ТОП просматриваемых книг сайта:
Quatrevingt treize. Victor Hugo
Читать онлайн.Название Quatrevingt treize
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Victor Hugo
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
– Au fait, dit-il, l’escadre est de seize bâtiments. Il n’y en a ici que huit.
– Le reste, dit Gacquoil, traîne par là-bas sur toute la côte, et espionne.
Le capitaine, tout en regardant à travers sa longue-vue, murmura:
– Un vaisseau à trois ponts, deux frégates de premier rang, cinq de deuxième rang.
– Mais moi aussi, grommela Gacquoil, je les ai espionnés.
– Bons bâtiments, dit le capitaine. J’ai un peu commandé tout cela.
– Moi, dit Gacquoil, je les ai vus de près. Je ne prends pas l’un pour l’autre. J’ai leur signalement dans la cervelle.
Le capitaine passa sa longue-vue au pilote.
– Pilote, distinguez-vous bien le bâtiment de haut bord?
– Oui, mon commandant, c’est le vaisseau la Côte-d’Or.
– Qu’ils ont débaptisé, dit le capitaine. C’était autrefois les États-de-Bourgogne. Un navire neuf. Cent vingt-huit canons.
Il tira de sa poche un carnet et un crayon, et écrivit sur le carnet le chiffre 128.
Il poursuivit:
– Pilote, quelle est la première voile à bâbord?
– C’est l’Expérimentée.
– Frégate de premier rang. Cinquante-deux canons. Elle était en armement à Brest il y a deux mois.
Le capitaine marqua sur son carnet le chiffre 52.
– Pilote, reprit-il, quelle est la deuxième voile à bâbord?
– La Dryade.
– Frégate de premier rang. Quarante canons de dix-huit. Elle a été dans l’Inde. Elle a une belle histoire militaire.
Et il écrivit au-dessous du chiffre 52 le chiffre 40; puis, relevant la tête:
– À tribord, maintenant.
– Mon commandant, ce sont toutes des frégates de second rang. Il y en a cinq.
– Quelle est la première à partir du vaisseau?
– La Résolue.
– Trente-deux pièces de dix-huit. Et la seconde?
– La Richemont.
– Même force. Après?
– L’Athée.
– Drôle de nom pour aller en mer. Après?
– La Calypso.
– Après?
– La Preneuse.
– Cinq frégates de trente-deux chaque.
Le capitaine écrivit au-dessous des premiers chiffres, 160.
– Pilote, dit-il, vous les reconnaissez bien?
– Et vous, répondit Gacquoil, vous les connaissez bien, mon commandant. Reconnaître est quelque chose, connaître est mieux.
Le capitaine avait l’oeil fixé sur son carnet et additionnait entre ses dents.
– Cent vingt-huit, cinquante-deux, quarante, cent soixante.
En ce moment La Vieuville remontait sur le pont.
– Chevalier, lui cria le capitaine, nous sommes en présence de trois cent quatre-vingts pièces de canon.
– Soit, dit La Vieuville.
– Vous revenez de l’inspection, La Vieuville; combien décidément avons-nous de pièces en état de faire feu?
– Neuf.
– Soit, dit à son tour Boisberthelot.
Il reprit la longue-vue des mains du pilote, et regarda l’horizon.
Les huit navires silencieux et noirs semblaient immobiles, mais ils grandissaient.
Ils se rapprochaient insensiblement.
La Vieuville fit le salut militaire.
– Commandant, dit La Vieuville, voici mon rapport. Je me défiais de cette corvette Claymore. C’est toujours ennuyeux d’être embarqué brusquement sur un navire qui ne vous connaît pas ou qui ne vous aime pas. Navire anglais, traître aux Français. La chienne de caronade l’a prouvé. J’ai fait la visite. Bonnes ancres. Ce n’est pas du fer de loupe, c’est forgé avec des barres soudées au martinet. Les cigales des ancres sont solides. Câbles excellents, faciles à débiter, ayant la longueur d’ordonnance, cent vingt brasses. Force munitions. Six canonniers morts. Cent soixante et onze coups à tirer par pièce.
– Parce qu’il n’y a plus que neuf pièces, murmura le capitaine.
Boisberthelot braqua sa longue-vue sur l’horizon.
La lente approche de l’escadre continuait.
Les caronades ont un avantage, trois hommes suffisent pour les manoeuvrer; mais elles ont un inconvénient, elles portent moins loin et tirent moins juste que les canons. Il fallait donc laisser arriver l’escadre à portée de caronade.
Le capitaine donna ses ordres à voix basse. Le silence se fit dans le navire. On ne sonna point le branle-bas, mais on l’exécuta. La corvette était aussi hors de combat contre les hommes que contre les flots. On tira tout le parti possible de ce reste de navire de guerre. On accumula près des drosses, sur le passavant, tout ce qu’il y avait d’aussières et de grelins de rechange pour raffermir au besoin la mâture. On mit en ordre le poste des blessés. Selon la mode navale d’alors, on bastingua le pont, ce qui est une garantie contre les balles, mais non contre les boulets. On apporta les passe-balles, bien qu’il fût un peu tard pour vérifier les calibres; mais on n’avait pas prévu tant d’incidents. Chaque matelot reçut une giberne et mit dans sa ceinture une paire de pistolets et un poignard. On plia les branles; on pointa l’artillerie; on prépara la mousqueterie; on disposa les haches et les grappins; on tint prêtes les soutes à gargousses et les soutes à boulets; on ouvrit la soute aux poudres. Chaque homme prit son poste. Tout cela sans dire une parole et comme dans la chambre d’un mourant. Ce fut rapide et lugubre.
Puis on embossa la corvette. Elle avait six ancres comme une frégate. On les mouilla toutes les six; l’ancre de veille à l’avant, l’ancre de toue à l’arrière, l’ancre de flot du côté du large, l’ancre de jusant du côté des brisants, l’ancre d’affourche à tribord et la maîtresse-ancre à bâbord.
Les neuf caronades qui restaient vivantes furent mises en batterie toutes les neuf d’un seul côté, du côté de l’ennemi.
L’escadre, non moins silencieuse, avait, elle aussi, complété sa manoeuvre. Les huit bâtiments formaient maintenant un demi-cercle dont les Minquiers faisaient la Corde. La Claymore, enfermée dans ce demi-cercle, et d’ailleurs garrottée par ses propres ancres, était adossée à l’écueil, c’est-à-dire au naufrage.
C’était comme une meute autour d’un sanglier, ne donnant pas de voix, mais montrant les dents.
Il semblait de part et d’autre qu’on s’attendait.
Les canonniers de la Claymore étaient à leurs pièces.
Boisberthelot dit à La Vieuville:
– Je tiendrais à commencer le feu.
– Plaisir de coquette, dit La Vieuville.
IX. QUELQU’UN ÉCHAPPE
Le passager n’avait pas quitté le pont, il observait tout, impassible.
Boisberthelot s’approcha