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Et c’est ainsi que Jameia – cheveux bouclés et immenses yeux noirs comme le charbon, toute petite pour son âge et hurlant à gorge déployée presque continuellement – vint prendre sa place dans la famille Delbuono auprès de Sole qui avait désormais onze ans.

       Comme Sole, elle reçut une excellente éducation et une vie confortable, mais surtout un soutien et un amour inconditionnels pour l’aider à oublier le terrible drame subi quand elle était toute petite.

      On dit que le soleil vient après la tempête. Et ce fut le cas aussi pour elle.

      Sole

       C’est grâce à Mélissa, ma meilleure amie, que je me suis approchée de toi. Nous étions comme deux sœurs, elle venait toujours chez nous à la mer. Ma mère l’adorait, tout le monde adorait cette belle rousse au caractère solaire.

      Mais cet été-là elle avait eu un problème de dernière minute et s’était désespérément déclarée prisonnière de la ville. Jameia avait donc invité des amies à elle et notre appartement était plein.

       Quand Mélissa a débarqué à l’improviste la deuxième semaine d’août… il n’y avait plus de place pour elle, pas même dans un camping. Nous avons commencé à demander autour de nous et tu as été le seul à lui offrir ta chambre d’amis, dans ta fantastique villa sur la plage de Moneglia. Je me souviens de ce que j’ai pensé à l’époque : je croyais que tu étais une sorte de prince français, dont la famille descendait probablement de la cour du Roi Soleil... J’étais tellement intimidée par ta présence et par tout ce qui t’entourait.

       Comme toujours, Melissa me connaissait mieux que moi-même, et elle avait probablement senti le courant électrique qui me traversait quand je me retrouvais en ta présence. Elle a donc fait semblant de nous inviter à une fête à la Baie du Silence, pour que nous nous retrouvions seuls tous les deux, devant une magnifique table décorée de bougies; et devant nous – une superbe course de bateaux illuminés et colorés. Une atmosphère si particulière et pleine de vie.

      Mais moi je ne voyais rien, j’étais furieuse et terriblement gênée, j’avais peur qu’il s’agisse d’un pari honteux de la part de nos amis mais tu t’es mis à rire et à plaisanter, petit à petit tu m’as tranquillisée. Tu me faisais follement peur, je savais que tu étais un grand manager et que tu vivais à Londres.

       Donc quand tu as discrètement demandé si je travaillais ou si j’étais encore étudiante, j’ai menti effrontément en déclarant que j’avais ma propre société qui commercialisait des sacs de luxe. J’ai laissé entendre que j’avais beaucoup d’argent et même une maison de vacances aux Maldives, où j’allais de temps en temps, pour chasser l’ennui. Quel culot !

       Tu as haussé les sourcils, impressionné, en jetant un coup d’œil au petit sac blanc que j’avais accroché au dossier de ma chaise et qui ne valait pas grand-chose, je suis devenue rouge comme une pivoine et je n’ai plus eu le courage de soutenir ton regard.

       Si tu avais continué à me demander avec quelles marques de luxe je travaillais, je me serais probablement étouffée avec mon cocktail et je me serais sauvée à toutes jambes. Mon Dieu, que j’étais jeune, ça me donne envie de rire ! J’ai l’impression que tout cela est arrivé il y a cent ans, et c’est peut-être le cas. Il y avait une autre vie, un autre ciel, une mer différente, nos cœurs étaient différents, tellement vivants et innocents, avec toutes ces bêtises que l’on se racontait pour avoir l’air de super-héros modernes !

      Après cette première soirée désastreuse, où tu as presque été obligé de mener la conversation tout seul, je pensais que tu ne me gratifierais même plus d’un « salut ». Alors quelle ne fut pas ma surprise quand le lendemain... tu m’as invitée à prendre un apéritif sur la plage.

      Tout ça à cause de mon mensonge sur les sacs de luxe, j’ai pensé. J’ai d’abord refusé, complètement paniquée, mais en voyant ton expression blessée et déçue, je n’ai pas su résister. Je m’étais informée : tu avais rompu il y a peu avec ta copine.

      Ce fut la première d’une série de soirées magiques en ta compagnie. Pour la première fois, je me suis détendue et j’ai pu te contempler.

       Tu étais un homme tellement fascinant, jeune, grand, brun et avec les yeux les plus expressifs et les plus profonds que j’avais jamais vus. Avec une carrière en or, tu avais pourtant l’air très seul. Tu passais ton temps aux quatre coins du monde, entre les aéroports et les rendez-vous professionnels. Tu trouvais à peine le temps de manger, dormir, répondre aux besoins essentiels.

      Ces vacances d’un mois étaient pour toi les premières après sept ans de travail presqu’ininterrompu! Ta famille, qui adorait la Côte Ligure, avait acheté la villa de Moneglia plusieurs années auparavant, mais tu n’avais jamais réussi à en profiter avant cet été-là.

      Je ne pouvais qu’imaginer tout cela: je n’avais jamais eu de travail stable, seulement des petits boulots de traductrice et d’interprète. Je n’avais pas encore décidé si j’allais poursuivre dans cette voie, ou chercher un poste de professeur d’anglais.

      J’avais honte d’être là à discuter de manière aussi familière avec un tel personnage et je cherchais en vain à t’imaginer en costume-cravate en train de donner des ordres à des centaines d’employés, dans un grand immeuble de verre et d’acier. J’avais du mal à imaginer ton monde, celui qui était impitoyable et réel.

       Ce soir-là, alors que la brise caressait doucement nos visages, nous nous sommes touchés pour la première fois. La première – quand sans le vouloir j’ai caressé une vieille cicatrice sur ton bras, souvenir d’un accident de vélo; et la deuxième quand tu m’as offert ta veste parce que le temps s’était refroidi.

      Je sens encore aujourd’hui, comme un tatouage sur mes souvenirs, la pression délicate de tes mains qui s’attardent sur mes épaules un peu plus longtemps que prévu, les douces clochettes d’alarme qui ont commencé à sonner dans mon esprit, mon cœur qui battait la chamade, mes mains moites, ma bouche sèche et – plus que tout le reste – la conscience que tout ceci était complètement fou.

      L’immense bonheur que m’offrait cette folie.

      Le troisième soir, tu m’as offert le petit coquillage blanc. Et puis tu as effleuré mes lèvres, timidement, en cherchant un consentement dans mes yeux. Je n’arrivais pas à croire qu’un homme aussi fort puisse montrer tant de faiblesse – tu tremblais.

      Et alors je t’ai fait confiance. J’ai fermé les paupières, et tu as posé ta bouche sur la mienne.

       Je me souviens encore que je me sentais plus légère et plus fluide que l’eau de la mer, et pourtant une explosion d’immense tendresse était en train de grandir en moi. Je ne pouvais m’empêcher d’analyser avec un étonnement profond et sincère la simplicité avec laquelle ce sentiment s’épanouissait dans mon cœur. Je sentais que j’étais en train d’accomplir un miracle qui avait toujours existé dans le monde, tout autour de moi et peut-être aussi à l’intérieur. J’avais vu et rencontré des centaines d’amoureux, mais je ne m’étais jamais rendu compte que l’amour était quelque chose d’aussi intense et que moi aussi j’allais le vivre ! Quelle chose simple et merveilleuse, mon amour. Que c’est beau. Depuis ce jour je pense que l’amour est un feu et aussi l’écume éthérée de la mer. L’amour est tant de choses...

      Et puis le moment de ton départ est arrivé, tu as dû retourner à Londres et à ta vie bien remplie. J’étais sûre que si je m’étais abandonnée à la douce folie de cet amour, c’était uniquement parce que j’avais conscience que la séparation était proche.

      Entre nous, une légère nostalgie avait orné de milliers de significations chaque geste et chaque regard. Le moment était donc venu de nous séparer, ivres et fous amoureux, pire que deux adolescents. J’avais toujours su que, sans cette certitude, je n’aurais jamais laissé toute cette folie s’emparer de moi.

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