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lui dit Thérèse, vous allez donc partir! Si j'en puis juger, vous seriez plus heureuse ici que vous ne le serez où l'on vous mène. Emilie ne répondit point.

      Rentrée chez elle, elle regarda de sa fenêtre et vit le jardin faiblement éclairé de la lune qui s'élevait au-dessus des figuiers. La beauté calme de la nuit augmenta le désir qu'elle avait de goûter une triste jouissance en faisant aussi ses adieux aux ombrages bien-aimés de son enfance. Elle fut tentée de descendre, et jetant sur elle le voile léger avec lequel elle se promenait, elle passa sans bruit dans le jardin. Elle gagna fort vite les bosquets éloignés, heureuse encore de respirer un air libre, et de soupirer sans que personne l'observât. Le profond repos de la nature, les riches parfums que le zéphyr répandait, la vaste étendue de l'horizon et de la voûte azurée ravissaient son âme et la portaient par degrés à cette hauteur sublime d'où les traces de ce monde s'évanouissent.

      Emilie porta ses yeux sur le platane et s'y reposa pour la dernière fois. C'était là que, peu d'heures avant, elle causait avec Valancourt. Elle se rappela l'aveu qu'il avait fait que souvent il errait la nuit autour de son habitation, qu'il en franchissait la barrière; et tout à coup elle pensa que, dans ce moment même il était peut-être au jardin. La crainte de le rencontrer, la crainte des censures de sa tante, l'engagèrent également à se retirer vers le château. Elle s'arrêtait souvent pour examiner les bosquets avant que de les traverser. Elle y passa sans voir personne; cependant, parvenue à un groupe d'amandiers plus près de la maison, et s'étant retournée pour voir encore le jardin, elle crut voir une personne sortir des plus sombres berceaux et prendre lentement une allée de tilleuls, alors éclairée par la lune. La distance, la lumière trop faible, ne lui permirent pas de s'assurer si c'était illusion ou réalité. Elle continua de regarder quelque temps, et l'instant d'après elle crut entendre marcher auprès d'elle. Elle rentra précipitamment; et revenue dans sa chambre, elle ouvrit sa fenêtre au moment où quelqu'un se glissait entre les amandiers, à l'endroit même qu'elle venait de quitter. Elle ferma la fenêtre, et quoique fort agitée, quelques moments de sommeil la rafraîchirent.

      CHAPITRE X

      Le carrosse qui devait conduire Emilie et madame Chéron jusqu'à Toulouse parut devant la porte de bonne heure. Madame Chéron était au déjeuner avant que sa nièce arrivât. Le repas fut silencieux et fort triste de la part d'Emilie. Madame Chéron, piquée de son abattement, le lui reprocha d'une manière qui n'était pas propre à le faire cesser. Ce ne fut pas sans beaucoup de difficultés qu'Emilie obtint d'emmener le chien que son père avait aimé. La tante, pressée de partir, fit avancer la voiture; Emilie la suivit. La vieille Thérèse se tenait à la porte pour prendre congé de la jeune dame. Dieu vous garde, mademoiselle, dit-elle. Emilie, lui prenant la main, ne put répondre qu'en la serrant tendrement.

      Valancourt, pendant ce temps, était retourné à Estuvière, le cœur tout rempli d'Emilie. Quelquefois il s'abandonnait aux rêveries d'un avenir heureux; plus souvent il cédait à ses inquiétudes et frémissait de l'opposition qu'il trouverait dans la famille d'Emilie. Il était le dernier enfant d'une ancienne famille de Gascogne. Ayant perdu ses parents presque au berceau, le soin de son éducation et celui de sa mince légitime avaient été confiés à son frère, le comte de Duverney, son aîné de vingt ans. Il avait une ardeur dans l'esprit, une grandeur dans l'âme qui le faisaient surtout exceller dans les exercices qu'on appelait alors héroïques. Sa fortune avait encore été diminuée par les dépenses de son éducation; mais M. de Valancourt l'aîné semblait penser que son génie et ses talents suppléeraient à la fortune. Ils offraient à Valancourt une assez brillante perspective dans l'état militaire, le seul, pour ainsi dire, qu'un gentilhomme pût suivre alors sans danger. Il entra donc au service.

      Il avait un congé de son régiment, quand il entreprit le voyage des Pyrénées: c'était là qu'il avait connu Saint-Aubert. Comme sa permission allait expirer, il en avait plus d'empressement à se déclarer aux parents d'Emilie; il craignait de les trouver contraires à ses vœux. Sa fortune, avec le supplément médiocre qu'aurait fourni celle d'Emilie, leur aurait suffi, mais ne pouvait satisfaire ni la vanité, ni l'ambition.

      Cependant les voyageuses avançaient: Emilie bien souvent, tâchait de paraître contente, et retombait dans le silence et dans l'accablement. Madame Chéron n'attribuait sa mélancolie qu'au regret de s'éloigner d'un amant; persuadée que le chagrin de sa nièce pour la perte de Saint-Aubert n'était qu'une affectation de sensibilité, madame Chéron s'efforçait de le tourner en ridicule.

      Enfin elles arrivèrent à Toulouse; Emilie n'y avait pas été depuis plusieurs années et n'en avait gardé qu'un très-faible souvenir. Elle fut surprise du faste de la maison et de celui des meubles: peut-être la modeste élégance dont elle avait l'habitude était la cause de son étonnement. Elle suivit madame Chéron à travers une vaste antichambre où paraissaient plusieurs valets vêtus de riches livrées; elle entra dans un beau salon, orné avec plus de magnificence que de goût, et sa tante ordonna qu'on servît le souper. Je suis bien aise de me retrouver dans mon château, dit-elle en se laissant aller sur un grand canapé: j'ai tout mon monde autour de moi. Je déteste les voyages; je devrais pourtant aimer à les faire, car tout ce que je vois me fait toujours trouver ma maison bien plus agréable. Eh bien! vous ne dites rien; qui vous rend donc muette, Emilie?

      Emilie retint une larme qui s'échappait et feignit de sourire. Madame Chéron s'étendit sur la splendeur de sa maison, sur les sociétés qu'elle recevait, enfin sur ce qu'elle attendait d'Emilie, dont la réserve et la timidité passaient aux yeux de sa tante pour de l'ignorance et de l'orgueil. Elle en prit occasion de le lui reprocher; elle n'entendait rien à guider un esprit qui se défie de ses propres forces; qui, possédant un discernement délicat, et s'imaginant que les autres ont plus de lumières, craint de se livrer à la critique, et cherche un abri dans l'obscurité du silence.

      Le service du souper interrompit le discours hautain de madame Chéron et les réflexions humiliantes pour sa nièce qu'elle y mêlait. Après le repas, madame Chéron se retira dans son appartement; une femme de chambre conduisit Emilie dans le sien. Elles montèrent un large escalier, arpentèrent plusieurs corridors, descendirent quelques marches et traversèrent un étroit passage dans une partie écartée du bâtiment; enfin la femme de chambre ouvrit la porte d'une petite chambre, et dit que c'était celle de mademoiselle Emilie. Emilie, seule encore une fois, laissa couler des pleurs qu'elle ne pouvait plus retenir.

      Ceux qui savent par expérience à quel point le cœur s'attache aux objets même inanimés quand il en a pris l'habitude, avec quelle peine il les quitte, avec quelle tendresse il les retrouve, avec quelle douce illusion il croit voir ses anciens amis, ceux-là seulement concevront l'abandon où se trouvait alors Emilie, brusquement enlevée du seul asile qu'elle eût connu depuis son enfance, jetée sur un théâtre et parmi des personnes qui lui déplaisaient encore plus par leur caractère que par leur nouveauté. Le bon chien de son père était avec elle dans sa chambre, il la caressait et lui léchait les mains pendant qu'elle pleurait. Pauvre animal, disait-elle, je n'ai plus que toi pour m'aimer!

      CHAPITRE XI

      La maison de madame Chéron était fort près de Toulouse, d'immenses jardins l'entouraient. Emilie, qui s'était levée de bonne heure, les parcourut, avant l'instant du déjeuner. D'une terrasse qui s'étendait jusqu'à l'extrémité de ces jardins, on découvrait tout le bas Languedoc.

      Un domestique vint l'avertir que le déjeuner était servi.

      Où avez-vous donc été courir si matin? dit madame Chéron lorsque sa nièce entra. Je n'approuve point ces promenades solitaires: je désire que vous ne sortiez point de si bonne heure sans qu'on vous accompagne, ajouta madame Chéron. Une jeune personne qui donnait à la vallée des rendez-vous au clair de la lune a besoin d'un peu de surveillance.

      Le sentiment de son innocence n'empêcha pas la rougeur d'Emilie. Elle tremblait et baissait les yeux avec confusion, tandis que madame Chéron lançait des regards hardis et rougissait elle-même; mais sa rougeur était celle de l'orgueil satisfait, celle d'une personne qui s'applaudit de sa pénétration.

      Emilie, ne doutant point que sa tante ne voulût parler de sa promenade nocturne en quittant la vallée, crut devoir

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