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il ne voulait pas le dire. Il ne voulait pas forcer la main à ses hommes.

      “Moi aussi, j'ai envie de m'enfuir. Nous avons joué notre rôle. Nous avons battu l'Empire. Nous avons gagné le droit de rentrer chez nous, plutôt que rester ici nous faire massacrer pour soutenir la cause d'autres gens.”

      Ça, au moins, c'était évident. Après tout, ils n'étaient venus à Delos que parce que Thanos les en avait suppliés.

      Il secoua la tête. “Mais je ne m'enfuirai pas. Je ne m'enfuirai pas en abandonnant les gens qui me font confiance. Je ne m'enfuirai pas alors qu'on nous a dit ce qui allait arriver à la population de Delos. Je ne m'enfuirai pas, car qui sont ces gens qui me disent de le faire ?”

      Il pointa énergiquement le doigt vers la flotte qui avançait, puis fit le geste le plus vulgaire auquel il puisse penser sans réfléchir. Le geste fit au moins rire ses hommes. C'était bien, car il leur fallait rire le plus possible à ce moment-là.

      “En vérité, le mal est la cause de tout le monde. Si un homme m'ordonne de m'agenouiller ou de mourir, alors, je lui envoie mon poing au visage !” Les hommes rirent plus fort. “Et je ne le fais pas parce qu'il m'a menacé. Je le fais parce que le type d'homme qui ordonne aux gens de s'agenouiller mérite qu'on lui tape dessus !”

      Les hommes l'acclamèrent. Akila semblait les avoir bien jugés. Il désigna l'endroit où un vaisseau éclaireur était amarré à son vaisseau amiral.

      “Là-bas, c'est un des nôtres qu'il y a”, dit Akila. “Ils l'ont capturé avec son équipage. Ils l'ont fouetté jusqu'à faire couler son sang. Ils l'ont attaché à la barre et ils lui ont crevé les yeux.”

      Akila attendit un moment pour laisser le temps à ses hommes de se rendre compte de l'horreur de cet acte.

      “Ils l'ont fait parce qu'ils pensaient que ça allait nous intimider”, dit Akila. “Ils l'ont fait parce qu'ils pensaient que ça allait nous faire fuir plus vite. Moi, je dis que, si un homme fait un tel mal à un de mes frères, ça me donne envie de le tuer comme le chien qu'il est !”

      Les hommes l'acclamèrent.

      “Cela dit, je ne vous donnerai aucun ordre”, dit Akila. “Si vous voulez rentrer chez vous … eh bien, personne ne pourra dire que vous ne l'avez pas mérité. Et quand ils viendront vous chercher, il restera peut-être quelqu'un pour vous aider.” Il se força à hausser les épaules. “Moi, je reste. Si nécessaire, je resterai seul. Je me tiendrai sur les quais et leurs soldats pourront venir se faire tuer un par un.”

      Alors, il les contempla, regarda fixement ces hommes qu'il connaissait, ces frères de Haylon et ces esclaves affranchis, ces appelés qui étaient devenus combattants pour la liberté et ces hommes qui, à l'origine, n'avaient probablement été guère mieux que des assassins.

      Il savait que, s'il demandait à ces hommes de se battre à ses côtés, la plupart d'entre eux allait probablement mourir. Il ne reverrait probablement jamais les chutes qui se jetaient entre les collines de Haylon. Il allait probablement mourir sans même savoir si ce qu'il allait faire serait suffisant pour sauver Delos. Alors, une partie de lui-même souhaita n'avoir jamais rencontré Thanos ou n'avoir jamais été poussé à prendre part à une rébellion de cette étendue.

      Malgré cela, il se redressa.

      “Serai-je seul, les gars ?” demanda-t-il. “Faudra-t-il que je me fraie un chemin jusqu'au plus obstiné de ces imbéciles à la force de mes seuls poings ?”

      Les hommes rugirent “Non !” et leur cri résonna sur l'eau environnante. Akila espéra que la flotte ennemie l'avait entendu. Il espéra que ses ennemis l'avaient entendu et qu'ils en tremblaient de peur.

      Dieux du ciel, il ne tremblait pas moins lui-même.

      “Dans ce cas, les gars”, beugla Akila, “aux rames ! Nous avons une bataille à gagner !”

      Alors, il les vit se précipiter vers les rames et il n'aurait pas pu être plus fier d'eux. Il commença à réfléchir, à donner des ordres. Il y avait des messages à renvoyer au château, des défenses à préparer.

      Akila entendait déjà le son des cloches avertir la population partout dans la cité.

      “Vous deux, hissez les drapeaux de signalisation ! Scirrem, je veux des petits bateaux et du goudron pour mettre le feu à des navires à l'entrée du port ! Est-ce que je me parle à moi-même, là ?”

      “C'est fort possible”, répondit le marin. “C'est à ça qu'on reconnaît les fous, paraît-il. Cela dit, je vais faire tout ça.”

      “Tu te rends compte que, dans une vraie armée, tu te ferais fouetter ?” répliqua Akila, mais il souriait en le disant. C'était ce qu'il y avait d'étrange quand on était sur le point de commencer une bataille. A ce moment, la mort les frôlait de très près et c'était le moment où Akila se sentait le plus vivant.

      “Allez, Akila !” dit le marin. “Tu sais qu'une vraie armée n'accepterait jamais des hommes comme nous.”

      Alors, Akila rit, et pas seulement parce que c'était probablement vrai. Combien de généraux pouvaient se permettre de dire qu'ils avaient non seulement un vrai respect mais aussi une véritable camaraderie pour leurs hommes ? Combien de généraux pouvaient demander à leurs troupes de se jeter la tête la première dans le danger, pas par loyauté, peur ou discipline mais parce que c'étaient les troupes en question qui proposaient de le faire ? Akila sentait qu'il pouvait au moins être fier d'eux pour ce courage-là.

      Le marin partit précipitamment. Akila avait encore des ordres à donner.

      “Quand nous aurons le champ libre, il faudra que nous relevions la chaîne qui barre l'entrée du port”, dit-il.

      Un des jeunes marins qui se tenaient près de lui eut l'air inquiet à cette idée. Akila vit qu'il avait peur malgré ses discours. C'était tout sauf anormal.

      “Si nous relevons la chaîne, cela signifie que nous ne pourrons pas nous réfugier dans le port, n'est-ce pas?” demanda le garçon.

      Akila hocha la tête. “Oui, mais qu'est-ce que ça nous apporterait de nous réfugier dans une cité livrée à une attaque maritime ? Si nous perdons cette bataille sur les flots, penses-tu que la cité sera un bon refuge ?”

      Il vit que le garçon y réfléchissait, essayait de calculer à quel endroit il serait le plus sûr d'être à l'abri. Ou alors, il se disait peut-être qu'il n'aurait jamais dû s'engager.

      “Tu peux faire partie de ceux qui aident à remonter les chaînes, si tu veux”, proposa Akila. “Après, tu iras aux catapultes. On aura besoin d'hommes fiables pour les faire fonctionner.”

      Le garçon secoua la tête. “Je reste. Je refuse de fuir devant eux.”

      “Et si tu prenais la tête de la flotte pour que je puisse m'enfuir, moi ?” demanda Akila.

      Cette idée fit rire le garçon, qui partit faire son travail. Le rire était toujours meilleur que la peur.

      Que restait-il à faire ? Il y avait toujours autre chose, toujours une autre chose à laquelle se consacrer. Il y avait ceux qui disaient que la guerre, c'était surtout de l'attente, mais Akila avait constaté que l'attente contenait toujours mille petites choses. La préparation était la mère du succès et Akila ne comptait pas perdre la bataille par manque d'effort.

      “Non”, marmonna-t-il en vérifiant le gréement de son vaisseau amiral. “Ce qui nous fera perdre, c'est qu'ils ont cinq fois plus de navires que nous.”

      Leur seul espoir était de recourir à une tactique de guérilla : les attirer contre les navires en feu, les écraser contre la chaîne, utiliser la vitesse de leurs propres navires pour en éliminer autant que possible. Même ainsi, ça risquait d'être insuffisant.

      Akila n'avait jamais vu de force d'une telle taille. Il doutait que quiconque en ait vu. La flotte envoyée à Haylon avait été conçue pour punir et détruire.

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