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et sceptique.

      Sophia haussa les épaules.

      C'est dangereux mais c'est mieux que rien du tout, dit-elle par télépathie.

      Elles approchèrent prudemment et, juste au moment où Sophia passa la tête à un coin, elle fut surprise de voir deux silhouettes émerger des décombres. A force de séjourner dans les ruines carbonisées, elles avaient l'air si noircies par la suie que, l'espace d'un instant, Sophia pensa qu'elles sortaient du feu.

      “Partez ! C'est chez nous, ici !”

      L'une d'elles se précipita vers Sophia, qui hurla en reculant involontairement d'un pas. Kate semblait prête à se battre mais, à ce moment, l'autre personne sortit une dague qui brilla plus que tout ce qu'il y avait en ce lieu.

      “On est chez nous ! Choisissez votre propre ruine ou je vous saigne.”

      Alors, les sœurs s'enfuirent, mettant autant de distance que possible entre elles et la maison. A chaque pas, Sophia était sûre qu'elle entendait arriver des voyous armés de couteaux, des gardes ou les bonnes sœurs quelque part derrière elles.

      Elles marchèrent jusqu'à en avoir mal aux jambes et jusqu'à ce que l'après-midi s'assombrisse beaucoup trop. Au moins, elles se réconfortaient en sachant que, à chaque pas, elles étaient un pas plus loin de l'orphelinat.

      Finalement, elles approchèrent d'une partie de la ville qui avait l'air légèrement plus belle. Pour une raison quelconque, le visage de Kate s'illumina quand elle la vit.

      “Qu'est-ce qu'il y a ?” demanda Sophia.

      “La bibliothèque des pauvres”, répondit sa sœur. “On peut s'y réfugier. Parfois, je m'y abrite quand les sœurs nous envoient faire des courses et le bibliothécaire me laisse entrer, bien que je n'aie pas de quoi payer.”

      Sophia n'avait pas grand espoir de trouver de l'aide à cet endroit mais, en vérité, elle n'avait pas de meilleure idée. Elle laissa Kate l'y emmener et elles se dirigèrent vers un endroit plein de gens où des prêteurs sur gages se mêlaient aux avocats et où l'on trouvait même quelques chariots parmi les chevaux et piétons habituels.

      La bibliothèque était un des plus grands bâtiments du lieu. Sophia connaissait son histoire : un des nobles de la ville avait décidé d'éduquer les pauvres et avait laissé une partie de sa fortune pour qu'on construise le genre de bibliothèque que la plupart des gens gardaient sous clef dans leur maison de campagne. Bien sûr, comme il fallait payer un penny pour entrer, cela signifiait que les plus pauvres ne pouvaient pas y aller. Sophia n'avait jamais eu un penny. Les bonnes sœurs ne voyaient aucune raison de donner de l'argent à leurs protégées.

      Elles approchèrent de l'entrée et Sophia vit qu'un homme vieillissant y était assis. Dans ses vêtements légèrement usés, il n'avait pas l'air méchant bien qu'il fasse visiblement tout autant office de garde que de bibliothécaire. A la grande surprise de Sophia, quand elles approchèrent, il sourit. Sophia n'avait jamais vu personne se réjouir de rencontrer sa sœur.

      “La jeune Kate”, dit-il. “Cela fait longtemps que je ne t'ai pas vu. Et tu as apporté une amie. Entrez, entrez. Je ne veux pas m'opposer au savoir. Même si le fils du comte Varrish a imposé une taxe d'un penny sur le savoir, le vieux comte n'y a jamais cru.”

      Il avait l'air de vraiment le penser mais Kate secouait déjà la tête.

      “Ce n'est pas ce qu'il nous faut, Geoffrey”, dit Kate. “Ma sœur et moi … on s'est enfuies de l'orphelinat.”

      Sophia vit que le vieil homme était choqué.

      “Non”, dit-il. “Non, tu ne dois pas faire une telle bêtise.”

      “Trop tard”, dit Sophia.

      “Alors, vous ne pouvez pas rester ici”, insista Geoffrey. “Si les gardes viennent et qu'ils vous trouvent ici avec moi, ils penseront que j'ai joué un rôle dans votre évasion.”

      Sophia voulait partir mais il semblait que Kate veuille encore essayer.

      “Je vous en prie, Geoffrey”, dit Kate. “Il me faut —”

      “Il faut que vous y reveniez”, dit Geoffrey. “Implorez leur pardon. J'ai de la pitié pour votre situation mais c'est la situation que le destin vous a attribuée. Revenez avant que les gardes ne vous attrapent. Je ne peux pas vous aider. Je risque même de me faire fouetter pour ne pas avoir alerté les gardes quand je vous ai vues. Je ne peux pas en faire plus pour vous.”

      Sa voix était sévère mais Sophia voyait quand même à son regard qu'il était gentil et que prononcer ces mots lui faisait de la peine. C'était presque comme s'il se battait contre lui-même, comme s'il ne faisait semblant d'être sévère que pour bien se faire comprendre.

      Malgré cela, Kate avait l'air découragée. Sophia détestait voir sa sœur dans cet état.

      Sophia l'entraîna loin de la bibliothèque.

      Alors qu'elles marchaient, Kate, la tête baissée, finit par parler.

      “On fait quoi, maintenant ?”, demanda-t-elle.

      En vérité, Sophia n'avait pas de réponse.

      Elles continuèrent à marcher mais, à ce moment-là, Sophia était épuisée d'avoir fait tellement de chemin. De plus, il commençait à pleuvoir d'une façon constante qui suggérait que la pluie allait durer longtemps. En matière de précipitations, Ashton détenait quasiment le record.

      Sophia se mit à descendre les rues pavées en pente vers la rivière qui traversait la ville. Sophia n'était pas sûre de ce qu'elle espérait y trouver parmi les barges et les barques à fond plat. Elle ne pensait pas que les ouvriers des quais ou les putains, qui constituaient la majorité de la population dans cette partie de la ville, allaient les aider, mais, au moins, c'était une destination. Au moins, elles allaient pouvoir trouver une cachette sur la rive, regarder les navires passer paisiblement et rêver d'endroits lointains.

      Finalement, Sophia repéra un léger surplomb près un des nombreux ponts de la ville. Elle s'en approcha. Elles titubèrent toutes les deux en sentant la puanteur de l'endroit et en voyant qu'il était infesté de rats. Cependant, Sophia était tellement fatiguée que même l'abri le plus sordide lui semblait être un palais. Il fallait qu'elles s'abritent de la pluie. Il fallait qu'elles se fassent oublier. Or, à ce moment-là, qu'y avait-il d'autre ? Il fallait qu'elles trouvent un endroit où personne d'autre, même pas les vagabonds, n'osait aller. C'était un endroit de ce type.

      “Ici ?” demanda Kate, dégoûtée. “On ne pourrait pas revenir à la cheminée ?”

      Sophia secoua la tête. Elle ne pensait pas qu'elles réussiraient à la retrouver et, même si elles y arrivaient, ce serait là où les chasseurs regarderaient en premier. Ce lieu sordide était le meilleur qu'elles puissent trouver avant que la pluie ne tombe plus fort et qu'il ne fasse nuit.

      Elle s'installa et, par considération pour sa sœur, essaya de cacher ses larmes.

      Lentement et à contrecœur, Kate s'assit à côté d'elle, serrant ses genoux dans ses bras et se balançant comme pour exclure la cruauté, la barbarie et la désolation du monde.

      CHAPITRE QUATRE

      Dans les rêves de Kate, ses parents étaient encore vivants et elle était heureuse. Dès qu'elle rêvait, ils semblaient être là, bien que leur visage soit moins un souvenir que des choses reconstruites, seulement guidées par le médaillon. Kate n'avait pas été assez grande pour se souvenir de plus de choses quand tout avait changé.

      Elle était dans une maison quelque part dans la campagne. Par les fenêtres en verre plombé, elle voyait des vergers et des champs. Kate rêvait de la chaleur du soleil sur sa peau, de la douceur de la brise qui faisait frémir les fleurs dehors.

      Ce qui venait après semblait toujours absurde. Elle ne connaissait pas assez de détails

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