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Mont Oriol. Guy de Maupassant
Читать онлайн.Название Mont Oriol
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Guy de Maupassant
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
– Oh! le joli pays, je suis tout à fait contente!
Les quelques baigneurs errant tristement dans le petit parc silencieux se retournèrent à son passage, et Petrus Martel qui fumait sa pipe, en manches de chemise à la fenêtre du billard, appela son compère Lapalme, assis dans un coin devant un verre de vin blanc, en disant avec un claquement de langue:
– Bigre, voilà du nanan.
Christiane pénétra dans l’établissement, salua d’un sourire le caissier assis à gauche de l’entrée, et d’un bonjour l’ancien geôlier assis à droite; puis, tendant un billet à une baigneuse vêtue comme celle de la buvette, elle la suivit dans un corridor où donnaient les portes des salles de bains.
On la fit entrer dans l’une d’elles, assez vaste, aux murs nus, meublée d’une chaise, d’une glace et d’un chausse-pied, tandis qu’un grand trou ovale, enduit de ciment jaune comme le sol, servait de baignoire.
La femme tourna une clef pareille à celles qui font couler les ruisseaux des rues, et l’eau jaillit par une petite ouverture ronde et grillée au fond de cette cuve, qui fut bientôt remplie jusqu’aux bords, et qui déversait son trop-plein par une rigole s’enfonçant dans le mur.
Christiane, qui avait laissé sa femme de chambre à l’hôtel, refusa, pour se dévêtir, les soins de l’Auvergnate et resta seule, disant qu’elle sonnerait, si elle avait besoin de quelque chose, et pour son linge.
Et elle se déshabilla lentement, en regardant le presque invisible mouvement de cette onde remuée dans ce bassin clair. Lorsqu’elle fut nue, elle trempa son pied dedans et une bonne sensation chaude monta jusqu’à sa gorge: puis elle enfonça dans l’eau tiède une jambe d’abord, l’autre ensuite, et s’assit dans cette chaleur, dans cette douceur, dans ce bain transparent, dans cette source qui coulait sur elle, autour d’elle, couvrant son corps de petites bulles de gaz, tout le long des jambes, tout le long des bras, et sur les seins aussi. Elle regardait avec surprise ces innombrables et si fines gouttes d’air qui l’habillaient des pieds à la tête d’une cuirasse entière de perles menues. Et ces perles, si petites, s’envolaient sans cesse de sa chair blanche, et venaient s’évaporer à la surface du bain, chassées par d’autres qui naissaient sur elle. Elles naissaient sur sa peau comme des fruits légers, insaisissables et charmants, les fruits de ce corps mignon, rose et frais, qui faisait pousser dans l’eau des perles.
Et Christiane se sentait si bien là-dedans, si doucement, si mollement, si délicieusement caressée, étreinte par l’onde agitée, l’onde vivante, l’onde animée de la source qui jaillissait au fond du bassin, sous ses jambes, et s’enfuyait par le petit trou dans le rebord de sa baignoire, qu’elle aurait voulu rester là toujours, sans remuer, presque sans songer. La sensation d’un bonheur calme, fait de repos et de bien-être, de tranquille pensée, de santé, de joie discrète et de gaîté silencieuse, entrait en elle avec la chaleur exquise de ce bain. Et son esprit rêvait, vaguement bercé par le glouglou du trop-plein qui s’écoulait, il rêvait à ce qu’elle ferait tantôt, à ce qu’elle ferait demain, à des promenades, à son père, à son mari, à son frère et à ce grand garçon qui la gênait un peu depuis l’aventure du chien. Elle n’aimait pas les gens violents.
Aucun désir n’agitait son âme, calme comme son coeur dans cette eau tiède, aucun désir, sauf cette confuse espérance d’un enfant, aucun désir d’une vie autre, d’émotion ou de passion. Elle se sentait bien, heureuse et contente.
Elle eut peur; on ouvrait sa porte: c’était l’Auvergnate apportant le linge. Les vingt minutes étaient passées; il fallait déjà s’habiller. Ce fut presque un chagrin, presque un malheur que ce réveil; elle avait envie de prier la femme de la laisser encore quelques minutes, puis elle réfléchit que tous les jours elle retrouverait cette joie, et elle sortit de l’eau avec regret pour se rouler dans un peignoir chaud, qui la brûlait un peu.
Comme elle s’en allait, le docteur Bonnefille ouvrit la porte de son cabinet de consultation et la pria d’entrer, en la saluant avec cérémonie. Il s’informa de sa santé, lui tâta le pouls, regarda sa langue, prit des nouvelles de son appétit et de sa digestion, l’interrogea sur son sommeil, puis la reconduisit jusqu’à l’entrée de l’appartement en répétant:
– Allons, allons, ça va bien, ça va bien. Mes respects, s’il vous plaît, à monsieur votre père, un des hommes les plus distingués que j’aie rencontrés dans ma carrière.
Elle sortit enfin, ennuyée déjà de cette obsession, et devant la porte elle aperçut le marquis qui causait avec Andermatt, Gontran et Paul Brétigny.
Son mari, dans la tête de qui toute idée nouvelle bourdonnait sans repos, comme une mouche dans une bouteille, racontait l’histoire du paralytique, et voulait retourner voir si le vagabond prenait son bain.
On y alla, pour lui plaire.
Mais Christiane, tout doucement, retint son frère en arrière, et, lorsqu’ils furent un peu loin des autres:
– Dis donc, je voulais te parler de ton ami; il ne me plaît pas beaucoup, à moi. Explique-moi au juste ce qu’il est.
Et Gontran, qui connaissait Paul depuis plusieurs années, raconta cette nature passionnée, brutale, sincère et bonne, par élans.
C’était, disait-il, un garçon intelligent, dont l’âme brusque se jetait dans les idées avec impétuosité. Cédant à toutes ses impulsions, ne sachant ni se maîtriser, ni se diriger, ni combattre une sensation par un raisonnement, ni gouverner sa vie avec une méthode faite de convictions méditées, il obéissait à ses entraînements, excellents ou détestables, dès qu’un désir, dès qu’une pensée, dès qu’une émotion quelconque troublait sa nature exaltée.
Il s’était battu déjà sept fois en duel, aussi prompt à insulter les gens qu’à devenir ensuite leur ami; il avait eu des furies d’amour pour des femmes de toutes classes, adorées avec un égal emportement, depuis l’ouvrière cueillie au seuil de son magasin, jusqu’à l’actrice enlevée, oui enlevée, le soir d’une première représentation, comme elle posait le pied dans son coupé pour rentrer chez elle, et emportée par lui, dans ses bras, au milieu des passants stupéfaits, et jetée dans une voiture qui disparaissait au galop sans qu’on pût la suivre ou la rattraper.
Et Gontran conclut:
– Voilà. C’est un bon garçon, mais un fou; très riche d’ailleurs, et capable de tout, de tout, de tout quand il perd la tête.
Christiane reprit:
– Quel singulier parfum il a, ça sent très bon. Qu’est-ce que c’est?
Gontran répondit:
– Je n’en sais rien, il ne veut pas le dire; je crois que ça vient de Russie. C’est l’actrice, son actrice, celle dont je le guéris en ce moment, qui lui a donné cela. Oui, ça sent très bon en effet.
On apercevait sur la route un attroupement de baigneurs et de paysans, car on avait coutume, chaque matin avant le déjeuner, de faire un tour sur ce chemin.
Christiane et Gontran rejoignirent le marquis, Andermatt et Paul, et ils virent bientôt, à la place où la veille encore s’élevait le morne, une tête humaine, bizarre, coiffée d’une loque de feutre gris, couverte d’une grande barbe blanche, et qui sortait de terre, une sorte de tête de décapité qu’on aurait cru poussée là, comme une plante. Autour d’elle, des vignerons stupéfaits regardaient, impassibles, les Auvergnats n’étant point moqueurs, tandis que trois gros messieurs, clients des hôtels de second ordre, riaient et plaisantaient.
Oriol et son fils, debout, contemplaient le vagabond qui trempait dans son trou, assis sur une pierre, avec de l’eau jusqu’au menton.