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reprit et comme il ne parlait pas:

      – Eh bien, dites, qu'est-ce que c'est?

      Il murmura, en hésitant:

      – Voilà… mais vraiment… je n'ose pas… C'est que j'ai travaillé hier soir très tard… et ce matin… très tôt… pour faire cet article sur l'Algérie que M. Walter m'a demandé… et je n'arrive à rien de bon… j'ai déchiré tous mes essais… Je n'ai pas l'habitude de ce travail-là, moi; et je venais demander à Forestier de m'aider… pour une fois…

      Elle l'interrompit, en riant de tout son cœur, heureuse, joyeuse et flattée:

      – Et il vous a dit de venir me trouver…? C'est gentil, ça…

      – Oui, madame. Il m'a dit que vous me tireriez d'embarras mieux que lui… Mais, moi, je n'osais pas, je ne voulais pas. Vous comprenez?

      Elle se leva:

      – Ça va être charmant de collaborer comme ça. Je suis ravie de votre idée. Tenez, asseyez-vous à ma place, car on connaît mon écriture au journal. Et nous allons vous tourner un article, mais là, un article à succès.

      Il s'assit, prit une plume, étala devant lui une feuille de papier, et attendit.

      Mme Forestier, restée debout, le regardait faire ses préparatifs; puis elle atteignit une cigarette sur la cheminée et l'alluma:

      – Je ne puis pas travailler sans fumer, dit-elle. Voyons, qu'allez-vous raconter?

      Il leva la tête vers elle avec étonnement.

      – Mais je ne sais pas, moi, puisque je suis venu vous trouver pour ça.

      Elle reprit:

      – Oui, je vous arrangerai la chose. Je ferai la sauce, mais il me faut le plat.

      Il demeurait embarrassé; enfin il prononça avec hésitation:

      – Je voudrais raconter mon voyage depuis le commencement…

      Alors elle s'assit, en face de lui, de l'autre côté de la grande table, et le regardant dans les yeux:

      – Eh bien, racontez-le-moi d'abord, pour moi toute seule, vous entendez, bien doucement, sans rien oublier, et je choisirai ce qu'il faut prendre.

      Mais comme il ne savait par où commencer, elle se mit à l'interroger comme aurait fait un prêtre au confessionnal, posant des questions précises qui lui rappelaient des détails oubliés, des personnages rencontrés, des figures seulement aperçues.

      Quand elle l'eut contraint à parler ainsi pendant un petit quart d'heure, elle l'interrompit tout à coup:

      – Maintenant, nous allons commencer. D'abord, nous supposons que vous adressez à un ami vos impressions, ce qui vous permet de dire un tas de bêtises, de faire des remarques de toute espèce, d'être naturel et drôle, si nous pouvons. Commencez:

      «Mon cher Henry, tu veux savoir ce que c'est que l'Algérie, tu le sauras. Je vais t'envoyer, n'ayant rien à faire dans la petite case de boue sèche qui me sert d'habitation, une sorte de journal de ma vie, jour par jour, heure par heure. Ce sera un peu vif quelquefois: tant pis, tu n'es pas obligé de le montrer aux dames de ta connaissance…»

      Elle s'interrompit pour rallumer sa cigarette éteinte, et, aussitôt, le petit grincement criard de la plume d'oie sur le papier s'arrêta.

      – Nous continuons, dit-elle.

      «L'Algérie est un grand pays français sur la frontière des grands pays inconnus qu'on appelle le désert, le Sahara, l'Afrique centrale, etc., etc.

      «Alger est la porte, la porte blanche et charmante de cet étrange continent.

      «Mais d'abord il faut y aller, ce qui n'est pas rose pour tout le monde. Je suis, tu le sais, un excellent écuyer, puisque je dresse les chevaux du colonel, mais on peut être bon cavalier et mauvais marin. C'est mon cas.

      «Te rappelles-tu le major Simbretas, que nous appelions le docteur Ipéca? Quand nous nous jugions mûrs pour vingt-quatre heures d'infirmerie, pays béni, nous passions à la visite.

      «Il était assis sur sa chaise, avec ses grosses cuisses ouvertes dans son pantalon rouge, ses mains sur ses genoux, les bras formant pont, le coude en l'air, et il roulait ses gros yeux de loto en mordillant sa moustache blanche.

      «Tu te rappelles sa prescription:

      «Ce soldat est atteint d'un dérangement d'estomac. Administrez-lui le vomitif no 3 selon ma formule, puis douze heures de repos; il ira bien.»

      «Il était souverain, ce vomitif, souverain et irrésistible. On l'avalait donc, puisqu'il le fallait. Puis, quand on avait passé par la formule du docteur Ipéca, on jouissait de douze heures de repos bien gagné.

      «Eh bien, mon cher, pour atteindre l'Afrique, il faut subir, pendant quarante heures, une autre sorte de vomitif irrésistible, selon la formule de la Compagnie Transatlantique.»

      Elle se frottait les mains, tout à fait heureuse de son idée.

      Elle se leva et se mit à marcher, après avoir allumé une autre cigarette, et elle dictait, en soufflant des filets de fumée qui sortaient d'abord tout droit d'un petit trou rond au milieu de ses lèvres serrées, puis s'élargissant, s'évaporaient en laissant par places, dans l'air, des lignes grises, une sorte de brume transparente, une buée pareille à des fils d'araignée. Parfois, d'un coup de sa main ouverte, elle effaçait ces traces légères et plus persistantes; parfois aussi elle les coupait d'un mouvement tranchant de l'index et regardait ensuite, avec une attention grave, les deux tronçons d'imperceptible vapeur disparaître lentement.

      Et Duroy, les yeux levés, suivait tous ses gestes, toutes ses attitudes, tous les mouvements de son corps et de son visage occupés à ce jeu vague qui ne prenait point sa pensée.

      Elle imaginait maintenant les péripéties de la route, portraiturait des compagnons de voyage inventés par elle, et ébauchait une aventure d'amour avec la femme d'un capitaine d'infanterie qui allait rejoindre son mari.

      Puis, s'étant assise, elle interrogea Duroy sur la topographie de l'Algérie, qu'elle ignorait absolument. En dix minutes, elle en sut autant que lui, et elle fit un petit chapitre de géographie politique et coloniale pour mettre le lecteur au courant et le bien préparer à comprendre les questions sérieuses qui seraient soulevées dans les articles suivants.

      Puis elle continua par une excursion dans la province d'Oran, une excursion fantaisiste, où il était surtout question des femmes, des Mauresques, des Juives, des Espagnoles.

      – Il n'y a que ça qui intéresse, disait-elle.

      Elle termina par un séjour à Saïda, au pied des hauts plateaux, et par une jolie petite intrigue entre le sous-officier Georges Duroy et une ouvrière espagnole employée à la manufacture d'alfa de Aïn-el-Hadjar. Elle racontait les rendez-vous, la nuit, dans la montagne pierreuse et nue, alors que les chacals, les hyènes et les chiens arabes crient, aboient et hurlent au milieu des rocs.

      Et elle prononça d'une voix joyeuse:

      – La suite à demain!

      Puis, se relevant:

      – C'est comme ça qu'on écrit un article, mon cher monsieur. Signez, s'il vous plaît.

      Il hésitait.

      – Mais signez donc.

      Alors il se mit à rire, et écrivit au bas de la page: «Georges Duroy.»

      Elle continuait à fumer en marchant; et il la regardait toujours, ne trouvant rien à dire pour la remercier, heureux d'être près d'elle, pénétré de reconnaissance et du bonheur sensuel de cette intimité naissante. Il lui semblait que tout ce qui l'entourait faisait partie d'elle, tout, jusqu'aux murs couverts de livres. Les sièges, les meubles, l'air où flottait l'odeur du tabac, avaient quelque chose de particulier, de bon, de doux, de charmant, qui venait d'elle.

      Brusquement elle demanda:

      – Qu'est-ce que vous pensez de mon amie, Mme de Marelle?

      Il

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