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Contes humoristiques - Tome I. Alphonse Allais
Читать онлайн.Название Contes humoristiques - Tome I
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Alphonse Allais
Жанр Юмор: прочее
Издательство Public Domain
Encore, hier matin, une bicyclette s'est échappée de son hangar et a parcouru à toute vitesse la rue Vivienne, bousculant tout et semant la terreur sur son passage.
Elle était arrivée au coin du boulevard Montparnasse et de la rue Lepic, quand un brave agent l'abattit d'une balle dans la pédale gauche.
L'autopsie a démontré qu'elle était atteinte de rage.
Une voiture à bras qu'elle avait mordue a été immédiatement conduite à l'Institut Pasteur.
OÙ LA FALSIFICATION Va-t-elle SE NICHER!
On vient d'arrêter et d'envoyer au Dépôt un charbonnier, le nommé Gandillot, qui avait trouvé un excellent truc pour faire fortune aux dépens de la bourse et de la santé de ses clients.
Cet honnête industriel livrait à ses pratiques, au lieu de l'eau qu'on lui demandait, un petit vin blanc de son pays qu'il achetait à vil prix.
La fraude n'a pas tardé à être découverte, grâce à l'indisposition d'une vieille dame d'origine polonaise, la veuve Mazur K...., rentière, qui envoya au laboratoire municipal le liquide douteux.
Le brave Auvergnat aura à rendre compte à la justice de son ingénieuse combinaison.
BAISSE ACCIDENTELLE DE LA SEINE
Un accident étrange et, par bonheur, assez rare, vient de jeter la perturbation chez tous les riverains de la Seine.
Un énorme chaland, chargé de papier buvard, est venu heurter une des piles du Pont Royal. Une voie d'eau se déclara, et le bâtiment coula immédiatement.
Le papier buvard contenu dans le chaland absorba bientôt toute l'eau ambiante et il s'ensuivit un abaissement de 1m20 dans l'étiage du fleuve.
Les pompiers du poste de la rue Blanche, mandés sur-le-champ, arrivèrent et se mirent en devoir de rétablir les choses en leur état.
Après six heures de travail acharné, la Seine avait repris son niveau normal.
Malheureusement, les braves pompiers, dans leur zèle, ne manquèrent pas de causer force dégâts.
Signalons notamment l'établissement de bains froids Deligny, qui a été littéralement inondé.
Un peu moins de zèle, que diable!
Eh bien! mon vieux Chalonnais, suis-je foutu (sic) de tourner un fait-divers, oui ou non?
Loufoquerie
Cet homme me contemplait avec une telle insistance que je commençais à en prendre rage. Pour un peu, je lui aurais envoyé une bonne paire de soufflets sur la physionomie, sans préjudice pour un coup de pied dans les gencives.
—Quand vous aurez fini de me regarder, espèce d'imbécile? fis-je au comble de l'ire.
Mais lui se leva, vint à moi, prit mes mains avec toutes les marques de l'allégresse affectueuse.
—Est-ce bien toi qui me parles ainsi? dit-il.
Je ne le reconnaissais pas du tout.
Il se nomma: Edmond Tirouard.
—Comment, m'exclamai-je, c'est toi, mon pauvre Tirouard! Je ne te remettais pas. Mais pardon, si j'ose, n'étais-tu point dans le temps blond avec des yeux bleus?
—C'est juste, je me suis fait teindre les cheveux et les yeux! Suis-je pas mieux en brun?
Ce pauvre Tirouard, j'étais si content de le revoir! Depuis le temps!
Et nous égrenâmes les souvenirs du passé.
Et Machin? Et Untel? Et Chose? Hélas! que de disparus!
Tirouard et moi, nous étions dans la même classe au collège. Je ne me rappelle pas bien lequel de nous deux était le plus flemmard, mais ce qu'on rigolait!
Il mettait au pillage la maison de son père qui était quincaillier et nous apportait chaque matin mille petits objets utiles ou agréables: des couteaux, des vis, des cadenas, des aimants (j'adorais les aimants).
Moi, en ma qualité de fils de pharmacien, je gorgeais mes camarades d'un tas de cochonneries: des pâtes pectorales, des dattes. Entre-temps j'apportais des seringues en verre (ô joie!) et des suspensoirs qu'on transformait en frondes.
Un jour—mon Dieu! ai-je ri ce jour-là!—j'arrivai muni d'une boîte de biscuits dont chacun recelait, si j'ai bonne mémoire, soixante-quinze centigrammes de scammonée.
Toute la classe ne fit qu'une bouchée de ces friandises traîtresses, mais c'est une heure après qu'il fallait voir les faces livides de mes petits camarades! Mon Dieu! ai-je ri!
Ah! ce jour-là, le niveau des études ne monta pas beaucoup dans notre classe!
Comme c'est loin, tout ça!
Et avec Tirouard, nous nous remémorions tous ces vieux temps disparus.
—Te rappelles-tu mon expérience de parachute?
Si je me rappelais son parachute!
Un jeudi, dans l'après-midi, Tirouard nous avait tous conviés à une expérience due à son ingéniosité.
Il avait attaché un panier au bec d'un vieux parapluie rouge, inséré un chat dans le panier, et lâché le tout au gré de la brise.
Le gré de la brise balançait l'appareil dans les airs pendant de longues heures. Toute la ville était sens dessus dessous.
La tante de Tirouard, qui adorait son chat et n'avait jamais rêvé pour lui une telle destinée, poussait des clameurs à fendre des pierres précieuses.
Finalement, l'appareil alla s'accrocher au coq du clocher, et il ne fallut pas moins d'un caporal de pompiers pour aller délivrer le minet aérien.
—Et maintenant, demandais-je à Tirouard, que fais-tu?
—Je ne fais rien, mon ami, je suis riche.
Et Tirouard voulut bien me conter son existence, une existence auprès de laquelle l'Odyssée du vieil Homère ne semblerait qu'un pâle récit de feu de cheminée.
Quelques traits saillants du récit de Tirouard donneront à ma clientèle une idée de l'originalité de mon ami.
Certaines entreprises malheureuses (entre autres la Poissonnerie continentale—laissée pour compte des grands poissonniers de Paris) déterminèrent Tirouard à s'expatrier.
Son commerce de pacotilles ne réussit guère mieux.
Jeune encore, d'une nature frivole et brouillonne, il ne regardait pas toujours si les marchandises qu'il importait s'adaptaient bien aux besoins des pays destinataires.
Il lui arriva, par exemple, d'importer des éventails japonais au Spitzberg et des bassinoires au Congo.
Dégoûté du commerce, il partit au Canada dans le but de faire de la haute banque. De mauvais jours luirent pour lui, et il se vit contraint, afin de gagner sa vie, d'embrasser la profession de scaphandrier.
Les scaphandriers étaient fortement exploités à cette époque. Tirouard les réunit en syndicat et organisa la grève générale des scaphandriers du Saint-Laurent.
Fait assez curieux dans l'histoire des grèves, ces braves travailleurs ne demandaient ni augmentation de salaire ni diminution de travail.
Tout ce qu'ils exigeaient, c'était le droit absolu de ne pas travailler par les temps de pluie.
Ajoutons qu'ils eurent vite gain de cause.
Tirouard s'occupa dès lors du dressage de toutes sortes de bêtes. Le succès couronna ses efforts.
Tirouard dressa la totalité des animaux de la création, depuis l'éléphant jusqu'au ciron.