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il tendit le numéro 514 – série 23. Le gouverneur sursauta.

      – Ah! vous l’avez? Il vous a été rendu?

      – Il a été égaré, le voici, répondit M. Gerbois.

      – Cependant vous prétendiez… il a été question…

      – Tout cela n’est que racontars et mensonges.

      – Mais il nous faudrait tout de même quelque document à l’appui.

      – La lettre du commandant suffit-elle?

      – Certes.

      – La voici.

      – Parfait. Veuillez laisser ces pièces en dépôt. Il nous est donné quinze jours pour vérification. Je vous préviendrai dès que vous pourrez vous présenter à notre caisse. D’ici là, Monsieur, je crois que vous avez tout intérêt à ne rien dire et à terminer cette affaire dans le silence le plus absolu.

      – C’est mon intention.

      M. Gerbois ne parla point, le gouverneur non plus. Mais il est des secrets qui se dévoilent sans qu’aucune indiscrétion soit commise, et l’on apprit soudain qu’Arsène Lupin avait eu l’audace de renvoyer à M. Gerbois le numéro 514 – série 23! La nouvelle fut accueillie avec une admiration stupéfaite. Décidément c’était un beau joueur que celui qui jetait sur la table un atout de cette importance, le précieux billet! Certes, il ne s’en était dessaisi qu’à bon escient et pour une carte qui rétablissait l’équilibre. Mais si la jeune fille s’échappait? Si l’on réussissait à reprendre l’otage qu’il détenait?

      La police sentit le point faible de l’ennemi et redoubla d’efforts. Arsène Lupin désarmé, dépouillé par lui-même, pris dans l’engrenage de ses combinaisons, ne touchant pas un traître sou du million convoité… du coup les rieurs passaient dans l’autre camp.

      Mais il fallait retrouver Suzanne. Et on ne la retrouvait pas, et pas davantage, elle ne s’échappait!

      Soit, disait-on, le point est acquis, Arsène gagne la première manche. Mais le plus difficile est à faire! Mlle Gerbois est entre ses mains, nous l’accordons, et il ne la remettra que contre cinq cent mille francs. Mais où et comment s’opérera l’échange? Pour que cet échange s’opère, il faut qu’il y ait rendez-vous, et alors qui empêche M. Gerbois d’avertir la police et, par là, de reprendre sa fille tout en gardant l’argent?

      On interviewa le professeur. Très abattu, désireux de silence, il demeura impénétrable.

      – Je n’ai rien à dire, j’attends.

      – Et Mlle Gerbois?

      – Les recherches continuent.

      – Mais Arsène Lupin vous a écrit?

      – Non.

      – Vous l’affirmez?

      – Non.

      – Donc c’est oui. Quelles sont ses instructions?

      – Je n’ai rien à dire.

      On assiégea Maître Detinan. Même discrétion.

      – M. Lupin est mon client, répondait-il avec une affectation de gravité, vous comprendrez que je sois tenu à la réserve la plus absolue.

      Tous ces mystères irritaient la galerie. Évidemment des plans se tramaient dans l’ombre. Arsène Lupin disposait et resserrait les mailles de ses filets, pendant que la police organisait autour de M. Gerbois une surveillance de jour et de nuit. Et l’on examinait les trois seuls dénouements possibles: l’arrestation, le triomphe, ou l’avortement ridicule et piteux.

      Mais il arriva que la curiosité du public ne devait être satisfaite que de façon partielle, et c’est ici dans ces pages que, pour la première fois, l’exacte vérité se trouve révélée.

      Le mardi 12 mars, M. Gerbois reçut, sous une enveloppe d’apparence ordinaire, un avis du Crédit Foncier.

      Le jeudi, à une heure, il prenait le train pour Paris. À deux heures, les mille billets de mille francs lui furent délivrés.

      Tandis qu’il les feuilletait un à un, en tremblant – cet argent, n’était-ce pas la rançon de Suzanne? – deux hommes s’entretenaient dans une voiture arrêtée à quelque distance du grand portail. L’un de ces hommes avait des cheveux grisonnants et une figure énergique qui contrastait avec son habillement et ses allures de petit employé. C’était l’inspecteur principal Ganimard, le vieux Ganimard, l’ennemi implacable de Lupin. Et Ganimard disait au brigadier Folenfant:

      – Ça ne va pas tarder… avant cinq minutes, nous allons revoir notre bonhomme. Tout est prêt?

      – Absolument.

      – Combien sommes-nous?

      – Huit, dont deux à bicyclette.

      – Et moi qui compte pour trois. C’est assez, mais ce n’est pas trop. À aucun prix il ne faut que le Gerbois nous échappe… sinon bonsoir: il rejoint Lupin au rendez-vous qu’ils ont dû fixer, il troque la demoiselle contre le demi-million, et le tour est joué.

      – Mais pourquoi donc le bonhomme ne marche-t-il pas avec nous? Ce serait si simple! En nous mettant dans son jeu il garderait le million entier.

      – Oui, mais il a peur. S’il essaye de mettre l’autre dedans, il n’aura pas sa fille.

      – Quel autre?

      – Lui.

      Ganimard prononça ce mot d’un ton grave, un peu craintif, comme s’il parlait d’un être surnaturel dont il aurait déjà senti les griffes.

      – Il est assez drôle, observa judicieusement le brigadier Folenfant, que nous en soyons réduits à protéger ce Monsieur contre lui-même.

      – Avec Lupin, le monde est renversé, soupira Ganimard!

      Une minute s’écoula.

      – Attention, fit-il.

      M. Gerbois sortait. À l’extrémité de la rue des Capucines, il prit les boulevards, du côté gauche. Il s’éloignait lentement, le long des magasins, et regardait les étalages.

      – Trop tranquille, le client, disait Ganimard. Un individu qui vous a dans la poche un million n’a pas cette tranquillité.

      – Que peut-il faire?

      – Oh! Rien, évidemment… N’importe, je me méfie. Lupin, c’est Lupin.

      À ce moment M. Gerbois se dirigea vers un kiosque, choisit des journaux, se fit rendre de la monnaie, déplia l’une des feuilles, et, les bras étendus, tout en s’avançant à petits pas, se mit à lire. Et soudain, d’un bond il se jeta dans une automobile qui stationnait au bord du trottoir. Le moteur était en marche, car elle partit rapidement, doubla la Madeleine et disparut.

      – Non de nom! s’écria Ganimard, encore un coup de sa façon!

      Il s’était élancé, et d’autres hommes couraient, en même temps que lui, autour de la Madeleine.

      Mais il éclata de rire. À l’entrée du boulevard Malesherbes, l’automobile était arrêtée, en panne, et M. Gerbois en descendait.

      – Vite, Folenfant… le mécanicien… c’est peut-être le nommé Ernest.

      Folenfant s’occupa du mécanicien. C’était un nommé Gaston, employé à la Société des fiacres automobiles; dix minutes auparavant, un Monsieur l’avait retenu et lui avait dit d’attendre «sous pression», près du kiosque, jusqu’à l’arrivée d’un autre Monsieur.

      – Et le second client, demanda Folenfant, quelle adresse a-t-il donnée?

      – Aucune adresse… «Boulevard Malesherbes… avenue de Messine… double pourboire» … Voilà tout.

      Mais, pendant ce temps, sans perdre une minute, M. Gerbois avait sauté dans la première voiture qui

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