
Ni-a-pa-ah, au contraire, avait profondément ressenti les coups de l’infortune. Elle n’était qu’à l’été de la vie, et déjà une caducité précoce, ployait sa taille en deux. Ses cheveux si noirs, si abondants autrefois, avaient tombé et blanchi. Un inextricable réseau de rides sillonnait en tous sens son visage osseux; de larges coutures jaunâtres tranchaient sur le ton généralement bistré de sa peau et ne rappelaient que trop les atroces tortures auxquelles la pauvre squaw avait été soumise sur le mont Baker.
Ses mains brûlées n’offraient plus que des moignons informes dont elle était incapable de faire usage, même pour prendre ses aliments. De ses charmes flétris, il ne lui restait que les yeux, – ces yeux si éloquents dont le rayonnement sympathique reflétait tant d’amour et de mélancolie.
Son amour, elle l’épanchait tout entier, maintenant, sur Co-lo-mo-o, l’enfant qu’elle avait eu de Nar-go-tou-ké, un an après leur rentrée de la Nouvelle-Calédonie au Canada.
Né en 1818, le Petit-Aigle avait donc alors vingt ans passés. Beau et vaillant jeune homme s’il en fut. Il tenait de race. Taille élevée, bien prise, membres vigoureux, muscles d’acier, cœur intrépide, comme son père, il avait les traits délicats, le regard séduisant de sa mère.
Rompu à tous les exercices corporels, chasseur sans rival, pêcheur des plus habiles, Co-lo-mo-o excellait à tirer de l’arc ou du fusil, à dompter un cheval, à conduire un bateau. Nar-go-tou-ké l’avait fait instruire par le pasteur du village, et le Petit-Aigle avait appris, du digne missionnaire, le français, l’anglais, le calcul, un peu de dessin et de musique. Ostensiblement, il pratiquait la religion catholique; on l’avait baptisé sous le nom de Paul. Son précepteur s’était flatté un instant de le convertir entièrement et de le faire entrer dans les ordres. Il s’efforça de lui persuader qu’il était appelé, par une faveur divine, à aller prêcher la foi aux Peaux-Rouges de la baie d’Hudson. Mais le jeune homme avait hérité de sa grand-mère, la fameuse Vipère-Grise, un invincible penchant pour les superstitions indiennes, et les tentatives du bon abbé pour en triompher furent sans résultat.
Eût-il réussi, que les goûts de Co-lo-mo-o l’auraient tourné vers une autre profession.
Jamais, du reste, Nar-go-tou-ké n’aurait consenti à laisser son fils embrasser la carrière ecclésiastique. N’espérait-il point que par lui la race iroquoise revivrait un jour et finirait par reconquérir les territoires dont l’avaient spoliée les Visages-Pâles?
Cette espérance, le Petit-Aigle la caressait aussi. Il était heureux et fier de la proclamer.
Les