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de ses gardes du corps, Qassem boitilla jusqu’au chauffeur et lui fit une maladroite accolade.

      – Mon frère, dit-il. Tu es le chauffeur ?

      – Oui.

      – Allah te récompensera.

      – Merci, sayyid, répondit le routier.

      Il lui donnait un titre honorifique laissant entendre que Qassem était un descendant direct de Mahomet lui-même. Il n’était pas un Musulman très pieux, mais les gens comme Qassem semblaient apprécier ce genre d’égards.

      Tous deux se retournèrent. Les miliciens avaient terminé d’enlever les plaques de métal qui enveloppaient la remorque. L’aspect réel du poids-lourd se révélait à présent. L’avant demeurait ce qu’il avait l’air : la cabine d’un semi-remorque, peinte en vert foncé. Sa longue remorque était une plateforme de lancement de missiles à double cylindre. Dans chaque cylindre reposait un gros missile argenté, brillant d’un éclat métallique.

      Les deux parties du camion étaient séparées et indépendantes, reliées par un système hydraulique au centre et deux chaînes d’acier de chaque côté. Cela expliquait pourquoi le poids-lourd avait été difficile à maîtriser : la remorque n’était pas attachée au tracteur aussi solidement que le conducteur l’aurait souhaité.

      – On appelle ça un tracteur-érecteur-lanceur, expliqua Qassem. Un parmi tant d’autres que le Parfait a jugé bon de nous amener.

      – Ah oui ? fit le chauffeur.

      – Oh oui, opina Qassem.

      – Et les missiles ?

      Qassem sourit – un sourire calme et béat, un sourire de saint.

      – Un armement très perfectionné. Longue portée. Aussi précis que n’importe quel autre en ce monde. Plus puissant que tout ce qu’on a connu jusqu’ici. Si Allah le veut, nous utiliserons ces armes pour mettre nos ennemis à genoux.

      – Israël ? suggéra le jeune.

      Il s’étrangla presque à ce mot. L’envie lui vint de tracer vers le nord, tout de suite.

      Qassem posa une main sur son épaule.

      – Allah est grand, mon frère. Allah est grand. Très bientôt, tout le monde saura à quel point.

      Il s’éloigna en boitant vers le lance-missile. Le routier le regarda partir. Il tira une dernière bouffée de sa cigarette, qu’il avait fumée jusqu’au filtre. Il se sentait un peu mieux, plus calme. Son job était fini. Ces maniaques pouvaient bien déclencher une nouvelle guerre s’ils le voulaient, elle n’atteindrait probablement pas le nord.

      Qassem se tourna de nouveau vers lui.

      – Mon frère, l’appela-t-il.

      – Oui ?

      – Ces missiles sont secrets, tu sais. Personne ne doit en entendre parler.

      – Bien sûr, opina le chauffeur.

      – Tu as des amis, de la famille ?

      – En effet, sourit-il. Une femme, trois enfants en bas âge. Et j’ai toujours ma mère. Je suis bien connu dans mon village et ses alentours. Je joue du violon depuis mon enfance, et tout le monde me demande de lui jouer un morceau. (Il marqua une pause.) C’est une vie bien remplie.

      Le sayyid hocha la tête, l’air un peu triste.

      – Allah te récompensera.

      Le routier n’aima pas le ton employé. C’était la deuxième fois que Qassem parlait d’une récompense.

      – Oui. Merci.

      Près de Qassem, deux mastards saisirent les fusils à leur épaule. Une seconde plus tard, ils visaient le chauffeur.

      Celui-ci bougea à peine. Ce n’était pas vrai. C’était arrivé si vite. Son cœur cognait dans ses oreilles. Il ne sentait plus ses jambes ni ses bras. Même ses lèvres étaient paralysées. Une seconde, il essaya de se rappeler ce qu’il avait bien pu faire pour les offenser. Rien, il n’avait rien fait. Tout ce qu’il avait fait, c’était d’amener ce camion ici.

      Ce camion… était un secret.

      – Attendez, articula-t-il. Attendez ! Je ne le dirai à personne.

      Qassem secoua la tête.

      – L’Omniscient a vu quel bon travail tu as accompli. Il t’ouvrira les portes du Paradis ce soir même. C’est une promesse que je te fais. C’est ma prière.

      Bien trop tard, le routier se retourna pour fuir.

      L’instant d’après, il entendit le grand CRAC du premier fusil qui tirait.

      Et il réalisa, tandis que le sol se ruait à sa rencontre, qu’il avait vécu toute sa vie en vain.

      CHAPITRE DEUX

      11 décembre

      09:01, heure normale de l’Est

      Bureau ovale

      Maison-Blanche, Washington DC

      Susan Hopkins croyait à peine ce qu’elle voyait.

      Elle se trouvait sur le tapis du coin salon du Bureau ovale, dont les confortables fauteuils à haut dossier avaient été enlevés pour les festivités de ce matin. Une trentaine de personnes s’entassaient dans la pièce. Kurt Kimball et Kat Lopez se tenaient près d’elle, ainsi que Haley Lawrence, son secrétaire à la Défense.

      Sur son insistance, tout le personnel de la résidence de la Maison-Blanche était présent : le chef, les serveurs, les domestiques, mêlés aux autres invités : les directeurs de la National Science Foundation, de la NASA, du Service des parcs nationaux, entre autres. Une poignée de personnalités des médias était également ici, ainsi que deux ou trois caméramans triés sur le volet. De nombreux agents du Secret Service étaient alignés contre les murs ou dispersés parmi la foule.

      Sur un grand écran télé installé près du mur du fond, Stephen Lief était sur le point de prêter serment comme vice-président. Susan ne pourrait plus le revoir en chair et en os avant la fin de son mandat présidentiel. Stephen était un homme d’âge mûr, un air de hibou avec ses lunettes rondes, des cheveux gris clairsemés qui se dégarnissaient au sommet du crâne comme une armée en déroute. Il avait un corps vaguement en forme de poire, caché dans un costume Armani à rayures bleues de trois mille dollars.

      Susan connaissait Stephen depuis longtemps. Il aurait dû être son principal adversaire aux dernières élections, si Jeff Monroe ne s’était pas interposé. Auparavant, à l’époque où elle était au Sénat, il représentait l’opposition officielle de l’autre côté de l’allée centrale, un conservateur modéré, peu remarquable, à tête de cochon mais pas déséquilibré. Et c’était un homme bien.

      Mais il n’était pas dans le bon parti, et elle avait essuyé de vives critiques de la part des milieux libéraux pour cela. Il était issu d’une aristocratie terrienne, d’une vieille fortune – un descendant du Mayflower, ce que l’Amérique avait de plus proche de la noblesse. À un moment donné, il avait semblé penser que devenir président était pour lui un droit de naissance. Pas le genre de Susan – des aristocrates qui se croyaient tout permis et avaient tendance à manquer du contact humain permettant de se rapprocher des gens que l’on était censé servir.

      Le fait qu’elle ait pensé à Stephen Lief mesurait bien à quel point elle avait Luke Stone dans la peau. C’était l’idée de Stone, qu’il lui avait présentée de manière ludique, alors que tous deux étaient allongés côte à côte dans son grand lit présidentiel. Elle réfléchissait à voix haute à des candidats possibles pour la vice-présidence, et Luke avait lancé :

      – Pourquoi pas Stephen Lief ?

      Elle avait failli rire.

      – Stone !

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