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s’en est bien moins tirée que l’Europe au niveau des chiffres. Quoi d’autre ?”

      “La conquête mongole,” proposa une brune à queue de cheval.

      “Une autre bonne idée, mais vous réfléchissez en termes de conflits armés. Or, ce à quoi je pense est moins anthropogénique : c’est plus biologique.”

      “La peste noire,” murmura un blond au premier rang.

      “Oui, c’est exact, Monsieur… ?”

      “Wright,” répondit le gamin.

      Reid esquissa un sourire. “M. Wright, en êtes-vous sûr ?”

      Le jeune sourit timidement et secoua la tête.

      “Oui, M. Wright a raison : il s’agit de la peste noire. La pandémie de la peste bubonique débuta en Asie Centrale, voyagea le long de la route de la soir, fut transmise en Europe à cause des rats sur les navires marchands et, au quatorzième siècle, tua soixante-quinze à deux-cents millions de gens d’après les estimations.” Il marcha un moment pour ponctuer ses propos. “Cela fait une énorme différence, n’est-ce pas ? Comment ces chiffres peuvent-il être aussi larges ?”

      La brune du troisième rang leva timidement la main. “Parce qu’ils n’avaient pas de bureau de recensement il y a sept-cents ans ?”

      Reid et quelques autres se mirent à rire. “Eh bien, non, en effet. Mais c’est également à cause de la rapidité avec laquelle la peste s’est propagée. Je veux dire, nous sommes en train de parler de plus d’un tiers de la population de l’Europe tuée en l’espace de deux ans. Pour remettre ça en perspective, c’est comme si toute la côte Est et la Californie avaient été vidées de leurs habitants.” Il se pencha sur son bureau et croisa les bras. “Maintenant, je sais ce que vous êtes en train de vous dire. ‘Professeur Lawson, n’êtes-vous pas censé venir nous parler des guerres ?’ Si, et c’est ce que je vais faire tout de suite.”

      “Quelqu’un a mentionné la conquête mongole. Pendant une brève période, Gengis Khan a eu le plus grand empire contigu de l’histoire et ses forces ont marché sur l’Europe de l’Est pendant les années de peste en Asie. Khan est considéré comme l’un des premiers à avoir utilisé ce que nous appelons maintenant la guerre biologique. Si une ville ne se rendait pas, son armée catapultait des corps infestés par la peste par-dessus leurs remparts. Et ensuite… elle n’avait plus qu’à attendre un peu.”

      M. Wright, le blond du premier rang, fronça le nez de dégoût. “Impossible que ce soit vrai.”

      C’est vrai, je vous l’assure. Siège de Kafa, où est à présent la Crimée, en 1346. Vous voyez, on se plaît à penser qu’une chose comme la guerre biologique est un nouveau concept, mais ce n’est pas le cas. Avant que nous ayons des tanks, des drones, des missiles ou même des armes à feu au sens moderne du terme, nous, euh… ils, euh…”

      “Pourquoi est-ce que tu possèdes un truc pareil, Reid ?” demande-t-elle d’un ton accusateur. Ses yeux semblent plus apeurés qu’en colère.

      À sa mention du mot “armes,” un souvenir venait de surgir dans sa tête, le même qu’avant, mais plus clair cette fois. Dans la cuisine de leur ancienne maison en Virginie. Kate a trouvé quelque chose en faisant la poussière dans l’un des conduits de la climatisation.

      Un flingue sur la table, petit, un LC9 neuf millimètres argenté. Kate gesticule des mains en direction de l’arme, comme si c’était un objet maudit. “Pourquoi est-ce que tu possèdes un truc pareil, Reid ?”

      “C’est… juste pour se protéger,” mens-tu.

      “Se protéger ? Est-ce que tu sais au moins t’en servir ? Et si l’une des filles était tombée dessus ?”

      “Elles ne feraient pas…”

      “Tu sais à quel point Maya peut être curieuse. Bon sang, Je ne veux même pas savoir comment tu te l’es procuré. Je ne veux pas de ce truc chez nous. S’il te plaît, débarrasse-toi de ça.”

      “Bien sûr. Je suis désolé, Katie.” Katie… le nom que tu lui réserve quand elle est en colère.

      Tu prends délicatement le flingue sur la table, comme si tu ne savais pas comment le manipuler.

      Une fois qu’elle sera partie au travail, tu devras récupérer les onze autres armes planquées dans toute la maison. Leur trouver de meilleures cachettes.

      “Professeur ?” le jeune homme blond, Wright, regardait Reid d’un air inquiet. “Vous allez bien ?”

      “Euh… ouais.” Reid se redressa et se râcla la gorge. Il avait mal aux doigts : il avait serré fort les bords du bureau quand le souvenir l’avait happé. “Ouais, désolé.”

      Il n’avait plus aucun doute à présent. Il était sûr d’avoir perdu au moins un souvenir de Kate.

      “Euh… désolé les jeunes, mais je ne me sens pas très bien tout à coup” dit-il à ses élèves. “C’est arrivé subitement. Disons, euh, qu’on va en rester là pour aujourd’hui. Je vais vous donner de la lecture et nous reprendrons tout ça lundi.”

      Ses mains tremblèrent pendant qu’il leur donnait les numéros de pages à lire. De la sueur se mit à perler sur son front, alors que les étudiants quittaient la pièce. La brune du troisième rang s’arrêta devant son bureau. “Vous n’avez vraiment pas l’air bien, Professeur Lawson. Vous voulez que l’on prévienne quelqu’un ?”

      Une migraine était en train de se former à l’avant de son crâne, mais il se força à esquisser un sourire qu’il espérait agréable. “Non, merci, ça va aller. J’ai juste besoin de me reposer.”

      “OK. Bon rétablissement, Professeur.” Elle quitta également la salle de cours.

      Dès qu’il se retrouva seul, il fouilla dans le tiroir de son bureau, trouva des cachets d’aspirine et les avala avec l’eau qu’il sortit d’une bouteille dans son sac.

      Il s’enfonça dans sa chaise et attendit que son rythme cardiaque se calme. Les souvenirs n’avaient pas seulement eux un impact mental ou émotionnel sur lui, ils avaient également eu un effet réellement physique. L’idée de perdre les souvenirs qu’il avait de Kate, alors qu’il l’avait déjà perdue elle, lui donnait la nausée.

      Au bout de quelques minutes, la sensation de malaise dans son estomac commença à s’estomper, contrairement aux pensaient qui affluaient dans son esprit. Il ne pouvait plus se chercher d’excuses : il devait prendre une décision. Il allait devoir déterminer quoi faire ensuite. Chez lui, dans une boîte sur son bureau, se trouvait la lettre lui indiquant vers qui se tourner pour obtenir de l’aide : un médecin suisse du nom de Guyer, le neurochirurgien qui lui avait installé le suppresseur de mémoire dans la tête. Si quelqu’un pouvait l’aider à retrouver la mémoire, c’était bien lui. Reid venait de passer ce dernier mois à changer sans cesse d’avis, à savoir s’il devait ou non tenter de retrouver totalement ses souvenirs.

      Mais des souvenirs concernant sa femme étaient partis et il n’avait aucun autre moyen de savoir si d’autres choses avaient été effacées avec le suppresseur.

      À présent, il était prêt.

      CHAPITRE SEPT

      “Regarde-moi,” dit l’Imam Khalil en arabe. “S’il te plaît.”

      Il posa les mains sur les épaules du garçon dans un geste paternel et s’agenouilla légèrement pour se retrouver face à face avec lui. “Regarde-moi,” dit-il à nouveau. Ce n’était pas une demande, mais un ordre énoncé gentiment.

      Omar avait du mal à regarder Khalil dans les yeux. Au lieu de ça, il regardait son menton et la barbe noire impeccable, parfaitement rasée au niveau du cou.

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