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ça. En fait, c’était même plutôt parfait en ce qui le concernait.

      Mieux encore, il y a environ trois semaines, elle avait insisté pour qu’ils sortent de la résidence ; elle avait envie d’entendre son récit en plein air, avec le visage au vent. Et bien qu’il n’y ait pas vraiment de brise aujourd’hui – il faisait en fait vraiment très chaud – c’était très bien comme ça. Ils étaient assis dans une petite roseraie à environ cinq cents mètres de la résidence. C’était un endroit, lui avait-elle dit, où elle aimait se rendre. Elle y aimait l’odeur des roses et le bourdonnement des abeilles.

      Et maintenant, elle y écoutait sa voix lui lire l’histoire écrite par Ray Bradbury.

      Il était content qu’elle l’apprécie autant. Il l’aimait beaucoup aussi. Ellis ne l’interrompait pas avec des dizaines de questions comme d’autres pensionnaires pouvaient le faire. Elle restait simplement assise là, le regard perdu au loin, et se concentrait sur chacun des mots qu’il prononçait.

      Au moment où il arriva à la fin d’un chapitre, il jeta un coup d’œil à sa montre. Il était déjà resté dix minutes de plus que d’habitude. Il n’avait pas prévu de rendre visite à d’autres pensionnaires aujourd’hui mais il avait des projets pour ce soir.

      Il plaça son marque-page à l’endroit où il s’était arrêté et déposa le livre. Maintenant qu’il n’avait plus l’histoire pour le distraire, il réalisa combien la chaleur du sud était oppressante dans son dos.

      « C’est tout pour aujourd’hui ? » demanda Ellis.

      Il sourit à sa question. Il était toujours aussi étonné de constater que les autres sens aient autant compensé l’absence de la vue. Elle l’avait entendu bouger sur le petit banc au centre du jardin, puis le bruit léger du livre qu’il avait reposé sur ses genoux.

      « Oui, j’en ai bien peur, » dit-il. « J’ai déjà dépassé de dix minutes le temps de ma visite. »

      « Il reste encore beaucoup ? » demanda-t-elle.

      « Environ quarante pages. Alors on le terminera la semaine prochaine. C’est d’accord ? »

      « Oui, tout à fait, » dit-elle. Puis elle fronça légèrement les sourcils et ajouta : « Est-ce que ça vous dérange si je vous demande… et bien, vous savez… c’est bête, mais… »

      « Non, il n’y a pas de problème, Ellis. »

      Il se pencha plus près d’elle et la laissa toucher son visage. Elle promena ses mains le long du contour de sa tête. Il comprenait ce besoin (et Ellis n’était pas la seule femme aveugle qui lui ait demandé la même chose) mais ça lui paraissait toujours aussi bizarre. Un léger sourire se dessina sur les lèvres d’Ellis au moment où elle parcourait son visage des doigts, puis elle retira ses mains.

      « Merci, » dit-elle. « Et merci pour la lecture. Je me demandais si vous aviez déjà des idées pour le prochain bouquin ? »

      « Ça dépend de quoi vous avez envie. »

      « Un classique, peut-être ? »

      « C’est Ray Bradbury, » dit-il. « C’est le plus classique que je puisse faire. Mais je pense que je dois avoir Sa Majesté des mouches quelque part. »

      « C’est le livre racontant l’histoire de ces garçons échoués sur une île, n’est-ce pas ? »

      « De manière résumée, oui. »

      « Ça me paraît une bonne idée. Mais celui-ci… ce Quelque chose de diabolique est sur le point d’arriver est vraiment excellent. Un très bon choix ! »

      « Oui, c’est un de mes livres préférés. »

      Il était plutôt content qu’elle ne puisse pas voir le sourire perfide qui se dessina sur ses lèvres. Quelque chose de diabolique est sur le point d’arriver, de fait, pensa-t-il.

      Il prit son livre en main, usé par des années d’utilisation, ouvert pour la première fois il y a environ trente ans. Il attendit qu’elle se lève avec lui, comme un amoureux impatient. Elle avait son bâton de marche avec elle mais elle l’utilisait rarement.

      La marche retour vers la résidence Wakeman pour aveugles était courte. Il aimait regarder la concentration qui envahissait son visage quand elle se mettait à marcher. Il se demanda quel effet cela pouvait-il faire de compter sur tous ses autres sens pour pouvoir se déplacer. Ça devait être très fatigant de se déplacer dans un univers sans être capable de le voir.

      Tout en scrutant son visage, il espérait surtout qu’Ellis ait apprécié le récit qu’elle avait entendu jusqu’à maintenant.

      Il serra le livre contre lui, presque déçu qu’Ellis n’ait jamais l’occasion de savoir comment l’histoire se terminait.

      *

      Ellis se prit à penser aux jeunes garçons de Quelque chose de diabolique est sur le point d’arriver. C’était le mois d’octobre dans le livre. Elle aurait aimé être aussi au mois d’octobre. Mais non… c’était la fin du mois de juillet dans le sud de la Virginie et elle avait l’impression qu’il ne pouvait pas faire plus chaud que ça. Elle envisageait de faire une ballade avant le crépuscule, mais il faisait toujours un insupportable trente-deux degrés dehors comme le lui avait appris Siri, l’application sur son iPhone.

      Hélas, elle avait appris à bien connaître Siri. Cette application était un bon moyen de faire passer le temps. Elle lui parlait d’une voix prétentieuse de robot et maintenait Ellis informée sur des sujets divers, les prévisions météo ou les résultats sportifs.

      Il y avait quelques personnes à la résidence qui s’y connaissaient en technologie et qui veillaient à ce que tous ses gadgets informatiques soient mis à jour. Elle avait un MacBook rempli d’iTunes et une bibliothèque musicale assez conséquente. Elle avait également le dernier iPhone et même une excellente application qui lui permettait de communiquer en Braille.

      Siri venait juste de lui dire qu’il faisait trente degrés à l’extérieur. Ça avait l’air impossible vu qu’il était presque dix-neuf trente du soir. Enfin, pensa-t-elle. Un peu de transpiration n’a jamais fait de mal à personne.

      Elle envisagea d’abandonner l’idée de sa ballade. C’était une promenade qu’elle faisait au moins cinq fois par semaine. Mais elle en avait déjà fait une aujourd’hui avec l’homme qui lui faisait la lecture. Elle n’avait pas vraiment besoin de faire de l’exercice mais… et bien, elle avait sa routine et ses petites habitudes qui lui donnaient l’impression d’être normale, qui lui donnaient l’impression d’être saine d’esprit. De plus, il y avait quelque chose dans l’air à la fin de la journée, au moment du crépuscule. Elle était capable de littéralement sentir le moment où le soleil se couchait et d’entendre une sorte de bourdonnement électrique dans l’air au moment où le silence envahissait le monde autour d’elle, amenant l’obscurité et la nuit.

      Alors elle décida finalement d’aller faire sa promenade. Deux personnes de la résidence lui dirent au revoir, des voix familières – l’une remplie d’ennui, l’autre avec un enthousiasme réfréné. Elle savoura la sensation de l’air frais sur son visage au moment où elle sortit sur la pelouse principale.

      « Où vas-tu, Ellis ? »

      C’était une autre voix familière – celle du directeur de la résidence Wakeman, un homme jovial du nom de Randall Jones.

      « Ma promenade habituelle, » répondit-elle.

      « Mais il fait si chaud ! Ne traîne pas de trop. Je n’ai vraiment pas envie que tu nous fasses une syncope ! »

      « Ou rater mon ridicule couvre-feu, » dit-elle.

      « Oui, c’est ça, » dit Randall, avec un petit air moqueur.

      Elle sortit pour sa ballade, laissant derrière

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