Скачать книгу

Vies des dames galantes

      A MONSEIGNEUR LE DUC D'ALENÇON, DE BRABANT ET COMTE DE FLANDRES, FILS ET FRÈRE DE NOS ROYS

      MONSEIGNEUR

      D'autant que vous m'avez fait cet honneur souvent à la Cour de causer avec moy fort privement de plusieurs bons mots et contes, qui vous sont si familiers et assidus qu'on diroit qu'ils vous naissent à veüe d'œil dans la bouche, tant vous avez l'esprit grand, prompt et subtil, et le dire de mesme et très-beau, je me suis mis à composer ces Discours tels quels, et au mieux que j'ay pu, afin que si aucuns y en a qui vous plaisent, vous fassent autant passer le temps et vous ressouvenir de moy parmy vos causeries, desquelles m'avez honoré autant que gentilhomme de la Cour.

      Je vous en dédie donc, Monseigneur, ce livre, et vous supplie le fortifier de vostre nom et autorité, en attendant que je me mette sur les discours sérieux, et en voyez un à part que j'ai quasi achevé, où je deduis la comparaison de six grands princes et capitaines qui voguent aujourd'huy en ceste chrestienté, qui sont le roy Henri III vostre frère, Vostre Altesse, le roy de Navarre vostre beau-frère, M. de Guise, M. du Maine et M. le prince de Parme1, alléguant de tous vous autres vos plus belles valeurs, suffisances, mérites et beaux faits, sur lesquels j'en remets la conclusion à ceux qui la sçauront mieux faire que moy.

      Cependant, Monseigneur, je supplie Dieu vous augmenter tousjours en vostre grandeur, prospérité et altesse, de laquelle je suis pour jamais,

MONSEIGNEUR,Votre très-humble et très-obéissant sujetet très-affectionné serviteur,DE BOURDEILLE.

      AU LECTEUR

      J'avois voüé ce deuxiesme livre des Femmes à mondit seigneur d'Alençon durant qu'il vivoit, d'autant qu'il me faisoit cet honneur de m'aimer et causer fort privement avec moy, et estoit curieux de savoir de bons contes. Ores, bien que son genereux et valheureux et noble corps gise sous sa lame honorable, je n'en ay voulu pourtant revoquer le vœu; ainsi je le redonne à ses illustres cendres et divin esprit, de la valeur duquel, et de ses hauts faits et mérites je parle à son tour, comme des autres grands princes et grands capitaines; car certes il l'a esté s'il en fut onc, encor qu'il soit mort fort jeune.

      AVIS DE L'AUTEUR

      Ce volume des Dames Galantes est dédié à M. le duc d'Alençon, de Brabant, et comte de Flandres, qui contient plusieurs beaux discours.

      Le premier traite de l'amour de plusieurs femmes mariées, et qu'elles n'en sont si blasmables comme l'on diroit pour le faire; le tout sans rien nommer, et à mots couverts.

      Le deuxiesme, sçavoir qui est la plus belle chose en amour, la plus plaisante, et qui contente le plus, ou la veüe, ou la parole, ou l'attouchement.

      Le troisiesme traite de la beauté d'une belle jambe, et comment elle est fort propre et a grand vertu pour attirer à l'amour.

      Le quatriesme, quel amour est plus grand, plus ardent et plus aisé, ou celuy de la fille, ou de la femme mariée, ou de la veufve, et quelle des trois se laisse plus aisément vaincre et abattre.

      Le cinquiesme parle de l'amour d'aucunes femmes vieilles et comment aucunes y sont autant ou plus sujettes et chaudes que les jeunes, comme se peut parestre par plusieurs exemples, sans rien nommer ny escandalyser.

      Le sixiesme traite qu'il n'est bien seant de parler mal des honnestes dames, bien qu'elles fassent l'amour, et qu'il en est arrivé, de grands inconvénients pour en médire.

      Le septiesme est un recueil d'aucunes ruses et astuces d'amour, qu'ont inventé et osé aucunes femmes mariées, veufves et filles à l'endroit de leurs maris, amants et autres, ensemble d'aucunes de guerre de plusieurs capitaines à l'endroit de leurs ennemis; le tout en comparaison: à sçavoir lesquelles ont esté les plus rusées, cautes, artificielles, sublimes et mieux inventées et pratiquées, tant des uns que des autres Aussi Mars et l'Amour font leur guerre presque de mesme sorte, et l'un a son camp et ses armes comme l'autre.

      Discours sur ce que les belles et honnestes dames ayment les vaillants hommes, et les braves hommes ayment les dames courageuses.

      VIES DES DAMES GALANTES

      DISCOURS PREMIER

Sur les dames qui font l'amour et leurs maris cocus2

      D'autant que ce sont les dames qui ont fait la fondation du cocuage, et que ce sont elles qui font les hommes cocus, j'ay voulu mettre ce discours parmi ce livre des Dames, encore que je parleray autant des hommes que des femmes. Je sçay bien que j'entreprends une grande œuvre, et que je n'aurois jamais fait si j'en voulois monstrer la fin, car tout le papier de la chambre des comptes de Paris n'en sçauroit comprendre par escrit la moitié de leurs histoires, tant des femmes que des hommes; mais pourtant j'en escriray ce que je pourray, et quand je n'en pourray plus, je quitteray ma plume au diable, ou à quelque bon compagnon qui la reprendra; m'excusant si je n'observe en ce discours ordre ny demy, car de telles gens et de telles femmes le nombre en est si grand, si confus et si divers, que je ne sçache si bon sergent de bataille qui le puisse bien mettre en rang et ordonnance.

      Suivant donc ma fantaisie, j'en diray comme il me plaira, en ce mois d'avril qui en rameine la saison et venaison des cocus: je dis des branchiers, car d'autres il s'en fait et s'en voit assez tous les mois et saisons de l'an. Or de ce genre de cocus, il y en a force de diverses espèces; mais de toutes la pire est, et que les dames craignent et doivent craindre autant, ce sont ces fols, dangereux, bizarres, mauvais, malicieux, cruels, sanglants et ombrageux, qui frappent, tourmentent, tuent, les uns pour le vray, les autres pour le faux, tant le moindre soupçon du monde les rend enragés; et de tels la conversation est fort à fuir, et pour leurs femmes et pour leurs serviteurs. Toutefois j'ay cogneu des dames et de leurs serviteurs qui ne s'en sont point soucié; car ils estoient aussi mauvais que les autres, et les dames estoient courageuses, tellement que si le courage venoit à manquer à leurs serviteurs, le leur remettoient; d'autant que tant plus toute entreprise est périlleuse et scabreuse, d'autant plus se doit-elle faire et exécuter de grande générosité. D'autres telles dames ay-je cogneu qui n'avoient nul cœur ny ambition pour attenter choses hautes, et ne s'amusoient du tout qu'à leurs choses basses: aussi dit-on lasche de cœur comme une putain.

      – J'ay cogneu une honneste dame, et non des moindres, laquelle, en une bonne occasion qui s'offrit pour recueillir la joüissance de son amy, et luy remonstrant à elle l'inconvénient qui en adviendroit si le mary qui n'estoit pas loin les surprenoit, n'en fit plus de cas, et le quitta là, ne l'estimant hardy amant, ou bien pour ce qu'il la dédit au besoin: d'autant qu'il n'y a rien que la dame amoureuse, lors que l'ardeur et la fantaisie de venir-là luy prend, et que son amy ne la peut ou veut contenter tout à coup pour quelques divers empeschements, haïsse plus et s'en dépite. Il faut bien loüer cette dame de sa hardiesse, et d'autres aussi ses pareilles, qui ne craignent rien pour contenter leurs amours, bien qu'elles y courent plus de fortune et dangers que ne fait un soldat ou un marinier aux plus hasardeux périls de la guerre ou de la mer.

      – Une dame espagnole, conduite une fois par un gallant cavallier dans le logis du Roy, venant à passer par un certain recoing caché et sombre, le cavallier, se mettant sur son respect et discrétion espagnole, luy dit: Senora, buen lugar, si no fuera vuessa merced. La dame luy respondit seulement: Si buen lugar, si no fuera vuessa merced; c'est-à-dire: «Voici un beau lieu, si c'estoit une autre que vous. – Oüy vraiment, si c'estoit aussi un autre que vous.» Par-là l'argüant et incolpant de coüardise, pour n'avoir pas pris d'elle en si bon lieu ce qu'il vouloit et elle désiroit; ce qu'eust fait un autre plus hardy; et, pour ce, oncques plus ne l'ayma et le quitta.

      – J'ay ouy parler d'une fort belle et honneste dame, qui donna assignation à son amy de coucher avec elle, par tel si qu'il ne la toucheroit nullement et ne viendroit aux prises; ce que l'autre accomplit, demeurant toute la nuict en grand'stase, tentation et continence, dont elle lui en sceut si bon gré, que quelque temps après luy en donna joüissance, disant pour ses raisons qu'elle avoit voulu esprouver son amour en accomplissant ce qu'elle luy avoit commandé: et, pour ce, l'en ayma puis après davantage, et qu'il pourroit faire toute autre chose une autre fois d'aussi grande adventure que celle-là,

Скачать книгу


<p>1</p>

A la fin de son Discours XLI, Des Capitaines étrangers, il promet de même cette comparaison, augmentée du vieux Biron et du comte Maurice; mais elle manque.

<p>2</p>

Dans cet ouvrage, l'auteur qualifie telle dame de belle et honneste, dont pourtant il parle comme d'une fieffée p…; mais lorsqu'il ajoute, comme il fait quelquefois vertueuse à belle et honneste, il insinue par là que la dame étoit sage et ne faisoi point parler d'elle.