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      Elle et Emeline allèrent sur l'île, qu'elles atteignirent en passant par un des gués. Elles gardèrent la tête basse, se mêlèrent à la foule autant que possible, surtout quand Cora vit la silhouette masquée d'une prêtresse errer dans la foule en dispensant les bénédictions de sa déesse.

      Cora se trouva attirée vers un espace où des acteurs interprétaient La Danse de St. Cuthbert, bien que ce ne soit pas la version sérieuse qu'on avait parfois donnée au palais. Cette version contenait beaucoup plus d'humour obscène et de prétendus combats à l'épée. Apparemment, la troupe connaissait son public. Quand la pièce fut finie, les acteurs firent leur révérence et les gens commencèrent à crier les noms de leurs pièces et de leur sketchs préférés en espérant que la troupe les jouerait.

      “Je ne vois toujours pas comment trouver quelqu'un qui connaît la route de Stonehome”, dit Emeline, “ou alors, il faudrait que nous nous rendions aux prêtres.”

      Cora y avait réfléchi elle aussi. Elle avait une idée.

      “Si certaines personnes commencent à y penser, tu le verras, n'est-ce pas ?” demanda-t-elle.

      “Peut-être”, dit Emeline.

      “Donc, il faut les y faire penser”, dit Cora. Elle se tourna vers les acteurs. “Pourquoi pas Les Filles du Gardien des Pierres ?” cria-t-elle en espérant que la foule la dissimulerait aux regards inquisiteurs.

      A sa grande surprise, cela marcha, peut-être parce que c'était une pièce qu'il était courageux, sinon même dangereux de demander : c'était une histoire où les filles d'un tailleur de pierre s'avéraient être des sorcières et trouvaient un endroit où vivre loin de ceux qui voulaient les pourchasser. C'était la sorte de pièce qui pouvait entraîner une arrestation si on la jouait au mauvais endroit.

      Cela dit, ils acceptèrent de la jouer ici dans toute sa gloire. Des silhouettes masquées représentant les prêtres poursuivaient les jeunes hommes qui interprétaient les jeunes femmes pour conjurer le mauvais sort. Pendant ce temps-là, Cora regardait Emeline avec impatience.

      “Eh bien, est-ce que ça les fait penser à Stonehome ?” demanda-t-elle.

      “Oui, mais cela ne signifie pas … attends”, dit Emeline en tournant la tête. “Tu vois cet homme là-bas, le marchand de laine ? Il se souvient d'une époque où il y est allé commercer. Cette femme … c'est sa sœur et elle y est allée.”

      “Donc, tu as retrouvé la direction pour y aller ?” demanda Cora.

      Elle vit Emeline hocher la tête. “Je crois que nous pouvons la trouver.”

      Ce n'était qu'un petit espoir mais c'était quelque chose. Stonehome les attendait encore, avec sa promesse de sécurité.

      CHAPITRE QUATRE

      Vue de dessus, l'invasion ressemblait à une aile qui balayait la terre et l'emportait sur son passage. Le Maître des Corbeaux appréciait cette idée et il était probablement le seul en mesure de l'apprécier car ses corbeaux lui donnaient une vue parfaite du champ de bataille pendant que ses navires se rapprochaient de la côte.

      “Il y a peut-être d'autres observateurs”, se dit-il. “Peut-être les créatures de cette île verront-elles ce qui va s'abattre sur elles.”

      “Que disiez-vous, monsieur ?” demanda un jeune officier blond dont l'uniforme resplendissait après qu'il l'avait longtemps poli.

      “Rien qui te concerne. Préparez-vous à accoster.”

      Le jeune homme partit précipitamment avec un élan qui semblait montrer qu'il avait hâte de passer à l'action. Peut-être se croyait-il invulnérable parce qu'il se battait pour la Nouvelle Armée.

      “Ils finissent tous par nourrir les corbeaux”, dit le Maître des Corbeaux.

      Toutefois, ce ne serait pas aujourd'hui parce qu'il avait choisi ses sites de débarquement avec soin. Au-delà du Knifewater, il y avait des parties du continent où les gens tiraient sur les corbeaux presque sans raison mais, ici, ils n'avaient pas encore pris cette habitude. Ses créatures s'étaient répandues partout et lui avaient montré les endroits où les défenseurs avaient disposé des canons et des barricades pour se préparer à l'invasion et où ils avaient caché des hommes et des villages fortifiés. Ils avaient créé un réseau de défenses qui aurait dû avaler toute une force d'invasion mais le Maître des Corbeaux voyait les trous dans ces défenses.

      “Commencez”, ordonna-t-il et ses soldats sonnèrent les clairons, dont le son se propagea sur les vagues. Les barges de débarquement s'ouvrirent et une marée d'hommes se répandit sur la côte. Ils le firent surtout en silence parce qu'un joueur d'échecs n'annonçait pas le placement de ses pièces sur l'échiquier. Ils se répandirent, emmenant les canons et les fournitures, se déplaçant vite.

      Alors, la violence commença exactement comme il l'avait prévu. Des hommes sortirent furtivement des sites d'embuscade de ses ennemis pour s'abattre sur eux de l'arrière, leurs armes frappant les groupes cachés d'ennemis qui voulaient l'arrêter. A cette distance, il aurait dû être impossible d'entendre les cris des moribonds ou même le feu des mousquets mais ses corbeaux relayaient tout.

      Il voyait une dizaine de fronts à la fois. La violence se transformait en un chaos à plusieurs facettes comme elle le faisait toujours aux moments qui suivaient le commencement d'un conflit. Sur une plage, il vit ses hommes charger contre un groupe de paysans, leurs épées en mouvement. Il vit débarquer les cavaliers pendant que, autour d'eux, une compagnie se battait pour conserver sa tête de pont contre une milice armée d'outils agricoles. Il vit aussi bien des massacres que des actes de bravoure, même s'il était difficile de distinguer les uns des autres.

      Par les yeux de ses corbeaux, il vit un groupe de cavaliers se rassembler un peu à l'intérieur des terres, leurs plastrons brillants au soleil. Il étaient assez nombreux pour pouvoir potentiellement enfoncer sa toile soigneusement coordonnée de sites de débarquement et, bien que le Maître des Corbeaux ne pense pas qu'ils connaissent l'endroit où il fallait frapper, il ne pouvait pas prendre ce risque.

      Il étendit sa concentration et se servit de ses corbeaux pour trouver un officier convenable dans les environs. A son grand amusement, il trouva le jeune homme qui avait été si impatient de débarquer. Il se concentra car, pour qu'une de ses bêtes transmette sa voix, il lui fallait déployer un effort beaucoup plus grand que pour seulement voir par ses yeux.

      “Il y a des cavaliers au nord”, dit-il en entendant le croassement de la voix du corbeau qui répétait les mots. “Tournez vers la crête qui se trouve à l'ouest et surprenez-les pendant qu'ils viennent vous attaquer.”

      Il n'attendit pas de réponse mais envoya voler le corbeau et regarda du dessus les hommes obéir à ses ordres. C'était ce que son talent lui donnait : la capacité de voir plus de choses, d'étendre son influence plus loin que n'aurait pu le faire un homme normal. La plupart des commandants se retrouvaient noyés dans la confusion de la guerre ou handicapés par des messagers qui ne pouvaient pas bouger assez vite. Il pouvait coordonner une armée aussi facilement qu'un enfant aurait pu lui montrer la façon dont il faisait bouger ses soldats de plomb autour d'une table.

      Au-dessous de son oiseau qui volait en décrivant des cercles, il vit les cavaliers arriver violemment sur le champ de bataille, l'air tout aussi élégants qu'une armée de légende. Il entendit le fracas des mousquets qui commencèrent à les abattre puis vit les soldats qui attendaient leur foncer dedans et leur charge de légende devint rapidement un chaos de sang et de mort, de douleur et d'angoisse soudaine. Le Maître des Corbeaux vit tomber homme après homme, dont le jeune officier, auquel un coup d'épée maladroit transperça la gorge.

      “Ils ne sont que de la chair à corbeaux”, dit-il. Cela n'avait aucune importance; cette petite bataille-là était gagnée.

      Il vit une bataille plus difficile s'annoncer autour des dunes qui montaient vers un petit village. Un de ses commandants n'avait pas suivi

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