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Quatrevingt treize. Victor Hugo
Читать онлайн.Название Quatrevingt treize
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Victor Hugo
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
La femme murmura dans un bégaiement presque indistinct:
– Michelle Fléchard.
Cependant la vivandière caressait avec sa grosse main la petite tête du nourrisson.
– Quel âge a ce môme? demanda-t-elle.
La mère ne comprit pas. La vivandière insista.
– Je vous demande l’âge de çà.
– Ah! dit la mère, dix-huit mois.
– C’est vieux, dit la vivandière. Ça ne doit plus téter. Il faudra me sevrer çà. Nous lui donnerons de la soupe.
La mère commençait à se rassurer. Les deux petits qui s’étaient réveillés étaient plus curieux qu’effrayés. Ils admiraient les plumets.
– Ah! dit la mère, ils ont bien faim.
Et elle ajouta:
– Je n’ai plus de lait.
– On leur donnera à manger, cria le sergent, et à toi aussi. Mais ce n’est pas tout çà. Quelles sont tes opinions politiques?
La femme regarda le sergent et ne répondit pas.
– Entends-tu ma question?
Elle balbutia:
– J’ai été mise au couvent toute jeune, mais je me suis mariée, je ne suis pas religieuse. Les soeurs m’ont appris à parler français. On a mis le feu au village. Nous nous sommes sauvés si vite que je n’ai pas eu le temps de mettre des souliers.
– Je te demande quelles sont tes opinions politiques?
– Je ne sais pas ça.
Le sergent poursuivit:
– C’est qu’il y a des espionnes. Ça se fusille, les espionnes. Voyons. Parle. Tu n’es pas bohémienne? Quelle est ta patrie?
Elle continua de le regarder comme ne comprenant pas. Le sergent répéta:
– Quelle est ta patrie?
– Je ne sais pas, dit-elle.
– Comment, tu ne sais pas quel est ton pays?
– Ah! mon pays. Si fait.
– Eh bien, quel est ton pays? La femme répondit:
– C’est la métairie de Siscoignard, dans la paroisse d’Azé.
Ce fut le tour du sergent d’être stupéfait. Il demeura un moment pensif, puis il reprit:
– Tu dis?
– Siscoignard.
– Ce n’est pas une patrie, ça.
– C’est mon pays.
Et la femme, après un instant de réflexion, ajouta:
– Je comprends, monsieur. Vous êtes de France, moi je suis de Bretagne.
– Eh bien?
– Ce n’est pas le même pays.
– Mais c’est la même patrie! cria le sergent.
La femme se borna à répondre:
– Je suis de Siscoignard.
– Va pour Siscoignard, repartit le sergent. C’est de là qu’est ta famille?
– Oui.
– Que fait-elle?
– Elle est toute morte. Je n’ai plus personne.
Le sergent, qui était un peu beau parleur, continua l’interrogatoire.
– On a des parents, que diable! ou on en a eu. Qui es-tu? Parle.
La femme écouta, ahurie, cet – ou on en a eu – qui ressemblait plus à un cri de bête qu’à une parole humaine.
La vivandière sentit le besoin d’intervenir. Elle se remit à caresser l’enfant qui tétait, et donna une tape sur la joue aux deux autres.
– Comment s’appelle la téteuse? demanda-t-elle; car c’est une fille, ça.
La mère répondit: Georgette.
– Et l’aîné? car c’est un homme, ce polisson-là.
– René-Jean.
– Et le cadet? car lui aussi, il est un homme, et joufflu encore!
– Gros-Alain, dit la mère.
– Ils sont gentils, ces petits, dit la vivandière; çà vous a déjà des airs d’être des personnes.
Cependant le sergent insistait.
– Parle donc, madame. As-tu une maison?
– J’en avais une.
– Où çà?
– À Azé.
– Pourquoi n’es-tu pas dans ta maison?
– Parce qu’on l’a brûlée.
– Qui çà?
– Je ne sais pas. Une bataille.
– D’où viens-tu?
– De là.
– Où vas-tu?
– Je ne sais pas.
– Arrive au fait. Qui es-tu?
– Je ne sais pas.
– Tu ne sais pas qui tu es?
– Nous sommes des gens qui nous sauvons.
– De quel parti es-tu?
– Je ne sais pas.
– Es-tu des bleus? Es-tu des blancs? Avec qui es-tu?
– Je suis avec mes enfants.
Il y eut une pause. La vivandière dit:
– Moi, je n’ai pas eu d’enfants. Je n’ai pas eu le temps.
Le sergent recommença.
– Mais tes parents! Voyons, madame, mets-nous au fait de tes parents. Moi, je m’appelle Radoub; je suis sergent, je suis de la rue du Cherche-Midi, mon père et ma mère en étaient, je peux parler de mes parents. Parle-nous des tiens. Dis-nous ce que c’était que tes parents.
– C’étaient les Fléchard. Voilà tout.
– Oui, les Fléchard sont les Fléchard, comme les Radoub sont les Radoub. Mais on a un état. Quel était l’état de tes parents? Qu’est-ce qu’ils faisaient? Qu’est-ce qu’ils font? Qu’est-ce qu’ils fléchardaient, tes Fléchard?
C’étaient des laboureurs. Mon père était infirme et ne pouvait travailler à cause qu’il avait reçu des coups de bâton que le seigneur, son seigneur, notre seigneur, lui avait fait donner, ce qui était une bonté, parce que mon père avait pris un lapin, pour le fait de quoi on était jugé à mort; mais le seigneur avait fait grâce et avait dit: Donnez-lui seulement cent coups de bâton; et mon père était demeuré estropié.
– Et puis?
– Mon grand-père était huguenot. Monsieur le curé l’a fait envoyer aux galères. J’étais toute petite.
– Et puis?
– Le père de mon mari était un faux-saulnier[1]. Le roi l’a fait pendre.
– Et ton mari, qu’est-ce qu’il fait?
– Ces jours-ci, il se battait.
– Pour qui?
– Pour le roi.
– Et puis?
– Dame, pour son seigneur.
– Et puis?
– Dame, pour monsieur le curé.
– Sacré