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l’arrivée de l’ennemi, qu’ils levèrent le siége, et se retirèrent au nord de la ville, non pour fuir, mais pour y attendre Dâher et lui livrer le combat. Il s’engagea en effet le lendemain avec plus de méthode que l’on n’en eût vu jusque-là. L’armée turke, s’étendant de la mer au pied des montagnes, se rangea par pelotons à peu près sur la même ligne. Les Oqqâls à pied étaient sur le rivage dans des haies de nopals et dans des fosses qu’ils avaient faites pour empêcher une sortie de la ville. Les cavaliers occupaient la plaine par groupes assez confus; vers le centre et un peu en avant, étaient huit canons de 12 et de 24, la seule artillerie dont on eût encore usé en rase campagne. Enfin, au pied des montagnes, et sur leur penchant, était la milice druze, armée de fusils, sans retranchemens et sans canons. Du côté de Dâher, les Motouâlis et les Safadiens se rangèrent sur le plus grand front possible, et tâchèrent d’occuper autant de plaine que les Turks. A l’aile droite que commandait Nâsif, étaient les Motouâlis et les 1,000 Barbaresques à pied, pour contenir les paysans druzes. L’aile gauche, sous la conduite d’Ali-Dâher, fut laissée sans appui contre les Oqqâls; mais on se reposait sur les frégates et sur les bateaux russes, qui avançaient parallèlement à l’armée en serrant le rivage. Au centre étaient les 800 Mamlouks, et derrière eux Ali-bek avec le vieux Dâher, qui animait encore les siens par son exemple et ses discours: L’affaire s’engagea par les frégates russes. A peine eurent-elles tiré quelques bordées sur les Oqqâls, qu’ils évacuèrent leur poste en déroute; alors les pelotons de cavaliers marchant à peu près de front, arrivèrent à la portée du canon des Turks. De ce moment, les Mamlouks, jaloux de justifier l’opinion qu’on avait de leur bravoure, se lancèrent bride abattue sur l’ennemi. Leur audace eut l’effet d’intimider les canonniers, qui, se voyant à pied entre deux lignes de chevaux, sans ouvrages et sans infanterie pour les soutenir, tirèrent précipitamment et s’enfuirent. Les Mamlouks, peu maltraités de cette volée, passèrent en un clin d’œil au milieu des canons, et fondirent tête baissée dans les pelotons ennemis. La résistance dura peu, le désordre se répandit de toutes parts; et dans ce désordre, chacun ne sachant ce qu’il avait à faire ni ce qui se passait autour de lui, fut par cette incertitude plus disposé à fuir qu’à combattre. Les pachas donnèrent l’exemple du premier parti, et dans un instant la fuite fut générale. Les Druzes, qui ne servaient la plupart qu’à regret dans la cause des Turks, profitèrent de cette déroute pour tourner le dos, et s’enfoncèrent dans leurs montagnes: en moins d’une heure la plaine fut nettoyée. Les alliés, satisfaits de leur victoire, ne s’engagèrent pas à la poursuite dans un terrain qui devient plus difficile à mesure que l’on marche vers Baîrout; mais les frégates russes, pour punir les Druzes, allèrent canonner cette ville, où elles firent une descente, et brûlèrent trois cents maisons. Ali-bek et Dâher, de retour à Acre, songèrent à tirer vengeance de la révolte et de la mauvaise foi des gens de Nâblous, et des habitants de Yâfa. Dès les premiers jours de juillet 1772, ils parurent devant cette ville. D’abord ils essayèrent les voies d’accommodement; mais la faction des Turks ayant rejeté toute proposition, il fallut employer la force. Ce siége ne fut, à proprement parler, qu’un blocus, et l’on ne doit pas se figurer qu’on y suivît les règles connues en Europe. Pour toute artillerie, l’on n’avait de part et d’autre que quelques gros canons mal montés, mal établis, encore plus mal servis. Les attaques ne se faisaient ni par tranchées, ni par mines; et il faut avouer que ces moyens n’étaient pas nécessaires contre un mur sans fossés, sans remparts et sans épaisseur. On fit d’assez bonne heure une brèche, mais les cavaliers de Dâher et d’Ali-bek mirent peu de zèle à la franchir, parce que les assiégés avaient embarrassé le terrain de l’intérieur, de pierres, de pieux et de trous. Toute l’attaque consistait en fusillades qui ne tuaient pas beaucoup de monde. Huit mois se passèrent ainsi, malgré l’impatience d’Ali-bek, qui était resté seul commandant du siége. Enfin, les assiégés se trouvant épuisés de fatigue, et manquant de provisions, se rendirent par composition. Au mois de février 1773, Ali-bek y plaça un gouverneur pour Dâher, qu’il se hâta d’aller joindre à Acre. Il le trouva occupé des préparatifs nécessaires pour le faire rentrer en Égypte, et il y joignit ses soins pour les accélérer. On n’attendait plus qu’un secours de six cents hommes qu’avaient promis les Russes, quand l’impatience d’Ali-bek le détermina à partir. Dâher employa toute sorte d’instances pour l’arrêter encore quelques jours, et donner aux Russes le temps d’arriver; mais voyant que rien ne pouvait suspendre sa résolution, il le fit accompagner par 1500 cavaliers, sous la conduite d’Otmân, l’un de ses fils. Peu de jours après (en avril 1773), les Russes amenèrent leur renfort, qui, quoique moindre qu’on ne l’avait espéré, causa un vif regret de ne pouvoir l’employer; mais ce regret fut surtout amer, lorsque Dâher vit son fils et ses cavaliers revenir en qualité de fuyards, lui annoncer leur désastre et celui d’Ali-bek. Il en fut d’autant plus affecté, qu’à la place d’un allié puissant par ses ressources, il acquérait un ennemi redoutable par sa haine et son activité. A son âge, cette perspective était affligeante; et il est sans doute honorable à son caractère de n’en avoir pas été plus abattu. Un événement heureux vint se joindre à sa fermeté pour le consoler ou le distraire. L’émir Yousef, contrarié par une faction puissante, avait été obligé d’invoquer le secours du pacha de Damas, pour se maintenir dans la possession de Bairout. Il y avait placé une créature des Turks, le ci-devant bek Ahmed-el-Djezzâr. A peine cet homme fut-il revêtu du commandement de la ville, qu’il résolut de s’en faire un nouveau moyen de fortune. Il commença par s’emparer de 50,000 piastres appartenantes au prince, et il déclara ouvertement ne reconnaître de maître que le sultan: l’émir, étonné de cette perfidie, demanda en vain justice au pacha de Damas. On désavoua Djezzâr sans lui faire restituer sa ville. Piqué de ce refus, l’émir consentit enfin à ce qui faisait le vœu général des Druzes, et il fit alliance avec Dâher. Le traité en fut conclu près de Sour. Le chaik, charmé d’acquérir des amis aussi puissants, vint sur-le-champ avec eux assiéger le rebelle. Les frégates russes, qui ne quittaient pas ces parages depuis quelque temps, se joignirent aux Druzes, et convinrent, pour une seconde somme de six cents bourses, de canonner Baîrout. Cette double attaque eut le succès que l’on pouvait désirer. Djezzâr, malgré la vigueur de sa résistance, fut obligé de capituler: il se rendit à Dâher seul, et il le suivit à Acre, d’où il s’évada peu après. La défection des Druzes ne découragea pas les Turks: la Porte, comptant sur les intrigues qu’elle tramait en Égypte, reprit l’espoir de venir à bout de tous ses ennemis: elle replaça Osman à Damas, et lui confia un pouvoir illimité sur toute la Syrie. Le premier usage qu’il en fit, fut de rassembler sous ses ordres six pachas; il les conduisit par la vallée de Beqaa, au village de Zahlé, dans l’intention de pénétrer au sein même des montagnes. La force de cette armée et la rapidité de sa marche, y répandirent en effet la consternation, et l’émir Yousef, toujours timide et irrésolu, se repentait déja d’avoir trop tôt passé du côté de Dâher; mais ce vieillard veillant à la sûreté de ses alliés, pourvut à leur défense. A peine les Turks étaient-ils campés depuis six jours au pied des montagnes, qu’ils apprirent qu’Ali, fils de Dâher, accourait pour les combattre. Il n’en fallut pas davantage pour les intimider. En vain leur observa-t-on qu’il n’avait pas cinq cents chevaux, et qu’ils en avaient plus de cinq mille; le nom d’Ali-Dâher en imposait tellement par l’idée de son courage indomptable, que dans une nuit toute cette armée prit la fuite, et laissa aux habitants de Zahlé son camp plein de dépouilles et de bagages.

      Après ce dernier triomphe, il semblait que Dâher dût respirer, et vaquer sans distraction aux préparatifs d’une défense qui chaque jour devenait plus pressante; mais la fortune avait décidé qu’il ne jouirait plus d’aucun repos jusqu’à la fin de sa carrière. Depuis plusieurs années des troubles domestiques se joignaient à ceux de l’extérieur; ce n’était même que par la distraction de ceux-ci qu’il parvenait à calmer ceux-là. Ses enfants, qui étaient déja des vieillards, s’ennuyaient d’attendre si long-temps son héritage. Outre cette disposition qu’ils avaient eue de tout temps à la révolte, il leur était survenu des griefs qui l’avaient rendue plus dangereuse

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