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les bains en même temps que les nôtres… alors qu’ailleurs tout cela n’arrive pas. D’ailleurs, ils pourraient nous demander d’en rendre compte.

      “En attendant, Nadira s’était réfugiée dans le lieux où elle allait étant enfant, sous la fronde d’un gros mûrier situé dans la propriété de la mai-son. Elle ne comprenait pas pourquoi une chose si importante devait lui arriver. Elle ne se sentait pas à la hauteur, elle pensait n’avoir rien fait pour mériter les attentions du Qā’id et une proposition de cette portée. Elle pleurait et tremblait…. donc elle appuya le dos contre le tronc et, les yeux fermés, elle se rappela la raison des évènements d’aujourd’hui. Mais ce chrétien que tu as fouetté a pris l’épée quand les soldats de Jirjis Maniakis pillèrent le village, et pourtant les dhimmi sont exemptés de guerre et ne peuvent porter d’armes. ”

      “ Alors saches que je pense que cette réalité est erronée et ma tâche sera de rétablir l’ordre des choses. Qu’ils se soumettent à l’Islam eux aussi comme ont fait tant de chrétiens qui habitaient cette terre s’ils ne veulent pas être traités de manière différente.

      Donc, maintenant Nadira répondit :

      “ Et toutes ces choses depuis quand les penses-tu ? Depuis quand es-tu devenu le beau-frère du Qā'id ? ”

      “ Et toi, fillette, depuis quand as-tu appris à répondre à ton walī9, protecteur et garant ? Depuis que le Qā'id a posé son regard sur toi et que tu lui as été promise comme future épouse ? Et si je lui racontais que tu as pris le temps de parler avec un chrétien lié au poteau. ”

      “ Mon seigneur Ali aurait eu compassion de cet homme. ”

      “ Bien, qu’il vienne me réprimander quand je le lui raconterai… avant qu’il ne t’ai détaché la langue pour de telles confidences avec des étrangers. ”

      Nadira donc s’en alla déçue et fâchée, courant se réfugier dans sa chambre. Au passage de la jeune fille, les domestiques, curieux, disparurent rapidement. Ensuite, se jetant sur son lit, elle embrassa les nombreux coussins qui le recouvraient et se mit à pleurer.

      “ Nadira, mon enfant. ” l’appela Jala.

      Elle souleva la tête, désormais avec ses volumineux cheveux bouclés découverts, et écouta.

      “ Nadira, mon enfant, cela peut être cruel de se rendre compte que tu appartiendras à quelqu’un que tu ne connais pas assez ; tu n’as que dix-neuf ans…. c’est déjà beaucoup, mais tu es encore inexpert en tout ! ”

      “ Pourrait-il vraiment me détacher la langue ? ”

      “ Laisse tomber ton frère. Cependant qu’une chose soit bien claire : ja-mais au grand jamais je ne veux te voir parler avec cet homme ! ”

      “ Je ne lui ai pas parlé ! C’est lui qui m’a demandé de l’eau. ”

      “ Et que t’a t-il dit d’autre ? ”

      “ Rien ! ”

      “ Bien, car il faut que tu saches qu’il s’agit d’un homme dangereux, de la pire espèce, Nadira. Et ton frère a raison de vouloir te punir. »

      “ Il y a peu tu as dit le contraire… ”

      “ J’ai dit à Umar comment son père se serait comporté… à toi je dis ce que je pense. Maintenant va voir si ta belle sœur a besoin d’aide ; c’est pour cela que tu n’es pas encore la femme du Qā'id… pour l’assister durant sa grossesse. ”

      C’est ainsi que passaient les heures de ce second jour d’hiver de 1060 – le 452 selon l’hégire10 – où Corrado le chrétien avait été lié et humilié comme un bête têtue

      Chapitre 2

      Automne 1060 ( 452 de l’hégire ), Rabaḍ de Qasr Yanna

      C’était encore le début du mois d’octobre, mieux encore quelques mois avant que Umar ne se venge de l’insolence de son fils envers les chrétiens en le liant au poteau de la cour, et que Nadira ne dispute avec son frère.

      Sous le soleil de l’après midi, Khalid, un jeune garçon de douze ans très proche de Umar, un petit pasteur à qui le collecteur d’impôts confiait ses troupeaux personnels, venait rapidement vers le village. Très vite, il arriva devant la maison de Umar, en courant si rapidement qu’il semblait une foulée de vent de novembre. Donc, il était tellement essoufflé qu’il dû s’appuyer sur ses genoux et sur sa houlette, il s’écria :

      “ Umar ! ”

      De là à peu certains domestiques sortirent, vu l’horaire ils étaient occupés dans l’habitation. Une fois prévenu, le maître de maison sorti sur la porte sans dessus dessous, vu qu’il était évident qu’il était en train de dormir bercé par la tiède torpeur du début de l’automne.

      “ Que veux-tu ? Qui hurle à cette heure-ci ? Je dormais avec mes enfants… et maintenant tu nous as tous réveillés ! ”

      “ Umar, pardonnes-moi ! Les chèvres… ” et il s’interrompit pour re-prendre son souffle.

      “ Qu’est-il arrivé à mes chèvres ? On te les a volées ? ” demanda l’autre inquiet.

      “ Non, je les ai mises dans l’enclos. ”

      “ Et tu les as certainement laissées sans surveillance. ”

      “ J’aurais voulu envoyer une chèvre fartasa11, toutefois tu n’aurais quand même pas compris ses bêlements. ”

      Khalid rit ; il était évident qu’il était en train de narguer son patron.

      Umar le pris par l’oreille et le poussa au sol par un coup de pieds bien visé sur les fesses.

      “ Dis-moi quelque chose d’important ou autrement c’est toi que je mettrai dans l’enclos ! ”

      Et lui, en se relevant :

      “ Le Qā'id, Monsieur… le Qā'id vient vers le Rabaḍt et te cherche. ”

      “ Ali ibn12 al-Hawwās vient chez moi ? ” demanda surpris Umar, en ajustant d’une main ses cheveux comme si le seigneur de Gergent13 et de Qasr Yanna était déjà à ses côtés.

      “ Il est accompagné par ses fidèles et il m’a demandé de t’informer qu’il vient avec de bons propos. ”

      Umar s’efforça de bien voir et aperçut la caravane qui descendait par les courbes tortueuses du mont de Qasr Yanna.

      “ Retourne à tes chèvres ! ” ordonna t-il au jeune garçon avant de rentrer en vitesse chez lui.

      Une grande confusion se déchaîna dans la maison, et avec ferveur on essaya de rendre chaque chose digne de la visite du Qā'id. Dans le village également un vacarme se déchaîna : les femmes se ruèrent à l’entrée du Rabaḍ et certains hommes, ayant été prévenus, rentrèrent des potagers les plus proches.

      Michele et Apollonia, frère et sœur de Corrado, s’approchèrent pour observer la scène avec curiosité. Ils auraient rendu hommage au Qā'id tout comme les autres ; celui qui les commandait importait peu, il s’agissait dans tous les cas de leur seigneur. D’ailleurs si Michele ne portait pas ces espèces de loques et les cheveux rasés, signes imposés par son statut de chrétien, personne n’aurait pu reconnaître qu’ils étaient des non-croyants de la parole du Prophète. En plus entre Apollonia et les femmes sarrasins14 du village il n’y avait aucune différence, à l’exception des traits plus continentaux de son visage. D’autre part, autrefois, Rabaḍ avait été colonisé exclusivement par des berbères. Toutefois, ailleurs, des islamiques à l’aspect plus européen – car d’origine différente ou parce qu’il s’agissait d’indigènes convertis

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<p>9</p>

Wali : dans la religion islamique, indique le parent masculin de l’épouse, dont le consentement est nécessaire pour la célébration du mariage.

<p>10</p>

Hégire : littéralement ”émigration ”. Indique l’exode de Mahomet de La Mecque à Médina. L’année de cet épisode, en 622 a.c. marque le début du calendrier musulman. Par exemple, en 453 de l’hégire correspond à 1061 de l’ère chrétienne ( compte tenu du fait que l’année musulmane est plus courte ).

<p>11</p>

Fartasa: mot sicilien qui indique un type de chèvre sans corne. Du berbère ” fartas ”, littéralement ”sans cheveux, teigneux.

<p>12</p>

Ibn: littéralement ”fils”. Présent dans les patronymes arabes pour indiquer sa propre descendance, souvent ayant la fonction actuelle du nom de famille. Est parfois traduit par ” bin“ ou ” ben“.

<p>13</p>

Gergent : nom de la ville d’Agrigente durant la période arabe.

<p>14</p>

Sarrasins: nom attribués aux musulmans du Moyen Age. Les autres synonymes utilisés dans le roman sont : maures, mahométans, islamiques, arabes et circoncis. Certains de ces termes sont impropres, toutefois ils reflètent la connaissance et la culture de la société de l’époque. Le terme ” musulman ” est absent car par rapport à la langue du récit il fut introduit avant le roman. Pour la même raison les termes ”byzantins ” et ” hébreux ” ont été remplacés par ” pèlerins ” et ” juifs ”.