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Les derniers iroquois. Emile Chevalier
Читать онлайн.Название Les derniers iroquois
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Emile Chevalier
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Le sagamo accepta. Nar-go-tou-ké et sa femme, surpris au sein de leur sommeil, furent garrottés et entraînés vers les loges des Grosses-Babines, sur les premières rampes du mont Baker.
Li-li-pu-i s’était engagé à faire périr Nar-go-tou-ké et à conduire Ni-a-pa-ah au chef facteur, dans une hutte de chasse que ce dernier possédait à vingt milles environ du fort Langley, près de l’ienhus[4] de ses alliés.
Toutefois, en route, Li-li-pu-i changea d’idée. Les attraits de l’Iroquoise lui tournèrent la tête. Au lieu de la mener à son rival, il prit la détermination de l’épouser.
Cette détermination fut aussitôt mise à exécution.
Avec la pointe de son couteau, Li-li-pu-i marqua Ni-a-pa-ah sur l’épaule, d’une figure de fer de flèche émoussé, signe de la servitude dans la Nouvelle-Calédonie tout aussi bien que dans la Colombie, et la petite fille de la Chaudière-Noire devint dès lors la femme esclave d’un Grosse-Babine.
Je laisse à penser quel fut le désespoir de Nar-go-tou-ké, témoin impuissant de la cérémonie. Sa douleur ne saurait être comparée qu’à celle de la désolée Ni-a-pa-ah. Mais la noble Iroquoise était bien résolue à se tuer plutôt que de se laisser souiller par son odieux ravisseur.
Un accident survenu à Li-li-pu-i, le soir même de son mariage, prévint cette funeste résolution.
Comme ils approchaient du village des Indiens, le cheval du chef s’emporta, et, après une course effrénée dans la montagne, il s’abattit sur son maître.
Quand on releva Li-li-pu-i, il avait cessé de vivre.
Suivant les usages des Grosses-Babines, le corps devait être brûlé sur un bûcher au milieu de la nuit suivante, et sa veuve devait prendre à l’incinération une part aussi active que dangereuse.
On sait comment Ni-a-pa-ah s’acquitta de cette horrible tâche.
Lorsqu’elle eut recouvré ses sens, elle était enfermée et gardée à vue dans la cabane d’un de ses ennemis. À son cou pendait le sac qui contenait les cendres de Li-li-pu-i. Ce sac, si elle fût restée parmi les Grosses-Babines, elle eût, d’après la coutume, été condamnée à le porter ainsi pendant trois ans, avec défense de se laver ou d’apporter aucun soin à sa toilette. Le terme du deuil expiré, les parents du défunt se seraient livrés à de grandes réjouissances, et, après avoir déposé dans un coffret d’écorce de cèdre et fixé à une longue perche les restes du trépassé, dépouillant Ni-a-pa-ah de ses vêtements, ils l’auraient enduite de colle de poisson liquide et roulée sur un tas de duvet de cygne; le tout accompagné de danses, festins et tabagies. Enfin, la pauvre femme, ramenée en grande pompe chez elle, aurait joui de la permission de se remarier, si toutefois, comme le dit un voyageur, «elle se fût senti assez de courage pour s’aventurer à courir de nouveau le risque de brûler vive ou d’endurer tous ces tourments».
Mais Ni-a-pa-ah eut le bonheur d’échapper à ce surcroît d’afflictions.
Nar-go-tou-ké n’avait été qu’étourdi par le coup de tomahawk. Resté esclave chez les Grosses-Babines, il parvint à leur arracher sa femme lorsqu’elle fut guérie de ses plaies, quoique hideusement défigurée et incapable de se servir désormais de ses mains.
Ils prirent la fuite, retraversèrent les steppes immenses qu’ils avaient franchis naguère bercés par des illusions si enivrantes, et retournèrent à Caughnawagha, au commencement de 1817.
– Ah! dit la Vipère-Grise, en remarquant le triste état de sa fille, Athahuata[5] m’avait prévenue que cette expédition serait fatale à ma famille, Athahuata ne trompe pas ceux qui ont foi en lui. Pourquoi mon fils ne m’a-t-il pas écoutée?
Sans lui répondre, Nar-go-tou-ké abaissa un regard sombre et douloureux sur Ni-a-pa-ah; puis, relevant les yeux et étendant la main dans la direction de Montréal, qu’on apercevait dans le lointain, il s’écria:
– Là sont les destructeurs de ma race; là sont ceux qui ont fait pleurer celle qui est la joie et les délices de mon existence; là, Nar-go-tou-ké détruira ses ennemis; il fera pleurer à leurs femmes tous les pleurs de leurs yeux.
– Que mon fils prenne garde, qu’il prenne bien garde! dit la Vipère-Grise d’un accent prophétique. Athaënsie[6] est irrité contre lui. Les Habits-Rouges[7] lui seront fatals: ils tueront jusqu’au dernier des Iroquois!
II. Montréal
Trois cent vingt-sept ans se sont écoulés depuis que l’illustre Jacques Cartier foula, pour la première fois, le sol sur lequel s’élève aujourd’hui la ville de Montréal. Qui eût osé prédire alors au pilote malouin que, bientôt, ces terres incultes, occupées par des bois inextricables, des landes marécageuses et par la chétive bourgade indienne connue sous le nom de Hochelaga, fructifieraient aux rayons vivificateurs de l’industrie et verraient surgir de leur sein une des opulentes cités du Nouveau-Monde? Qui eût osé le prédire à M. de Maisonneuve, quand, un siècle plus tard à peine, il vint asseoir dans ces plaines les bases de la métropole actuelle du Canada? Aux deux intrépides aventuriers ne pourrions-nous appliquer le cri d’enthousiasme échappé à M. F.-X, Garneau en parlant du premier?
«S’il était permis, aujourd’hui, à Jacques Cartier de sortir du tombeau pour contempler le vaste pays qu’il a livré, couvert de forêts et de hordes barbares, à l’entreprise et à la civilisation européenne, quel spectacle plus digne pourrait exciter dans son cœur l’orgueil d’un fondateur d’empire, le noble orgueil de ces hommes privilégiés dont le nom grandit chaque jour avec les conséquences de leurs grandes actions. L’Amérique a cela de particulier qu’elle a été trouvée et qu’elle s’est faite ce qu’elle est, moins par les armes que par les travaux les plus productifs, et que c’est en séchant les larmes des malheureux que la persécution ou la misère chassait d’Europe, qu’elle assurait son bonheur et sa prospérité[8]».
Au mois de septembre 1535, Cartier, qui avait précédemment reconnu les bords du Saint-Laurent jusqu’au confluent de la rivière Saint-Charles avec ce fleuve, désire poursuivre ses explorations. Il remet à la voile, et, après une navigation de treize jours sur le grand fleuve, il débarque à Hochelaga, village algonquin situé à soixante lieues plus haut.
«Hochelaga, dit M. Garneau, se composait d’une cinquantaine de maisons en bois, de cinquante pas de long sur douze ou quinze de large, couvertes d’écorces cousues ensemble avec beaucoup de soin. Chaque maison contenait plusieurs chambres distribuées autour d’une grande salle carrée où la famille se tenait habituellement et faisait son ordinaire. Le village lui-même était entouré d’une triple enceinte circulaire palissadée, percée d’une seule porte fermant à barre. Des galeries régnaient en plusieurs endroits en haut de cette enceinte, et au-dessus de la porte, avec des échelles pour y monter et des amas de pierres déposées au pied pour la défense. Dans le milieu de la bourgade se trouvait une grande place[9]».
Voilà le berceau de Montréal.
Les années fuient sur le cadran des âges, insensiblement, et malgré l’incurie si déplorable du gouvernement français, le Canada se peuple, Champlain commence la ville de Québec; des établissements se forment à Sillery, à Trois-Rivières[10], des missionnaires catholiques, la croix d’une main, la houe ou l’arquebuse de l’autre, se répandent partout, convertissant les Indiens, défrichant les terres, érigeant des fermes et des maisons d’éducation.
Mais c’est en 1640 seulement que la richesse du site de Hochelaga attire l’attention. Ce site est une île longue de neuf lieues sur deux et demie de large environ. Une compagnie de négociants français se la fait concéder et y envoie un de ses membres, Paul de Chomedy, sieur de Maisonneuve, gentilhomme champenois, avec ordre d’y implanter une colonie.
«Il partit pour le Canada le cœur plein de joie. En arrivant, le gouverneur voulut en vain le fixer dans l’île d’Orléans[11], pour ne pas être exposé aux attaques des Iroquois; il ne voulut pas se laisser intimider par