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L'Enfer C'Est Lui. Lambert Timothy James
Читать онлайн.Название L'Enfer C'Est Lui
Год выпуска 0
isbn 9788873046707
Автор произведения Lambert Timothy James
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Издательство Tektime S.r.l.s.
Les villes ont découvert que changer la résonance d'un mot est un moyen facile de témoigner du mépris à certains individus. Donner à la manche, le qualificatif de racoleuse permet aux villes de punir les pauvres. Dans beaucoup d'endroits de cette belle planète, la manche « racoleuse » est interdite. Certaines villes vont jusqu'à mettre en place des programmes éducatifs à l'attention de leurs habitants, pour leur conseiller de ne pas donner d'argent aux « parasites » (j'emprunte le mot au candidat républicain à l'élection présidentielle américaine de 2012, Mitt Romney) ; les policiers ont pour instruction de harceler les mendiants, notamment en centre-ville. Les pays pauvres sont plus créatifs : il rajoute du surnaturel ou du vaudou à la liste de leurs prétextes. Lors de mes voyages dans plusieurs pays du Tiers-monde, des guides paranoïaques et des amis m'ont prévenu que si je faisais l'erreur de donner de l'argent aux SDF, d'autres pièces disparaîtraient de mes poches et Dieu sait quelle malédiction pèserait sur moi. Mais j'ai ignoré cet avertissement ridicule. Je peux témoigner du fait que je n'ai pas été changé en chèvre ou frappé par la foudre, et l'argent qui a disparu de mes poches a servi à payer mes plaisirs matériels.
Il est triste de constater qu'autour du monde, des hommes et des femmes qui diffèrent tant par le niveau de vie ou le milieu d'origine que la couleur de peau, disent détester la sollicitation active, ou la manche racoleuse, mais ne sont pas dérangés par la manche passive : comme quand les mendiants se tiennent à l'entrée d'un magasin avec un gobelet dans les mains, mais restent silencieux. Ce qui revient à dire que les gens donnent aux mendiants qui savent se faire discrets et ne pas nous donner mauvaise conscience. J'ai pris le temps de regarder les hipsters qui traversent la station centrale de New-York, avec les derniers casques audio à la mode couvrant plus que leurs oreilles, sans remarquer les pauvres. J'ai observé la même attitude de la part de membres du gouvernement, traversant en voiture les rues de Kampala en Uganda dans leur 4x4 Prado flambant neuf. Ce spectacle m'a fait comprendre que le dédain des pauvres est véritablement un phénomène mondial. Mais quand j'ai l'impression d'être isolé. Quand je commence à perdre espoir, je rencontre d'autres personnes, de milieux et de pays différents qui dédient leurs vies à la lutte contre l'indifférence envers les plus misérables, contrairement à ces charlatans universitaires qui balayent le problème de la pauvreté d'un geste méprisant pour s'élever dans l'institution. Ces gens m'émeuvent beaucoup, et leur sentiment fait écho au désir le plus cher à mon cÅur. Une société plus humaine ne se crée pas par magie. Comme moi (je suppose), ces gens ne peuvent pas ne pas voir les pauvres.
CHAPITRE IV
Gangnam Style
« Chaque fois que nous achetons quelque chose, notre vide émotionnel se creuse et notre besoin d'acheter augmente. »
Philip Slater
Si c'est dans l'émission Saturday Night Live, aussi connue sous l'acronyme SNL, que vous avez pour la première fois vu Psy se déhancher en smoking et avec ses lunettes de soleil, vous avez sans doute pensé qu'il s'agissait d'une parodie des Blues Brothers. J'ai levé mon verre au producteur de l'émission, Lorne Michaels ; Psy était un ajout bienvenu au casting, et j'ai pensé que Michaels avait enfin pris acte de la démographie changeante et de la diversité raciale des Ãtats-Unis. C'est plus tard que j'ai découvert que le rappeur sud-coréen avait un succès monstre sur les réseaux sociaux, accumulant des dizaines de millions sur ce cher YouTube et vendant plus d'un million d'exemplaires de sa chanson Gangnam Style en cinquante et un jours. Telles des chauves-souris surgissant de la cape de Dracula, des reprises et parodies diverses sont apparues aux quatre coins du monde, on a même eu droit à une version tango ! J'ai vite compris qu'il n'existait aucun endroit sur Terre où je puisse échapper aux rythmes entêtants de Gangnam Style !
Avant de céder, moi l'amateur de rumba, au pouvoir démoniaque de Psy (ne me jugez pas), j'ai appris grâce à quelques experts de la culture coréenne que le message de la chanson était en fait assez subversif. La chorégraphie grotesque et les absurdités du clip cachaient un commentaire sur la société sud-coréenne. Gangnam, un quartier de Séoul, est l'habitat naturel des plus grandes fortunes du pays et un temple de la consommation la plus outrancière. Certains disent que, bien avant la naissance de la nouvelle aristocratie chinoise, les habitants de Gangnam avaient déjà le goût des mutilations faciales et se rendaient dans des cliniques du plus grand chic pour se faire refaire le nez et la mâchoire (aïe) et même se faire arrondir les yeux. Il semble que le visage caucasien soit un idéal que les riches se doivent d'atteindre.
Un blogueur explique que le clip se moque de ceux qui veulent ressembler aux résidents de Gangnam alors qu'ils n'en ont pas les moyens et ne comprennent pas ce que cela implique. Cet environnement rempli de proies prêtes à tout, et de prédateurs vicieux, a donné naissance à une industrie florissante d'outils peu chers et dangereux destinés aux aspirants gangnamiens afin qu'ils puissent s'écorcher le visage à domicile. J'ai trouvé sur le Net des dizaines de produits garantissant un « style hollywoodien ». On peut lire des histoires horribles sur des jeunes installant sur leur visage des appareils pour ne pas cligner des yeux pendant des heures (la chirurgie des paupières du pauvre) ou pour compresser leur menton de façon à ce qu'il acquière une forme ovale. Mais même ces récits de torture auto-infligée pâlissent face à cette sud-coréenne qui s'est injectée de l'huile de cuisson dans le visage, et qui est désormais défigurée à vie. A mes yeux, le silence des autorités sanitaires du pays quant à ces dérives fait d'elles en fait les complices des risques insensés que prennent ces aliénés du faciès.
Mais ce serait raciste et xénophobe de ma part si je me contentais de mettre en lumière la dépendance de la bourgeoisie et du prolétariat est-asiatique à la modification corporelle. Dans la boutique de produits de beauté que tient mon beau-père, dans un quartier majoritairement afro-américain, caribéen et africain, les produits qui se vendent le mieux ont toujours été les crèmes de blanchiment de la peau. Il a même du mal à maintenir ses stocks face à la demande ! Cette tendance illustre la croyance de ses propres clients en l'idée pathétique qui voudrait que la peau noire soit signe d'infériorité et qu'une peau blanche soit plus attirante. En 2014, deux cents ans après l'abolition de l'esclavage, la noirceur de la peau de Keith Rowley était la seule « objection » majeure à sa nomination comme premier ministre de Trinité et Tobago, un pays peuplé par des noirs soit dit en passant. S'il s'était appliqué un peu de crème radioactive sur la peau pour enlever ce teint que nous ne saurions voir, peut-être lui ferait-on plus confiance ? Evidemment, l'opération doit être répétée de temps en temps pour préserver la relative pâleur de ces faux métis. Et, sauf à se baigner dedans, le résultat est le plus souvent très irrégulier et assez hilarant. Cependant, on rigole nettement moins à la lecture de la composition de ces crèmes que des apprentis dermatos se passent sur le corps : parmi les ingrédients actifs on trouve souvent du mercure (qui peut endommager le cerveau), de l'hydroquinone (dont on se sert pour développer les photographies) et de l'arsenic (est-il besoin de préciser qu'il s'agit d'un poison ?). Quant à l'amour des noirs pour les permanentes et les extensions capillaires, je n'ai même pas envie de le commenter. J'ai moi-même reçu quelques