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      Nadira compris immédiatement la vrai identité du riche marchand… il s’agissait de Mohammed ibn al-Thumna, Qā’id de Catane et de Syracuse, devenu l’émir le plus puissant de la Sicile toute entière, quand quelques années auparavant, désormais sans aucun pouvoir central, les qā’id s’étaient battus entre eux. Elle su immédiatement jusqu’où cet homme était capable d’arriver : elle imagina ses propres pouls sciés là où il les avait fait scié à Maimuna.

      Le qā’id prit de nouveau Nadira par la nuque, l’incitant à se relever, et la livra à ses hommes. Enfin il contraint Corrado à relever la tête en posant la lime de sa cimeterre sous le menton.

      “ Si tu veux te venger sur celui qui t’a traité comme cela, viens me chercher quand tu te seras remis… toi et tes amis circoncis. ”

      A cela Mohammed ibn al-Thumna quitta la cour et puis le Rabaḍ. Conscient que les incendies du village avaient déjà alerté les gardes de Qasr Yanna et que son beau-frère serait vite intervenu.

      En attendant, on avait lié les mains de Nadira avec une longue corde et de l’autre côté, on la tirait de par les rues qui descendaient le plateau, comme on aurait fait avec un âne. Le Qā’id et les siens se déplaçaient en illuminant la route avec des torches, et les pieds nus de Nadira se blessèrent parmi les pierres et les ronces. Quand ensuite ils arrivèrent au gué du ruisseau qui s’écoulait sous le Rabaḍ, précisément sous une des grandes norias, Mohammed ordonna de délier la jeune fille et, en lui tendant un fin vêtement féminin, il l’invita à se couvrir comme il convient de le faire aux femmes. Ensuite, en regardant les nombreux hommes qui suivaient, il dit : ” Si quelqu’un ose manquer de respect à la jeune fille, il aura à faire à moi… il s’agit de toute façon de la promise d’un qā’id et elle doit être traitée de la sorte ! ”

      A ce point tous les chevaux sautèrent et disparurent vers est. Nadira du s’accrocher aux hanches de Jamal, l’homme au gros médaillon.

      Tous les chevaux, noirs en majorité, allaient dans la même direction. Environ cinquante personnes les montaient, tous vêtus d’un burnus40 noir et une culotte de la même couleur. Ils avaient des visages sombres et par-laient la langue la plus commune parmi les nombreux maures d’Afrique. Nadira reconnut cet idiome, c’est comme ça que bien souvent elle s’exprimait en famille, cependant elle ne l’avait jamais entendu parler aussi couramment et avec cet accent si typique.

      Les chevaliers encourageaient doucement les destriers et ceux-ci avançaient lentement sous la lune, en formant une longue procession.

      “ Mon Seigneur, qui sont ces hommes ? Et où me conduisent-ils ? ” de-manda Nadira au bras droit du Qā’id, dès qu’elle eut calmé ses sanglots.

      “ Ce sont les coupe-gorge d’Afrique de ibn al-Menkūt. Ils ont trahi leur qā’id pour en servir un plus convenant. Mais leur seigneur est maintenant un ami de mon patron, et il leur a fait le don de ses mercenaires pour qu’il les utilise de ces jours-ci. ” répondit Jamal.

      “ Et ces étrangers me couperont également la gorge ? ” demanda la jeune fille avec la typique innocence de ceux qui ne connaissent pas le monde, et tremblent en face de tout ce qui est nouveau.

      Jamal sourit et répondit :

      “ N’aie pas peur, mon seigneur a besoin de toi vivante. ”

      Peu de temps passa, et ils s’arrêtèrent dans les environs d’un bourg à la frontière entre les terre contrôlées de ibn al-Ḥawwās et celles dominées par ibn al-Thumna. D’autres sales individus stationnaient déjà aux alentours du village, un groupe de maisons à l’aspect très semblable au Rabaḍ de Qasr Yanna. Ceux-ci, coupe-gorge de la même espèce que ceux qui avaient dévasté le Rabaḍ. Rendirent hommage a Mohammed, se prosternant dès qu’ il descendit de son cheval.

      “ Livre la jeune fille aux femmes du village et, quand elles l’auront re-mise sur pied, renvoie-la moi. ” ordonna le Qā’id à Jamal, et ceux-ci ré-pondirent par une inclination.

      Nadira fut conduite à la lumière des torches, dans une maison modeste, ici, des femmes aux visages tristes prirent soin d’elle en lui lavant les pieds, en lui peignant les cheveux et en lui donnant à manger. Nadira de-manda qui elles étaient, une de celles-ci répondit que trois jours avant les coupe-gorge de ibn al-Menkūt avaient capturé le village, tué tous les hommes et violé chaque femme comme rituel d’initiation à leur nouvel état d’esclavage.

      Enfin Nadira fut conduite chez le Qā’id qui séjournait dans une somptueuse tente élevée à côté de la mosquée.

      L’arrivée de la jeune fille fut annoncée par le son de nombreux bracelets, bracelets de chevilles et hochets qu’on lui avait fait porter. En plus ses yeux avaient été peints avec du kajal41 qui, dès qu’elle apparut devant Mohammed était déjà en train de disparaître sous les larmes et rayait de noir ses pommettes jusqu’au menton.

      “ Viens Nadira, approche-toi ! Sous ma tente on y est plus au chaud et plus confortable. Les nuits d’hiver peuvent être trop longues quand on ne parvient pas à dormir. ” Mohammed l’invita en restant assis les jambes croisées sur des coussins.

      Nadira entra dans la luxueuse tente et, en s’approchant du feu du brasier, elle s’exclama :

      “ Je sais qui tu es. ”

      “ Donc, ça ne m’étonne pas que mon beau-frère est tombé amoureux de toi… cela aurait été étrange qu’il ait choisi une épouse stupide ! ”

      “ Tu ne peux pas me mêler à tes affaires de famille. ”

      “ Tu veux dire ” nos ” affaires de famille… belle-sœur ! Sais-tu ce que ton Qā’id m’a fait ? ”

      “ Ton épouse te craint… après le mal que tu lui as provoqué. ”

      “ La vie et la mort de ma maison et de mes sujets ne sont-ils pas dans mes mains ? ”

      “ La vie de chacun de nous est dans la mains d’Allah, pas dans la tienne. ”

      “ Mais Allah a ses dessins et ceux-ci ne peuvent être changés. Si cela est arrivé avec Maimuna, n’est-ce pas également Sa volonté ? ”

      “ Donc, même le fait que je ne veuille pas venir chez toi est Sa volonté… accepte-la et laisse.moi partir. ”

      Mohammed rit et expliqua :

      “ Il y a différentes sortes d’hommes qui naissent au monde : il y a ceux qui subissent leur destin et ceux qui l’utilisent pour changer les temps, les saisons et les peuples. Moi je suis né noble et dans ma Syracuse, j’ai su me faire grand pour ensuite prendre la moitié de la Sicile. Je rends service à Allah et à son insondable destin, étant au monde pour changer les temps, les saisons et les peuples. Le mal n’existe pas… le bien n’existe pas, mais uniquement la volonté d’Allah. ”

      Nadira tomba alors sur ses genoux et le visage par terre elle implora :

      “ Je t’en pries, mon Seigneur, ma mère criait quand tu m’as arrachée de ses bras, et la maison était envahie de fumée… Laisse-moi partir pour m’assurer de sa santé, et puis je reviendrais auprès de toi. ”

      “ Revoir ta mère, dépendra uniquement d’Ali, ton Qā’id. ”

      “ Ne me fais pas rester : les hommes dont tu t’entoures sont perfides et criminels… ils ont fait beaucoup de mal aux personnes qui vivent dans ce village. ”

      “ Ils ne te feront aucun mal, n’aies pas peur. La sorte d’une épouse illustre ne peut être comparée à celle des communes vilaines livrées pour l’amusement des soldats. ”

      “ Mais tu réduis à l’esclavage même nos sœurs, et tes soldats ont mas-sacrés tous les hommes !

      “ Pas tous… j’ai permis aux paysans chrétiens de rester. S’entourer d’infidèles paie bien vu qu’ils remplissent grassement mes poches, grâce aux

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<p>40</p>

Burnus: ample manteau masculin avec capuchon en laine, typique des populations berbères.

<p>41</p>

Kajal: poudre composée de vrais minéraux et de graisse animale, utilisée dans les cosmétiques depuis l’antiquité pour noircir les paupières et marquer le contour des yeux.