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dit Sartes. “Désirez-vous autre chose, monsieur ?”

      L'officier le congédia d'un geste de la main. “Pas maintenant, mais je retiendrai ton nom. Tu peux partir.”

      Quand Sartes quitta le pavillon du commandant, il se sentait beaucoup mieux que quand il y était entré. Il n'avait pas été sûr que sa petite ruse suffise à lui sauver la mise après le retard provoqué par les soldats. Cela dit, pour l'instant, il semblait qu'il ait réussi à éviter la punition et à faire retenir son nom par un officier.

      Cet équilibre lui semblait précaire mais l'armée entière lui semblait l'être tout autant. Jusque là, il avait survécu dans l'armée en étant rusé et en gardant une longueur d'avance sur les pires violences qui s'y pratiquaient. Il avait vu des garçons de son âge s'y faire tuer ou se faire battre si violemment qu'il était évident qu'ils allaient bientôt mourir. Même en étant rusé, il n'était pas sûr de pouvoir survivre bien longtemps. Pour un appelé comme lui, c'était la sorte d'endroit où l'on ne pouvait repousser la violence et la mort que provisoirement.

      Sartes déglutit en pensant à toutes les choses qui pouvaient aller mal. Un soldat pouvait le battre trop fort. Un officier pouvait se vexer de n'importe quelle action anodine et lui infliger une punition conçue pour décourager les autres par sa cruauté. On pouvait le jeter dans la bataille à n'importe quel moment et il avait entendu dire que les appelés étaient envoyés au front pour “éliminer les faibles”. Même l'entraînement pouvait s'avérer mortel car l'armée n'avait que faire des armes contondantes et car les appelés recevaient peu de véritable instruction.

      La plus grande peur qui se cachait derrière toutes les autres était que quelqu'un découvre qu'il avait essayé de rejoindre Rexus et les rebelles. A priori, ils n'avaient aucun moyen de le savoir mais la plus petite des possibilités suffisait à l'emporter sur toutes les autres. Sartes avait vu le corps d'un soldat accusé d'avoir des sympathies pour les rebelles. On avait ordonné à sa propre unité de le tailler en pièces pour prouver sa loyauté. Sartes ne voulait pas finir comme ça. Il suffisait qu'il y pense pour sentir son estomac se rétrécir jusqu'à lui faire oublier sa faim.

      “Toi, là !” appela une voix et Sartes sursauta. Il était impossible de ne pas se dire que quelqu'un avait peut-être deviné à quoi il pensait. Il se força à faire au moins semblant d'être calme. Sartes se retourna et vit un soldat qui portait l'armure élaborée avec recherche qui distinguait les sergents. Celui-ci avait les joues tellement grêlées qu'elles formaient presque comme un nouveau paysage. “C'est toi le messager du capitaine ?”

      “Je viens de lui porter un message, monsieur”, dit Sartes. Ce n'était pas tout à fait un mensonge.

      “Dans ce cas, tu feras l'affaire pour moi. Va trouver où sont passés les chariots avec mes stocks de bois. Si on t'embête, dis que c'est Venn qui t'envoie.”

      Sartes salua hâtivement. “Tout de suite, monsieur.”

      Il partit au pas de course effectuer sa commission mais, en chemin, il ne se concentra pas sur ce qu'il devait faire. Il prit un chemin plus détourné, plus tortueux, un chemin qui lui permettrait d'espionner les abords du camp, ses goulets d'étranglement, car cela lui permettrait de rechercher les points faibles.

      Parce que, mort ou vif, Sartes comptait trouver le moyen de s'échapper ce soir.

      CHAPITRE CINQ

      Furieux, Lucious se frayait à coup de coude un chemin au travers de la foule de nobles qui remplissait la salle du trône du château. Ce qui le rendait furieux, c'était d'être obligé de se frayer un chemin en poussant les gens alors que tous ces gens auraient dû s'écarter et lui faire la révérence en lui cédant le passage. Ce qui le rendait furieux, c'était aussi que Thanos soit parti récolter toute la gloire en écrasant les rebelles sur l'île d'Haylon. Enfin, plus que tout, ce qui le rendait furieux, c'était la tournure que les choses avaient pris dans le Stade. Cette gueuse de Ceres avait une fois de plus gâché ses plans.

      Devant lui, Lucious voyait que le roi et la reine étaient plongés dans une conversation avec Cosmas, le vieil idiot de la bibliothèque. Lucious s'était imaginé qu'il ne reverrait plus le vieil érudit après son enfance, quand on les avait tous forcés à apprendre des faits insensés sur le monde et son fonctionnement. Cependant, Cosmas semblait avoir gagné la confiance de son roi après lui avoir transmis la lettre qui exposait l'authentique trahison de Ceres.

      Lucious continua à se frayer un chemin à coup de coude. Autour de lui, il entendait les nobles de la cour s'adonner à leurs petits complots. Pas très loin, il vit Stephania, sa cousine éloignée, rire de la plaisanterie qu'une autre fille noble parfaitement habillée venait de faire. Stephania regarda autour d'elle et croisa le regard avec Lucious juste assez longtemps pour lui envoyer un sourire. Lucious se dit qu'elle était vraiment une écervelée, mais une belle écervelée. Dans l'avenir, se dit-il, il trouverait peut-être l'occasion de passer plus de temps avec cette noble. De tout point de vue, Lucious était au moins aussi impressionnant que Thanos.

      Cependant, pour l'instant, Lucious était trop furieux de ce qui venait de lui arriver pour que même ces pensées-là l'amusent. Il avança à grands pas vers le pied des trônes, jusqu'au bord de l'estrade surélevée.

      “Elle est encore en vie !” lâcha-t-il en approchant du trône. Il l'avait dit assez fort pour que sa voix porte dans toute la salle mais n'en avait que faire. Qu'ils entendent, se disait-il. Cosmas était encore en train de parler à voix basse au roi et à la reine mais ça n'avait aucune importance. Lucious se demandait ce qu'un homme qui passait son temps à lire des parchemins pouvait bien avoir d'intéressant à dire.

      “Vous m'avez entendu ?” dit Lucious. “Cette fille est —”

      “Encore en vie, oui”, dit le roi en l'interrompant d'une main levée pour le faire taire. “Nous parlons de sujets plus importants. Nous avons perdu trace de Thanos à la bataille contre Haylon.”

      Le geste du roi ne fit qu'accroître la colère de Lucious, qui trouvait qu'on le traitait comme un domestique qu'il fallait calmer. Cependant, il attendit. Il ne pouvait pas se permettre de contrarier le roi. De plus, il lui fallut un moment ou deux pour assimiler ce qu'il venait d'entendre.

      Thanos était porté disparu ? Lucious essaya de déterminer en quoi ça l'affectait. Cela allait-il avoir une influence sur son rang à la cour ? Il se surprit à regarder de nouveau Stephania, pensif.

      “Merci, Cosmas”, dit la reine à ce dernier.

      Lucious regarda l'érudit redescendre dans la foule des nobles attentifs. Ce n'est qu'à ce moment que le roi et la reine lui accordèrent leur attention. Lucious essaya de se tenir droit. Il ne voulait pas que les autres se rendent compte qu'il se sentait vexé par cette petite insulte. Si n'importe qui d'autre l'avait traité de la sorte, se dit Lucious, il l'aurait déjà tué.

      “Nous savons que Ceres a survécu à la dernière Tuerie”, dit le roi Claudius. Lucious avait l'impression que ce fait semblait tout juste le contrarier et qu'il était loin de brûler de la même colère que celle qui l'envahissait quand il pensait à cette paysanne.

      Cela dit, pensa Lucious, ce n'était pas le roi qui avait été vaincu par cette fille. Pas une fois mais deux à présent, puisqu'elle l'avait également battu en lui jouant un mauvais tour quand il était allé lui faire la leçon dans sa chambre. Lucious sentait qu'il avait toutes les raisons, tous les droits, de se sentir personnellement visé par sa survie.

      “Alors, vous comprenez que ça ne peut pas continuer”, dit Lucious. Il aurait dû utiliser un ton courtois et égal mais il n'y arrivait pas. “Vous devez vous occuper d'elle.”

      “Devez ?” dit la reine Athena. “Attention, Lucious. Nous sommes quand même tes souverains.”

      “Sauf votre respect, vos majestés”, dit Stephania, que Lucious regarda s'avancer avec grâce, moulée dans sa robe en soie, “Lucious a raison. Nous ne pouvons pas laisser vivre Ceres.”

      Lucious

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