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vous embrasse tendrement.

      XX

      A M. CARON, A PARIS

      Nohant, 16 avril 1828.

      Je reçois à l'instant votre lettre, mon bon Caron. Elle me fait tant de plaisir, que j'y veux répondre tout de suite. Vous êtes mille fois aimable de vous être décidé à nous venir trouver. Nous en sautons de joie, Casimir et moi. Je vais, par le même courrier, renouveler mon invitation à madame Saint-Agnan, que j'aurai le plus grand plaisir à recevoir, comme je le lui ai dit vingt fois et comme, j'espère, elle n'en doute pas.

      Je ne sais combien de filles elle m'amènera. Je sais qu'il y en a une en pension; mais, les eût-elles toutes, la maison est assez grande pour les loger, et nous avons des poulets dans la cour en suffisante quantité pour approvisionner un régiment.

      J'ai encore une demande à vous faire: c'est, au cas où madame Saint-Agnan voudrait emmener une femme de chambre, de l'en dissuader, comme si cela venait de vous, en lui disant qu'elle n'en aura pas besoin ici, puisque j'en ai une qui n'a rien à faire et qui sera à son service. Je ne voudrais pas qu'elle s'aperçût de ma répugnance à cet égard, parce qu'elle croirait peut-être que j'y mets de la mauvaise grâce. Elle se tromperait; car je serai enchantée de la recevoir, elle et sa famille. Vous savez aussi que ce n'est pas la crainte de nourrir une personne de plus, puisqu'il s'en nourrit dans ma maison plus que je ne le sais souvent moi-même. Je crains ici les domestiques étrangers, parce que mes Berrichons sont de simples et bons paysans ignorant toutes les rubriques des gens de Paris.

      L'année dernière, la femme de chambre de madame Angel avait mis la maison en révolution par ses plaintes, ses propos. Les uns me demandaient leur compte pour aller à Paris, où elle se faisait fort de les placer; les autres voulaient doubler leurs gages, etc., etc. Je vous entretiens de ces balivernes parce qu'un mot dit en passant à madame Saint-Agnan peut m'épargner ces petits désagréments. Si cependant elle insiste, qu'il n'en soit plus question et prenez que je n'ai rien dit. Vous pensez qu'une aussi petite considération ne refroidira pas le plaisir que j'aurai à la voir.

      Adieu, mon bon ami; venez au plus vite. Votre chambre vous attend; le lit de Pauline sera auprès du vôtre, ou, si vous voulez dans ma chambre, à côté de celui de Maurice. Nous vous attendons avec une grande impatience, et je vous embrasse de tout mon coeur.

      Votre fille

      AURORE.

      Les amis de la Châtre vont être bien joyeux de la bonne nouvelle de votre arrivée.

      XXI

      A MADAME MAURICE DUPIN, A PARIS

      Nohant, 4 août 1828.

      Ma chère maman,

      Il est vrai que j'ai été bien longtemps sans vous écrire; mai je n'ai pas cessé de demander de vos nouvelles à Hippolyte. Il pourra vous le dire aussi, trois fois de suite je lui ai demandé votre adresse sans qu'il me l'envoyât. J'ai cherché dans vos lettres précédentes. Je n'y ai pas trouvé celle que vous m'avez désignée. Ce n'est que sa dernière lettre (qui m'est arrivée à peu près en même temps que la vôtre) qui me l'a apprise. J'étais fort contrariée, je vous assure, de ne savoir où vous étiez. Je suis enfin bien heureuse de vous savoir installée de nouveau à Paris, bien portante et avec la société de votre enfant37. Embrassez-le bien de ma part, je vous en prie et gardez-le le plus longtemps possible; car j'ai bien envie de le voir.

      A cet égard, je ne sais pas du tout quand j'aurai le bonheur de vous embrasser. Je crois que je ferai tranquillement mes couches ici, où je serai plus commodément et plus économiquement pour passer les premiers mois de ma nourriture. Si nos affaires nous le permettent, je fais le projet d'aller passer, cet hiver, quelque temps près de vous. Ma santé est assez bonne, quoique, depuis quelques semaines, je souffre beaucoup de l'estomac. En ne mangeant pas, j'y échappe. Cela me coûte fort, car j'ai des faims très exigeantes, que je ne puis satisfaire sans les payer de plusieurs jours de souffrance et de diète.

      Je ne suis pas très forte, et la moindre course en voiture me fatigue beaucoup. A cela près, je vais bien. Je suis si grosse, que tout le monde pense que je me suis trompée dans mon calcul et que j'accoucherai très prochainement: je ne crois pourtant pas que ce soit avant deux mois.

      Casimir me charge de vous dire qu'il est très mécontent de l'inexactitude de M. Puget à votre égard. Il ne peut vous adresser à M. Lambert, qui n'est plus notaire et qui n'habite plus Paris. Il chargera de vos affaires, dès le prochain trimestre, une personne sûre et parfaitement exacte. J'ai vu Léontine un instant. Elle se portait bien. Je vais la chercher demain pour quelques jours.

      Adieu, ma chère maman; reposez-vous bien de vos fatigues, afin que je puisse aussi vous recevoir. Ce ne sera jamais assez tôt, au gré de mon impatience. Je vous embrasse tendrement; Casimir et Maurice se joignent à moi.

      Le cher père est très occupé de sa moisson. Il a adopté une manière de faire battre le blé qui termine en trois semaines les travaux de cinq à six mois. Aussi il sue sang et eau. Il est en blouse, le râteau à la main, dès le point du jour.

      Les ouvriers sont forcés de l'imiter; mais ils ne s'en plaignent pas, car le vin de pays n'est point ménagé pour eux. Nous autres femmes, nous nous installons sur les tas de blé dont la cour est remplie. Nous lisons, nous travaillons beaucoup, nous songeons fort peu à sortir. Nous faisons aussi beaucoup de musique.

      Adieu, chère maman; rappelez-moi à l'amitié du vicomte. Maurice est mince comme un fuseau, mais droit et décidé comme un homme. On le trouve très beau, son regard est superbe.

      XII

      A M. CARON, A PARIS

      15 novembre, 1828.

      Je n'ose pas dire, mon bon révérend, que j'ai bien du regret de ne vous pas voir. Ce serait être égoïste que de s'affliger de vos succès. Mais, sauf la joie bien vraie que j'éprouve à vous voir satisfait et dont vous ne pouvez pas douter, il m'est bien permis, à part moi, d'être fâchée de votre absence, et de regretter votre aimable personne.

      J'ai l'espoir que vous n'oublierez point notre sincère affection dans le cours de vos prospérités, et que, quand vos affaires vous laisseront quelque répit, vous viendrez passer ici ce temps de liberté, dormir la grasse matinée, flâner avec l'ami Duteil et faire jurer Casimir en le gagnant aux échecs.

      Vous avez ici votre appartement, votre nourriture, éclairage, blansissage, etc., moyennant la somme modique de deux francs cinquante centimes par semaine, et, de plus, vous aurez ce qui ne s'achète pas, des coeurs qui vous aiment bien véritablement.

      Cette lettre vous sera remise par votre ami Duteil, qui, je crois, a le projet de vous demander de le prendre en pension pour trois semaines. C'est un compagnon aimable, et c'est pour la même raison qu'il désire loger avec vous, si vous le trouvez bon.

      Adieu, mon vénérable octogénaire. Que votre barque vogue au gré de vos désirs! C'est ce que je vous souhaite, au nom du Père, etc.

      Je vous embrasse de tout mon coeur, et désire que vous terminiez heureusement et vite afin de revenir nous voir.

      AURORE.

      Comment va la grosse Pauline38? Embrassez-la de ma part et de celle de Maurice. On dit que vous avez une nouvelle Corinne pour cuisinière, je vous en fais mon compliment.

      XXIII

      A MADAME MAURICE DUPIN, A PARIS

      Nohant, 27 décembre 1828.

      Mon garde champêtre, qui est mon fournisseur et mon pourvoyeur, et qui, de plus, est ancien voltigeur et bel esprit, a fait ce matin, ma chère maman, une assez belle chasse. Je fais mettre dès demain ma cuisinière à l'oeuvre, et, quoiqu'elle ait beaucoup moins de génie que le garde champêtre, j'espère qu'elle en aura assez pour confectionner un bon pâté que je vous enverrai pour vos étrennes dès qu'il sera refroidi. Mon ami Caron, à qui j'adresse un envoi de même genre, vous

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<p>37</p>

Oscar Cazamajou, son petit-fils.

<p>38</p>

Nièce de Caron.