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et aurait affronté le garde, mais sans arme, c'était du suicide.

      Au lieu d'une arme, il avait un seau. Il était enchaîné à un autre prisonnier et on s'attendait à ce qu'il récolte le bitume et le verse dans de grands barils qui seraient ensuite extraits de la fosse. Le bitume était peut-être utilisé pour calfater les bateaux et boucher les toits, aligner les pavés les plus lisses et imperméabiliser les murs. C'était un travail dur et devoir le faire enchaîné à quelqu'un d'autre ne faisait que le rendre encore plus dur.

      Le garçon auquel il était enchaîné n'était pas plus grand que Sartes et avait l'air bien plus mince. Sartes ne connaissait pas encore son nom parce que les gardes punissaient tous ceux qui parlaient trop. Ils pensaient probablement qu'ils préparaient une révolte, se dit Sartes. Quand on regardait certains des hommes qui se tenaient autour d'eux, on se disait qu'ils avaient raison.

      Les fosses de bitume étaient un lieu où l'on envoyait certains des pires citoyens de Delos et ça se voyait. Il y avait des bagarres pour la nourriture, ou simplement pour décider qui était le plus fort, alors qu'en fait aucun d'eux ne durait longtemps. Quand les gardes regardaient, les hommes gardaient la tête baissée. Ceux qui ne baissaient pas la tête se faisaient vite battre ou jeter dans le bitume.

      Le garçon qui était actuellement enchaîné à Sartes avait l'air différent de la majorité des autres. Il était maigre comme un clou et très grand. A le voir, on se disait qu'il risquait de rompre sous l'effort que représentait l'extraction du bitume de la fosse. Il avait la peau tachée par son travail et couverte de brûlures là où le bitume l'avait touchée.

      Un panache de gaz se détacha de la fosse. Sartes réussit à retenir son souffle mais son compagnon n'eut pas cette chance. Il fut pris par une quinte de toux. Sartes sentit tirer sur la chaîne. Alors, Sartes vit le garçon trébucher puis se mettre à tomber.

      Sartes n'eut pas besoin de réfléchir. Il laissa tomber son seau et se rua en avant en espérant être assez rapide. Il sentit ses doigts se refermer autour du bras de l'autre garçon, un bras si fin que les doigts de Sartes l'entouraient comme une seconde entrave.

      Le garçon tomba vers le bitume et Sartes l'en écarta. Sartes sentit la chaleur du bitume et recula presque quand il sentit sa peau se mettre à brûler. Il préféra bien tenir l'autre garçon, ne pas le lâcher avant de l'avoir ramené sur la terre ferme, en toute sécurité.

      Le garçon toussa et postillonna. Cependant, on aurait dit qu'il essayait de former des mots.

      “Ça va aller”, lui assura Sartes. “Tu vas bien. N'essaie pas de parler.”

      “Merci”, dit-il. “Aide … moi … à me relever. Les gardes —”

      “Il se passe quoi, ici ?” beugla un garde en ponctuant la question d'un coup de fouet qui fit hurler Sartes. “Pourquoi vous bossez pas, là ?”

      “C'était les fumées, monsieur”, dit Sartes. “Elles lui ont juste fait perdre ses moyens un moment.”

      Sa récompense fut un autre coup. Sartes rêva alors d'avoir une arme, un objet dont il pourrait se servir pour se défendre, mais il n'avait que son seau et il y avait beaucoup trop de gardes pour ça. Bien sûr, Ceres aurait probablement trouvé un moyen de tous les battre avec le seau et l'idée le fit sourire.

      “Quand je voudrai que tu parles, je te le dirai”, dit le soldat. Il donna un coup de pied au garçon que Sartes avait sauvé. “Debout, toi. Si tu peux pas bosser, tu sers à rien. Si tu sers à rien, tu iras dans le bitume comme tous les autres.”

      “Il tient debout”, dit Sartes, et il aida rapidement l'autre garçon à le prouver. “Regardez, il va bien. C'était juste les fumées.”

      Cette fois, cela ne le dérangea pas que le soldat le frappe parce que, au moins, cela signifiait qu'il n'était pas en train de frapper l'autre garçon.

      “Dans ce cas, repartez au travail tous les deux. Vous avez déjà perdu trop de temps.”

      Ils repartirent récolter le bitume et Sartes fit de son mieux pour en récolter autant que possible, car il était clair que l'autre garçon n'avait pas encore assez récupéré pour suffisamment travailler.

      “Je m'appelle Sartes”, murmura-t-il en surveillant les gardes.

      “Bryant”, répondit l'autre garçon à voix basse et d'un air inquiet. Sartes l'entendit tousser une fois de plus. “Merci, tu m'as sauvé la vie. Si jamais je peux te le rendre, je le ferai.”

      Il se tut quand les gardes passèrent encore à côté d'eux.

      “Les fumées sont mauvaises”, dit Sartes, surtout pour le faire parler.

      “Elles te brûlent les poumons”, répondit Bryant. “Même certains des gardes en meurent.”

      Il le dit comme si c'était normal, mais Sartes voyait rien de normal à cela.

      Sartes regarda l'autre garçon. “Tu ne ressembles pas vraiment à un criminel.”

      Il vit l'expression de souffrance qui traversa le visage de l'autre garçon. “Ma famille … le Prince Lucious est venu à notre ferme et l'a brûlée. Il a tué mes parents. Il a emporté ma sœur. Il m'a envoyé ici sans raison.”

      C'était pour Sartes une histoire bien trop familière. Lucious était le mal incarné. Il se servait de toutes les excuses pour infliger de la misère aux autres. Il déchirait les familles pour la simple raison qu'il pouvait le faire.

      “Dans ce cas, pourquoi ne pas obtenir justice ?” suggéra Sartes en continuant à extraire du bitume de la fosse tout en vérifiant qu'aucun garde ne s'approche.

      L'autre garçon le regarda comme s'il était fou. “Comment pourrais-je le faire ? Je suis seul.”

      “La rébellion compte bien plus d'une personne”, précisa Sartes.

      “Ce qui m'arrive ne les intéresse pas”, répliqua Bryant. “Ils ne savent même pas que nous sommes ici.”

      “Dans ce cas, il faut aller les trouver”, répondit Sartes à voix basse.

      Sartes vit s'afficher la panique sur le visage de l'autre garçon.

      “Impossible. Si tu ne fais même que parler d'évasion, les gardes nous pendront au-dessus du bitume et nous y plongeront pendant de brèves périodes. Je l'ai vu. Ils nous tueront.”

      “Et que se passera-t-il si nous restons ici ?” demanda Sartes. “Si tu avais été enchaîné à un des autres aujourd'hui, que serait-il arrivé ?”

      Bryant secoua la tête. “Mais il y a les fosses de bitume et les gardes et je suis sûr qu'il y a des pièges. Et puis, les autres prisonniers ne nous aideront pas.”

      “Et pourtant, tu y penses, maintenant, n'est-ce pas ?” dit Sartes. “Oui, il y aura des risques mais un risque vaut mieux qu'une mort certaine.”

      “Comment pourrions-nous même le faire ?” demanda Bryant. “Ils nous mettent en cage la nuit et nous enchaînent les uns aux autres toute la journée.”

      Sartes avait au moins une réponse à cette question. “Dans ce cas, on va s'évader ensemble. On va trouver le bon moment. Fais-moi confiance, je sais me sortir des situations difficiles.”

      Il ne précisa pas que cette situation-là serait pire que toutes celles qu'il avait connues et il ne révéla pas non plus à son nouvel ami qu'ils avaient très peu de chances de s'en sortir. Bryant avait déjà bien assez peur sans qu'on en rajoute. Il fallait qu'ils essaient de s'enfuir, c'était tout.

      S'ils restaient plus longtemps, il savait qu'aucun des deux ne survivrait.

      CHAPITRE HUIT

      Alors que Thanos, au milieu du trio de prisonniers, repartait vers la forteresse qui dominait l'île, il se sentait aussi tendu qu'un animal sur le point de bondir. A chaque pas, il cherchait

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