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de fois en chemin.

      — J’allais dire n’oubliez pas que je vous aime tous les deux, mes frères, dit Raymond. Même si tu es un idiot, Lofen, et que Garet est encore trop novice pour avoir le moindre bon sens.

      — Au moins, on n’est pas une mère poule qui glousse après tout le monde, répondit Garet en tirant sur les rennes de son cheval pour le préparer au départ. À bientôt, mon frère, avec toute une armée !

      — Je veillerai sur lui, dit Moira, retournant son propre cheval pour suivre Garet.

      — Veille à tenir parole, insista Raymond.

      — Tu es dur avec elle, dit Lofen, alors que les deux s’éloignaient.

      — C’est plutôt le fait que Garet soit doux avec elle qui m’inquiète, dit Raymond.

      Il vit son frère hausser les épaules.

      — Au moins, il a une charmante compagne avec lui qui connaît les gens qu’il va voir. Pourquoi je ne pouvais pas laisser cette Neave venir avec moi…

      Raymond se moqua de cette dernière remarque.

      — Tu penses qu’elle serait intéressée par toi ? Tu l’as vue avec Matilde. De plus, les Pictis seront assez faciles à trouver. Parcours les terres sauvages jusqu’à ce que l’un d’eux te lance quelque chose à la figure.

      — Tu plaisantes, répondit Lofen en déglutissant, mais tu te sentiras mal si je reviens criblé de flèches. Je vais tout de même y aller, et je ramènerai ma propre armée, pour voir à quel point nos ennemis apprécieront combattre le peuple sauvage.

      Il se retourna et partit en direction de ce qu’ils pensaient être les terres des Pictis, ce qui laissa Raymond attendre seul au croisement. Comparé à ses frères, il avait presque hérité de la tâche la plus facile : persuader des gens déjà mécontents à travers le royaume de se joindre à leur cause. Après tant d’années d’abus de la part des nobles servant le Roi Carris, ils devraient être en train d’attendre l’étincelle de ses paroles, prêts à s’enflammer comme de l’amadou.

      Malgré tout, alors que Raymond tournait son cheval en direction d’un des villages et le poussait dans un galop, il se surprit à regretter que ses frères ne soient pas venus avec lui.

      ***

      Le premier village était un endroit si petit qu’il n’aurait probablement pas mérité de figurer sur la plupart des cartes. Il avait un nom, Byesby, et quelques maisons, et c’était tout. C’était à peine plus qu’une ferme qui aurait prospéré, vraiment, sans même une auberge pour rassembler les gens du coin. Le mieux que l’on puisse dire, c’est qu’au moins il n’y avait pas de gardes dans les parages, au service d’un dirigeant local, qui pourrait essayer d’empêcher Raymond de rassembler les gens.

      Il se rendit au centre de l’endroit, qui semblait être marqué par un poteau en bois bas pour afficher les messages, placé près d’un puits qui n’avait manifestement pas été entretenu depuis un certain temps. Il y avait quelques personnes qui s’affairaient dans la rue, et d’autres sortirent alors que Raymond était assis sur son cheval. Ils n’avaient probablement pas vu beaucoup de gens en armure passer par ici. Peut-être même pensaient-ils qu’il avait été envoyé par quelque noble qui revendiquait l’endroit.

      — Écoutez-moi, cria Raymond du haut de son cheval. Rassemblez-vous, vous tous !

      Lentement, les gens commencèrent à se manifester. Raymond avait côtoyé plus de gens sur les champs de batailles, mais il se rendit compte, au fur et à mesure qu’ils l’entouraient, qu’il n’avait jamais eu à parler devant autant de monde auparavant. À ce moment-là, sa bouche était sèche, ses paumes moites.

      — Qui es-tu ? demanda un homme qui avait l’air assez costaud pour être forgeron. Nous n’avons pas le temps pour les voleurs et les bandits ici.

      Il tenait un marteau comme pour insister sur le fait qu’ils n’étaient pas sans défense.

      — Alors c’est aussi bien que je ne sois ni l’un ni l’autre ! lui répondit Raymond en criant. Je suis là pour vous aider.

      — À moins que tu n’aies l’intention de nous prêter main forte pour la récolte, je ne vois pas comment tu pourrais nous aider, intervint un autre homme.

      L’une des femmes les plus âgées regardait Raymond de haut en bas.

      — Je pourrais bien penser à quelques façons.

      Ces simples mots suffirent à déstabiliser Raymond, répandant à travers son corps la chaleur de l’embarras. Il tenta de se ressaisir, et c’était au moins aussi difficile que d’affronter un bretteur.

      — N’avez-vous pas entendu que le vieux duc et son fils Altfor ont été renversés ? poursuivit Raymond.

      — Qu’est-ce que ça a à voir avec nous ? demanda le forgeron. D’après la façon dont les gens hochaient la tête quand il parlait, Raymond eut le sentiment qu’il était celui qu’il devrait convaincre. Nous sommes sur les terres de Lord Harrish.

      — Lord Harrish, qui vous saigne à la manière des autres nobles, retorqua Raymond. Il savait qu’il y avait des nobles plus justes comme Earl Undine, mais d’après ce dont il se rappelait du souverain de ces terres, il n’en faisait pas partie. Combien de fois faudra-t-il qu’ils aillent dans vos villages, qu’ils vous volent, avant que vous ne leur disiez que c’en est assez ?

      — Nous serions bien sots de faire une chose pareille, rappela le forgeron. Il a des soldats.

      — Et nous avons une armée ! ajouta Raymond. Vous avez entendu dire que le vieux duc avait été renversé ? Nous l’avons fait, au nom du roi légitime, Royce !

      Dans son imagination, sa voix avait explosé. En réalité, Raymond pouvait voir certaines personnes à l’arrière qui s’efforçaient de l’entendre.

      — Tu es Royce ? s’interrogea le forgeron. C’est toi qui prétends être le fils du vieux roi ?

      — Non, non, corrigea rapidement Raymond. Je suis son frère.

      — Tu es donc aussi le fils du vieux roi ? demanda le forgeron.

      — Non, je ne le suis pas, avoua Raymond. Je suis le fils d’un villageois, mais Royce est…

      — Eh bien, décide-toi, s’agaça la vieille femme qui l’avait tant embarrassé. Si ce Royce est ton frère, alors il ne peut pas être le fils du vieux roi. Cela va de soi.

      — Non, vous ne comprenez pas, dit Raymond. S’il vous plaît, écoutez-moi, donnez-moi une chance de tout expliquer, et…

      — Et quoi ? dit le forgeron. Tu nous diras combien ce Royce vaut la peine qu’on le suive ? Tu nous diras comment on devrait mourir dans la guerre de quelqu’un d’autre ?

      — Oui ! dit Raymond, avant de réaliser de quoi cela avait l’air. Non, je veux dire… Ce n’est pas la guerre de quelqu’un d’autre. Cette guerre concerne tout le monde.

      Le forgeron n’avait pas l’air très convaincu. Il s’approcha pour s’appuyer contre le puits, se détachant de la foule pour lui faire face et s’y adresser.

      — Vraiment ? dit-il en regardant les autres. Vous me connaissez tous, et je vous connais, et nous connaissons tous ces batailles entre nobles. Ils nous prennent pour leurs armées et nous promettent toutes sortes de choses, mais quand tout est fini, c’est nous qui sommes morts, et ils retournent à leurs affaires comme si de rien n’était.

      — Royce est différent ! insista Raymond.

      — En quoi est-il différent ? demanda le forgeron.

      — Parce que c’est l’un des nôtres, répondit Raymond. Il a grandi dans un village. Il sait ce que cela signifie. Il s’en soucie.

      Le forgeron rit de bon cœur.

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