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Notre Dame de Paris. Victor Hugo
Читать онлайн.Название Notre Dame de Paris
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Victor Hugo
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Il entra donc, salua l’assistance avec ce sourire héréditaire des grands pour le peuple, et se dirigea à pas lents vers son fauteuil de velours écarlate, en ayant l’air de songer à tout autre chose. Son cortège, ce que nous appellerions aujourd’hui son état-major d’évêques et d’abbés, fit irruption à sa suite dans l’estrade, non sans redoublement de tumulte et de curiosité au parterre. C’était à qui se les montrerait, se les nommerait, à qui en connaîtrait au moins un; qui, monsieur l’évêque de Marseille, Alaudet, si j’ai bonne mémoire; qui, le primicier de Saint-Denis; qui, Robert de Lespinasse, abbé de Saint-Germain-des-Prés, ce frère libertin d’une maîtresse de Louis XI: le tout avec force méprises et cacophonies. Quant aux écoliers, ils juraient. C’était leur jour, leur fête des fous, leur saturnale, l’orgie annuelle de la basoche et de l’école. Pas de turpitude qui ne fût de droit ce jour-là et chose sacrée. Et puis il y avait de folles commères dans la foule, Simone Quatrelivres, Agnès la Gadine, Robine Piédebou. N’était-ce pas le moins qu’on pût jurer à son aise et maugréer un peu le nom de Dieu, un si beau jour, en si bonne compagnie de gens d’église et de filles de joie? Aussi ne s’en faisaient-ils faute; et, au milieu du brouhaha, c’était un effrayant charivari de blasphèmes et d’énormités que celui de toutes ces langues échappées, langues de clercs et d’écoliers contenues le reste de l’année par la crainte du fer chaud de saint Louis. Pauvre saint Louis, quelle nargue ils lui faisaient dans son propre palais de justice! Chacun d’eux, dans les nouveaux venus de l’estrade, avait pris à partie une soutane noire, ou grise, ou blanche, ou violette. Quant à Joannes Frollo de Molendino, en sa qualité de frère d’un archidiacre, c’était à la rouge qu’il s’était hardiment attaqué, et il chantait à tue-tête, en fixant ses yeux effrontés sur le cardinal: Cappa repleta mero[15]!
Tous ces détails, que nous mettons ici à nu pour l’édification du lecteur, étaient tellement couverts par la rumeur générale qu’ils s’y effaçaient avant d’arriver jusqu’à l’estrade réservée. D’ailleurs le cardinal s’en fût peu ému, tant les libertés de ce jour-là étaient dans les mœurs. Il avait du reste, et sa mine en était toute préoccupée, un autre souci qui le suivait de près et qui entra presque en même temps que lui dans l’estrade. C’était l’ambassade de Flandre.
Non qu’il fût profond politique, et qu’il se fît une affaire des suites possibles du mariage de madame sa cousine Marguerite de Bourgogne avec monsieur son cousin Charles, dauphin de Vienne; combien durerait la bonne intelligence plâtrée du duc d’Autriche et du roi de France, comment le roi d’Angleterre prendrait ce dédain de sa fille, cela l’inquiétait peu, et il fêtait chaque soir le vin du cru royal de Chaillot, sans se douter que quelques flacons de ce même vin (un peu revu et corrigé, il est vrai, par le médecin Coictier), cordialement offerts à Édouard IV par Louis XI, débarrasseraient un beau matin Louis XI d’Édouard IV. La moult honorée ambassade de monsieur le duc d’Autriche n’apportait au cardinal aucun de ces soucis, mais elle l’importunait par un autre côté. Il était en effet un peu dur, et nous en avons déjà dit un mot à la deuxième page de ce livre, d’être obligé de faire fête et bon accueil, lui Charles de Bourbon, à je ne sais quels bourgeois; lui cardinal, à des échevins; lui Français, joyeux convive, à des Flamands buveurs de bière; et cela en public. C’était là, certes, une des plus fastidieuses grimaces qu’il eût jamais faites pour le bon plaisir du roi.
Il se tourna donc vers la porte, et de la meilleure grâce du monde (tant il s’y étudiait), quand l’huissier annonça d’une voix sonore: Messieurs les envoyés de monsieur le duc d’Autriche. Il est inutile de dire que la salle entière en fit autant.
Alors arrivèrent, deux par deux, avec une gravité qui faisait contraste au milieu du pétulant cortège ecclésiastique de Charles de Bourbon, les quarante-huit ambassadeurs de Maximilien d’Autriche, ayant en tête révérend père en Dieu, Jehan, abbé de Saint-Bertin, chancelier de la Toison d’or, et Jacques de Goy, sieur Dauby, haut bailli de Gand. Il se fit dans l’assemblée un grand silence accompagné de rires étouffés pour écouter tous les noms saugrenus et toutes les qualifications bourgeoises que chacun de ces personnages transmettait imperturbablement à l’huissier, qui jetait ensuite noms et qualités pêle-mêle et tout estropiés à travers la foule. C’était maître Loys Roelof, échevin de la ville de Louvain; messire Clays d’Etuelde, échevin de Bruxelles; messire Paul de Baeust, sieur de Voirmizelle, président de Flandre; maître Jehan Coleghens, bourgmestre de la ville d’Anvers; maître George de la Moere, premier échevin de la kuere de la ville de Gand; maître Gheldolf van der Hage, premier échevin des parchons de ladite ville; et le sieur de Bierbecque, et Jehan Pinnock, et Jehan Dymaerzelle, etc., etc., etc., baillis, échevins, bourgmestres; bourgmestres, échevins, baillis; tous roides, gourmés, empesés, endimanchés de velours et de damas, encapuchonnés de cramignoles de velours noir à grosses houppes de fil d’or de Chypre; bonnes têtes flamandes après tout, figures dignes et sévères, de la famille de celles que Rembrandt fait saillir si fortes et si graves sur le fond noir de sa Ronde de nuit; personnages qui portaient tous écrit sur le front que Maximilien d’Autriche avait eu raison de se confier à plain, comme disait son manifeste, en leur sens, vaillance, expérience, loyaultez et bonnes preudomies.
Un excepté pourtant. C’était un visage fin, intelligent, rusé, une espèce de museau de singe et de diplomate, au-devant duquel le cardinal fit trois pas et une profonde révérence, et qui ne s’appelait pourtant que Guillaume Rym, conseiller et pensionnaire de la ville de Gand.
Peu de personnes savaient alors ce que c’était que Guillaume Rym. Rare génie qui dans un temps de révolution eût paru avec éclat à la surface des événements, mais qui au quinzième siècle était réduit aux caverneuses intrigues et à vivre dans les sapes, comme dit le duc de Saint-Simon. Du reste, il était apprécié du premier sapeur de l’Europe, il machinait familièrement avec Louis XI, et mettait souvent la main aux secrètes besognes du roi. Toutes choses fort ignorées de cette foule qu’émerveillaient les politesses du cardinal à cette chétive figure de bailli flamand.
IV. MAÎTRE JACQUES COPPENOLE
Pendant que le pensionnaire de Gand et l’éminence échangeaient une révérence fort basse et quelques paroles à voix plus basse encore, un homme à haute stature, à large face, à puissantes épaules, se présentait pour entrer de front avec Guillaume Rym: on eût dit un dogue auprès d’un renard. Son bicoquet de feutre et sa veste de cuir faisaient tache au milieu du velours et de la soie qui l’entouraient. Présumant que c’était quelque palefrenier fourvoyé, l’huissier l’arrêta.
«Hé, l’ami! on ne passe pas.»
L’homme à veste de cuir le repoussa de l’épaule.
«Que me veut ce drôle? dit-il avec un éclat de voix qui rendit la salle entière attentive à cet étrange colloque. Tu ne vois pas que j’en suis?
– Votre nom? demanda l’huissier.
– Jacques Coppenole.
– Vos qualités?
– Chaussetier, à l’enseigne des Trois Chaînettes, à Gand.»
L’huissier recula. Annoncer des échevins et des bourgmestres, passe; mais un chaussetier, c’était dur. Le cardinal était sur les épines. Tout le peuple écoutait et regardait. Voilà deux jours que son Éminence s’évertuait à lécher ces ours flamands pour les rendre un peu plus présentables en public, et