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pas manger sans se faire brûler.

      Elle ouvrit les yeux. Les images lui parurent aussitôt moins agressives, mais elle ne put chasser le défilé des souvenirs. Elle se remit à préparer le petit déjeuner, avec des gestes de robot, le corps enflammé par l’adrénaline. Elle était en train de mettre la table quand la voix de sa fille retentit à nouveau.

      — Maman, y en a encore pour combien de temps ?

      Elle sursauta. L’assiette lui glissa des mains et tomba avec fracas sur le sol.

      — Qu’est-ce qui s’est passé ? cria April en surgissant près d’elle.

      — Rien, dit Riley.

      Elle nettoya le désordre et se mit à table avec April. Un silence hostile s’établit entre elles, comme d’habitude. Riley aurait voulu briser le cercle vicieux, atteindre April et lui dire : April, c’est moi, ta maman, je t’aime. Elle avait déjà essayé de nombreuses fois, mais cela ne faisait qu’empirer les choses. Sa fille la haïssait et Riley ne savait pas pourquoi, ni comment faire pour que ça s’arrête.

      — Qu’est-ce que tu vas faire aujourd’hui ? demanda-t-elle à April.

      — À ton avis ? grommela April. Je vais en cours.

      — Je voulais dire après, dit Riley en tâchant de parler d’une voix calme et compatissante. Je suis ta mère. Je veux savoir. C’est normal.

      — Rien n’est normal dans notre famille.

      Elles mangèrent en silence pendant quelques minutes.

      — Tu ne me dis jamais rien, dit Riley.

      — Toi non plus.

      Cette réplique anéantissait tout espoir d’avoir une conversation.

      Ce n’est que justice, pensa Riley avec amertume. C’était même plus vrai que April ne l’aurait cru. Riley ne lui avait jamais parlé de son travail ou de ses affaires. Elle ne lui avait jamais parlé de sa capture, de son séjour à l’hôpital, de la raison pour laquelle elle était « en vacances » maintenant. Tout ce que April savait, c’était qu’elle avait été obligée de vivre avec son père pendant tout ce temps et elle le détestait encore plus qu’elle ne détestait Riley. Même si Riley brûlait d’envie de lui en parler, il valait mieux que April ne sache pas ce que sa mère avait enduré.

      Riley s’habilla et conduisit April à l’école. Elles n’échangèrent pas un mot pendant le trajet. Quand elle laissa April descendre de la voiture, elle lança :

      — Je te vois à dix heures.

      April lui adressa un vague salut en s’éloignant.

      Riley roula jusqu’à un café non loin. C’était devenu sa routine. Il lui était difficile de passer du temps dans un endroit public et c’était justement la raison pour laquelle il était important qu’elle le fasse. Le café était petit, jamais encombré, même le matin, et elle parvenait à s’y sentir plus ou moins en sécurité.

      Assise là, en train de siroter un cappuccino, elle se rappela les suppliques de Bill. Ça faisait maintenant six semaines, putain. Il fallait que ça change. Il fallait qu’elle change, mais elle n’avait aucune idée de la marche à suivre pour y parvenir.

      Cependant, une idée commençait à prendre forme. Elle savait ce qu’elle devait faire en premier.

      Chapitre 4

      La flamme blanche du chalumeau surgit et Riley fut obligée de reculer vivement pour éviter de se brûler. L’éclat l’aveuglait et elle ne pouvait plus distinguer les traits de son ravisseur. Alors que la flamme dansait, elle semblait laisser des empreintes incandescentes dans les ténèbres.

      — Arrêtez ! hurla-t-elle. Arrêtez !

      Sa voix était devenue rauque à force de crier. Elle se demandait bien pourquoi elle perdait son temps. Elle savait qu’il ne la laisserait pas tranquille. Pas avant qu’elle ne meure.

      Ce fut alors qu’il brandit une corne de brume et la fit sonner dans son oreille.

      Le klaxon d’une automobile retentit, ramenant brusquement Riley à la réalité. Le feu venait de passer au vert et une file de conducteurs attendait derrière sa voiture. Elle appuya sur la pédale de l’accélérateur.

      Les paumes en sueur, Riley se força à oublier le souvenir et à se concentrer sur ce qu’elle faisait. Elle était en route vers la maison de Marie Sayles, la seule autre survivante de l’abominable sadisme de son ravisseur. Elle se reprocha d’avoir laissé les souvenirs l’envahir. Elle avait réussi à se concentrer sur la route pendant une heure et demie – c’était bon signe.

      Riley roula jusqu’à Georgetown, en longeant les demeures victoriennes, avant de se garer devant l’adresse que Marie lui avait envoyée par téléphone : celle d’une maison en briques rouges avec une grande baie vitrée. Elle resta assise un instant dans sa voiture, en se demandant si elle allait entrer, en tâchant de rassembler son courage.

      Enfin, elle descendit de son véhicule. En montant les marches, elle fut heureuse de voir que Marie sortait sur le perron pour l’accueillir. Vêtue de couleurs sombres, mais de façon élégante, Marie lui adressa un faible sourire. Elle avait les traits tirés. En apercevant les cernes sous ses yeux, Riley fut presque certaine qu’elle avait pleuré récemment. Ce n’était pas une surprise. Marie et elle s’étaient vues souvent ces dernières semaines, en se parlant sur chat vidéo, et elles ne pouvaient plus rien se cacher.

      Quand elles s’étreignirent, Riley sentit immédiatement que Marie n’était pas aussi grande et robuste qu’elle l’avait cru. Même en talons hauts, elle était plus petite que Riley et d’une stature délicate. Cela surprenait Riley. Elles s’étaient beaucoup parlées, mais c’était la première fois qu’elles se rencontraient. Une femme aussi frêle semblait avoir encore plus de mérite d’avoir survécu.

      Riley balaya la pièce du regard quand Marie la conduisit dans la salle à manger. L’endroit était propre, immaculé, et meublé avec goût. On aurait dit la maison bien tenue d’une femme célibataire avec une bonne situation. Cependant, Marie gardait les rideaux tirés et la lumière diffuse. L’atmosphère était étrangement étouffante. Riley ne voulait pas l’admettre, mais cela lui rappelait sa propre maison.

      Marie avait préparé un déjeuner léger, qui les attendait sur la table, et les deux femmes s’assirent pour manger au milieu d’un silence inconfortable. Riley transpirait sans savoir pourquoi. Revoir Marie ravivait des souvenirs.

      — Alors… qu’est-ce que ça fait ? demanda Marie timidement. De sortir voir le monde ?

      Riley sourit. Marie savait mieux que quiconque ce que ce trajet en voiture lui avait coûté.

      — Plutôt bien, dit Riley. En fait, vraiment bien. À un moment, ça a été dur, mais c’est tout.

      Marie hocha la tête, compréhensive.

      — Tu l’as fait, dit-elle, et c’est très courageux.

      Courageux, pensa Riley. Ce n’était pas un mot qu’elle aurait utilisé pour tirer son propre portrait. Autrefois, peut-être, quand elle était encore agent spécial. L’utiliserait-elle à nouveau, un jour ?

      — Et toi ? demanda Riley. Tu sors souvent ?

      Marie se tut.

      — Tu ne sors pas de la maison du tout, n’est-ce pas ? demanda Riley.

      Marie secoua la tête.

      Riley saisit son poignet dans un geste de compassion.

      — Marie, tu dois essayer, pressa-t-elle. Si tu restes coincée ici, c’est comme s’il te retenait toujours prisonnière.

      Marie étouffa un sanglot.

      —

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