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      Il chassa cette pensée de sa tête. Maintenant que ses questions sur son avenir avaient trouvé des réponses, toute la tension accumulée venait de quitter ses épaules et il se retrouva épuisé et perclus de douleurs, tout en bouillonnant d’excitation à l’idée de revoir ses filles.

      Il avait deux heures avant que l’avion des filles n’atterrisse. C’était plus que suffisant pour rentrer chez lui, prendre une douche, se changer et aller les accueillir. Mais il décida de zapper toutes ces étapes et de se rendre directement à l’aéroport.

      Il n’avait pas vraiment envie de rentrer tout seul dans sa maison vide.

      Aussi, il se gara sur le parking de stationnement de courte durée de Dulles et entra dans le terminal des arrivées. Il acheta un café à un comptoir et s’assit sur une chaise en plastique, buvant lentement, pendant qu’une foule de pensées tournoyait dans sa tête, aucune ne restant assez longtemps pour être considérée comme une impression consciente, mais chacune passant en flottant avant de retourner dans la boucle comme dans un tourbillon.

      Il se dit qu’il fallait qu’il appelle Maria. Il avait besoin d’entendre sa voix. Elle saurait quoi dire et, même si ce n’était pas le cas, il y avait quelque chose dans le fait de lui parler qui avait toujours semblé calmer son esprit malade. Reid n’avait pas son téléphone portable mais, heureusement, on vendait des téléphones à carte prépayée dans l’aéroport, chose de plus en plus rare au vingt-et-unième siècle. Ensuite, comme il n’avait pas d’argent à mettre dans l’appareil, il composa d’abord le zéro, puis le numéro de portable qu’il connaissait par cœur.

      Il n’y eut aucune réponse. La ligne sonna quatre fois avant que la boîte vocale ne prenne le relais. Il ne laissa pas de message. Il ne savait pas quoi dire.

      Au bout d’un long moment, l’avion finit par arriver et une procession de passagers marchant à pas rapides s’avança le long du couloir, passant les portes et la sécurité pour tomber dans les bras de ceux qui les attendaient ou pour aller directement récupérer leurs bagages.

      Strickland le vit en premier. L’Agent Todd Strickland était jeune, vingt-sept ans, avec une coupe de cheveux militaire et un cou épais. Il avait l’air à l’aise, à la fois abordable et autoritaire en même temps. Et le plus étonnant, c’était que Strickland n’avait pas du tout l’air surpris de voir Reid. La CIA avait indubitablement dû lui dire que Kent Steele avait été libéré. Il fit un léger signe de tête à l’attention de Reid en escortant les deux adolescentes le long du couloir.

      Il semblait que Strickland n’avait pas dit aux filles qu’il serait là à leur arrivée et Reid lui en fut reconnaissant. Maya l’aperçut ensuite et, même si ses jambes continuèrent d’avancer, sa bouche s’ouvrit d’étonnement. Sara cligna deux fois des yeux, puis ses lèvres s’élargirent en un sourire véritablement heureux. Même avec son bras plâtré et en écharpe, celui qu’elle s’était cassé après avoir sauté d’un train en marche, elle courut vers lui. “Papa !”

      Reid tomba à genoux et la serra fort dans ses bras. Maya courut derrière sa petite sœur et ils s’étreignirent tous les trois pendant un long moment.

      “Comment c’est possible ?” chuchota Maya dans son oreille. On avait donné aux filles de nombreuses raisons de croire qu’elles ne reverraient pas leur père avant très longtemps.

      “On en parlera plus tard,” promit Reid. Il relâcha son étreinte et se releva face à Strickland. “Merci de les avoir ramenées au pays en toute sécurité.”

      Strickland acquiesça de la tête et serra la main de Reid. “Je n’ai fait que tenir ma promesse.” En Europe de l’Est, Strickland et Reid en étaient arrivés à une sorte d’étrange respect mutuel et le jeune agent lui avait promis de garder ses filles en sécurité, que Reid soit dans les parages ou pas. “Je suppose que je peux y aller maintenant,” leur dit-il. “Vous êtes toutes les deux en sécurité à présent.” Il fit un sourire aux filles, puis s’éloigna de la petite famille en marchant d’un pas tranquille.

      Le trajet pour rentrer à la maison fut de courte durée, seulement une demi-heure, et Sara le rendit encore plus court par un bavardage inhabituel chez elle. Elle raconta à son père comment l’Agent Strickland s’était occupé d’elles et lui expliqua que les médecins polonais l’avaient autorisée à choisir la couleur de son plâtre. Mais elle avait préféré choisir le beige ordinaire pour pouvoir le colorier elle-même avec des feutres. Maya était restée étonnement silencieuse sur le siège passager avant, jetant de temps à autre un coup d’œil par-dessus son épaule pour regarder sa sœur cadette et lui décocher un petit sourire.

      Puis, ils étaient arrivés à leur maison d’Alexandria, et c’était comme si la porte d’entrée avait aspiré toute pensée gaie ou heureuse. L’ambiance avait totalement changé. Il faut dire que la dernière fois que l’un d’entre eux avait mis les pieds dans l’entrée, il y avait un homme mort gisant juste devant la cuisine. Dave Thompson, leur voisin, était un ancien agent de la CIA à la retraite qui avait été tué par l’assassin ayant kidnappé Maya et Sara.

      Personne ne dit mot, pendant que Reid refermait la porte et tapait le code pour activer le système d’alarme. Les filles semblaient même hésiter à faire un pas de plus dans la maison.

      “Tout va bien,” leur dit-il à voix basse et, même s’il croyait à peine lui-même en ces mots, il passa devant pour se rendre jusqu’à la cuisine dans une tentative de leur prouver qu’il n’y avait rien à craindre. L’équipe de nettoyage de la scène de crime avait effectué un travail minutieux, mais la forte odeur d’ammoniaque et les traces blanches sur les joints des carreaux laissaient penser que quelqu’un s’était occupé d’éponger le sang et d’éliminer toute trace du meurtre qui avait été commis.

      “Est-ce que quelqu’un a faim ?” demanda Reid en essayant de prendre un air décontracté. Mais les morts sortirent de sa bouche trop fort, presque théâtralement.

      “Non,” dit Maya tout bas, pendant que Sara secouait la tête.

      “Ok.” Le lourd silence qui s’ensuivit fut palpable, presque comme un ballon invisible gonflé à l’extrême entre eux. “Eh bien,” finit par dire Reid pour tenter de le faire éclater, “je ne sais pas pour vous deux, mais moi je suis épuisé. Je pense qu’on devrait tous aller se reposer.”

      Les filles acquiescèrent. Reid embrassa Sara sur le front et elle repartit dans l’entrée, prenant bien soin de rester collée au mur, constata-t-il, même si rien ne lui barrait le passage. Puis, elle monta à l’étage.

      Maya attendit sans mot dire, écoutant jusqu’à ce que les bruits de pas dans les marches atteignent la moquette à l’étage. Elle retira ses chaussures en utilisant les orteils du pied opposé, puis demanda tout à coup, “Est-ce qu’il est mort ?”

      Reid cligna des yeux. “Qui ça ?”

      Maya ne leva pas les yeux. “L’homme qui nous a enlevées. Celui qui a tué M. Thompson. Rais.”

      “Oui,” dit Reid à voix basse.

      “C’est toi qui l’as tué ?” Son regard était dur, mais pas fâché. Elle voulait la vérité, pas une autre histoire de couverture ou un autre mensonge.

      “Oui,” admit-il au bout d’un long moment.

      “Bien,” dit-elle dans un murmure.

      “C’est lui qui t’a donné son nom ?” demanda Reid.

      Maya acquiesça, puis leva les yeux pour le regarder d’un air perçant. “Il y a un autre nom qu’il voulait que je connaisse : Kent Steele.”

      Reid ferma les yeux et soupira. En quelque sorte, même mort, Rais continuait de lui causer des problèmes. “J’en ai fini avec tout ça maintenant.”

      “C’est promis ?” Elle leva un sourcil, espérant qu’il soit sincère.

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