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des nouvelles contradictoires. Quoi qu'il arrive, je ne peux pas ne pas espérer. Je ne peux pas me persuader que les Russes nous battront jamais. Ni vous non plus, n'est-ce pas?

      Mon fils me dit tous les jours que, si je n'étais pas une mère si bête, il aurait demandé à vous suivre. Mais, moi, je n'ai que ce fils-là, et comment ferais-je pour m'en passer?

      Vous savez que nous avons un été abominable et que, si les pluies ne cessent pas, nous aurons la famine! Ah! nous voilà sautant sur des cordes bien tendues!

      C'est vous autres qui en tenez le bout, là-bas. Quant à l'issue que vous souhaitez, la résurrection de la Pologne et de toutes les victimes dont on ne paraît pas s'occuper, elle viendra peut-être fatalement. Dieu est grand et Mahomet n'est pas son seul prophète.

      Mais voilà plus de deux lignes. Pardon et adieu, chère Altesse impériale, toujours citoyen quand même et plus que jamais, puisque vous voilà soldat de la France. Comme tel, recevez tous les respects qui vous sont dus, sans préjudice de toute l'affection que je vous conserve pour vous-même.

      GEORGE SAND.

      CCCLXXVII

      A M. CHARLES PONCY, A TOULON

      Nohant, 16 juillet 1854.

      Ne soyez pas inquiet de moi, mon cher enfant. Je me porte assez bien, je travaille, je reçois plusieurs amis; c'est l'époque où la maison se remplit. Je ravale d'un air gai de lourds chagrins qui me viennent toujours d'où vous savez. On m'a repris ma petite-fille qui faisait toute ma joie. Et encore, si c'était pour son bien! Mais les montagnes de douleurs qui noircissent ce côté de mon horizon seraient trop hautes, trop tristes à vous montrer. Et puis je n'en ai pas le courage, et plus je vois que je n'y peux rien, plus j'en souffre, plus j'ai besoin d'y penser sans rien dire.

      Autour de moi, on est heureux, c'est tout ce que je demande pour me réconcilier avec la vie; et j'ai du travail, c'est tout ce qu'on peut demander aux hommes pour accepter un lien avec leur société maudite et infortunée.

      Je n'ai rien reçu de vous, mon enfant; si vous m'avez fait un envoi, il s'est égaré. Cela arrive souvent de Toulon à Nohant. Envoyez donc toujours dans une lettre et ne vous inquiétez pas du port. J'en paye tant pour des envois qui m'embêtent, que je suis dédommagée quand je paye ce qui me plaît et m'intéresse.

      Oui, oui, sauvez-vous à la campagne si le choléra vous menace. Quand même il ne devrait pas vous atteindre, du moment qu'il vous effraye, ce ne serait pas vivre que de vouloir le braver: et donnez-moi de vos nouvelles souvent, quelque paresseuse que je sois à vous écrire.

      Si vous n'étiez pas si loin et si le voyage n'était pas si cher, je vous dirais: «Venez à Nohant.» Mais, en outre, il y fait un temps qui vous désespérerait tout à fait; car il nous désespère un peu, nous autres qui sommes moins difficiles. Depuis deux mois, nous n'avons pas eu deux jours de soleil, et la terre est si trempée de pluie, qu'on ne peut pas sortir des chemins. Cela gêne bien Maurice, qui avait repris fureur à l'entomologie; et cela nous menace de la famine, si ça continue. Jusqu'ici, nos moissons n'ont pas encore trop souffert, mais il est temps que ça finisse. Elles commencent à courber trop la tête; et, si une fois elles se couchent dans la boue, une dernière averse perdra tout. Le revenu de Nohant est si peu de chose, que la perte de nos blés ne serait pas un échec irréparable; mais, si le désastre est général, comme tout se tient, les arts seront aussi infructueux que la terre, et je ne sais pas avec quoi nous donnerons à manger aux gens qui mourront de faim. Décidément, le ciel est fâché et le soleil ne veut plus de nous sur ce coin de l'univers.

      Vous m'avez envoyé des vers d'un de vos amis pour lesquels je ne peux pas être aussi indulgente que vous. Il m'en a envoyé aussi de son côté, et je n'ai pas répondu. Que voulez-vous! je ne sais pas mentir: je trouve cela affreusement maniéré, sous une affectation de fausse simplicité, et si décousu, si jeté au hasard de la fourchette, que c'est incompréhensible. Pourquoi d'ailleurs m'envoyer cela? Je n'y peux rien.

      Pourtant, il me peine de chagriner un de vos amis, et, comme je ne suis pas forcée de le désespérer par ma franchise, j'aime mieux me taire. Arrangez-vous pour lui dire que je suis si occupée, que je reçois tant de vers, tant de prose… C'est la vérité. Cela arrive tous les jours, comme des avalanches, de tous les coins du monde; et il y a si peu de choses lisibles pour mes pauvres yeux, calligraphiquement et intellectuellement parlant! Pour m'achever, votre ami écrit comme pour un myope, et je suis presbyte.

      Faites des vers, vous, à la bonne heure. Je ne peux pas aimer ceux de tout le monde, et c'est un peu votre faute.

      Bonsoir, mon cher enfant. Embrassez pour moi Désirée et Solange, comme je vous embrasse, de tout mon coeur maternel.

      CCCLXXVIII

      A M. VICTOR BORIE, A PARIS

      Nohant, 31 juillet 1854.

      Mon pauvre gros,

      Es-tu de retour de ton triste voyage? As-tu de meilleures espérances pour ton pauvre vieux père? As-tu rapporté un peu de tranquillité, ou encore plus de chagrin? Ta santé est-elle moins détraquée après tout cela?

      Ta lettre nous a bien attristés et nous te le disons tous, comme nous faisons des voeux tous pour toi, et pour une existence moins accablée et moins éprouvée. Il ne faut pourtant pas voir en noir comme tu fais. Le départ des chers vieux parents, qui vont, comme tu dis, au repos éternel, est une loi de la nature; et, quant à toi qui es jeune et qui as le devoir d'être courageux, tu n'as pas le droit de désespérer de Dieu et des hommes. Pense que tu as des amis, mon cher vieux, et qu'un temps viendra où, plus libre et mieux portant, tu seras content de les retrouver et de te retrouver toi-même en possession d'une vie plus heureuse.

      Nous avons bien du regret de ne t'avoir pas pu arrêter un moment dans ta route. Écris-nous; nous sommes impatients tous d'avoir de tes nouvelles.

      G. SAND.

      CCCLXXIX

      A M. CHARLES PONCY, A TOULON

      Nohant, 11 août 1854,

      Mon cher enfant, je vous remercie de m'écrire, et je vous écris aussi, bien que ce ne soit qu'un mot, pour que vous ne soyez pas inquiet de nous: Nous avons aussi le voisinage du choléra. Il sévit assez sérieusement à Châteauroux. Peut-être ne viendra-t-il pas jusqu'ici. Il ne faudrait pourtant pas trop s'y fier; mais je n'en suis pas frappée et effrayée comme vous l'êtes, et permettez-moi de vous dire qu'il faut combattre un peu cette préoccupation qui pourrait être nuisible, si vous étiez atteint même d'un léger mal. Tant d'autres dangers roulent incessamment sur nos têtes, qu'un de plus ne devrait pas assumer sur lui nos angoisses. Je suis bien d'avis qu'il faut s'y soustraire autant que possible et reculer devant le péril qui se particularise, à cause surtout de ceux que nous aimons. Mais, quand on a fait ce qu'on peut et ce qu'on doit, il faut attendre la destinée avec calme. Quand le tonnerre gronde, on fait bien de ne pas se mettre sous les grands arbres. Mais, une fois en plein champ, il faut se dire qu'on a toutes les chances, sauf une, pour qu'il ne vous atteigne pas. Vous me direz que cette chance, grande comme la main, est aussi importante dans le domaine de l'inconnu, du hasard, que la surface entière du globe. Eh bien, alors, n'y pensons pas pour nous-mêmes, puisqu'un aérolithe peut tout aussi bien tomber sur nous du fond d'un ciel pur.

      Écrivez-moi et dites-moi quand même vos idées noires, si vous ne pouvez les surmonter. J'aime mieux cela que votre silence. Les journaux nous disent que le fléau se retire de vous. Mais je ne crois pas absolument à ce qui est imprimé.

      Voilà bien un autre choléra en Espagne! Encore une fois, la glace est brisée; mais le peuple en sortira-t-il plus heureux? Avant un mois, Espartero bombardera ces bonnes villes qui l'appellent comme un sauveur et qui ont déjà oublié ses bombes à peine refroidies! C'est partout et toujours la même histoire qui recommence, et c'est à dégoûter des articles de foi, dans quelque sens qu'on les envisage.

      J'ai eu beaucoup de chagrin et d'inquiétude pour ma fille, qui se croyait fort malade et qui m'envoyait presque ses derniers adieux. Son médecin m'écrit qu'elle n'a presque rien et que je me tienne tranquille.

      J'embrasse

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