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son histoire personnelle, où le jour d'hier devient la matière du récit d'aujourd'hui et de la résolution de demain. Si, comme il est vrai, le bonheur dépend de ces résolutions, et si ces résolutions dépendent de l'exactitude des récits, c'est donc une affaire importante que la disposition d'esprit propre à les bien juger; et trois alternatives se présentent dans cette opération: tout croire, ne rien croire, ou croire avec poids et mesure. Entre ces trois partis, chacun choisit selon son goût, je devrais dire selon ses habitudes et son tempérament, car le tempérament gouverne la foule des hommes plus qu'ils ne s'en aperçoivent eux-mêmes. Quelques-uns, mais en très-petit nombre, arrivent à force d'abstraction à douter même du rapport de leurs sens; et tel fut, dit-on, Pyrrhon, dont la célébrité en ce genre d'erreur a servi à la désigner sous le nom de Pyrrhonisme. Mais si Pyrrhon, qui doutait de son existence au point de se voir submerger sans pâlir, et qui regardait la mort et la vie comme si égales et si équivoques, qu'il ne se tuait pas, disait-il, faute de pouvoir choisir; si, dis-je, Pyrrhon a reçu des Grecs le nom de philosophe, il reçoit des philosophes celui d'insensé, et des médecins celui de malade: la saine médecine apprend en effet que cette apathie et ce travers d'esprit sont le produit physique d'un genre nerveux obtus ou usé, soit par les excès d'une vie trop contemplative, dénuée de sensations, soit par les excès de toutes les passions, qui ne laissent que la cendre d'une sensibilité consumée.

      Si douter de tout est la maladie chronique, rare et seulement ridicule, des tempéraments et des esprits faibles; par inverse, ne douter de rien est une maladie beaucoup plus dangereuse en ce qu'elle est du genre des fièvres ardentes, propres aux tempéraments énergiques chez qui, acquérant par l'exemple une intensité contagieuse, elle finit par exciter les convulsions de l'enthousiasme et la frénésie du fanatisme. Telles sont les périodes du progrès de cette maladie de l'esprit, dérivant de la nature, et de celle du cœur humain, qu'une opinion ayant d'abord été admise par paresse, par négligence de l'examiner, l'on s'y attache, l'on s'en tient certain par habitude; on la défend par amour-propre, par opiniâtreté; et de l'a défense passant à l'attaque, bientôt l'on veut imposer sa croyance par cette estime de soi appelée orgueil, et par ce désir de domination qui, dans l'exercice du pouvoir, aperçoit le libre contentement de toutes ses passions. Il y a cette remarque singulière à faire sur le fanatisme et le pyrrhonisme, qu'étant l'un et l'autre deux termes extrêmes, diamétralement opposés, ils ont néanmoins une source commune, l'ignorance; avec cette seule différence que le pyrrhonisme est l'ignorance faible qui ne juge jamais; et que le fanatisme est l'ignorance robuste qui juge toujours, qui a tout jugé.

      Entre ces excès il est un terme moyen, celui d'asseoir son jugement lorsqu'on a pesé et examiné les raisons qui le déterminent; de le tenir en suspens tant qu'il n'y a pas de motif suffisant à le poser, et de mesurer son degré de croyance et de certitude sur les degrés de preuves et d'évidence, dont chaque fait est accompagné. Si c'est là ce qu'on nomme scepticisme, selon la valeur du mot qui signifie examiner, tâter autour d'un objet avec défiance, et si l'on me demande, comme l'a fait un de vous dans notre dernière conférence, si mon dessein est de vous conduire au scepticisme, je dirai d'abord qu'en vous présentant mes réflexions, je ne prêche pas une doctrine; mais que, si j'avais à en prêcher une, ce serait la doctrine du doute tel que je le peins, et je croirais servir en ce point, comme en tout autre, la cause réunie de la liberté et de la philosophie, puisque le caractère spécial de la philosophie est de laisser à chacun la faculté de juger selon la mesure de sa sensation et de sa conviction; je prêcherais le doute examinateur, parce que l'histoire entière m'a appris que la certitude est la doctrine de l'erreur ou du mensonge, et l'arme constante de la tyrannie. Le plus célèbre des imposteurs et le plus audacieux des tyrans, a commencé son livre par ces mots: Il n'y a point de doute dans ce livre: il conduit droit celui qui marche aveuglément, celui qui reçoit sans discussion ma parole qui sauve le simple et confond le savant8; par ce seul début l'homme est dépouillé du libre usage de sa volonté, de ses sens; il est dévoué à l'esclavage; mais en récompense, d'esclave qu'il se fait, le vrai croyant devient ministre du prophète, et recevant de Mahomet le sabre et le Qoran, il devient prophète à son tour, et dit: Il n'y a point de doute en ce livre; y croire, c'est-à-dire, penser comme moi, ou la mort: doctrine commode, il faut l'avouer, puisqu'elle dispense celui qui la prêche des peines de l'étude: elle a même cet avantage que, tandis que l'homme douleur calcule, examine, le croyant fanatique exécute et agit: le premier apercevant plusieurs routes à la fois, est obligé de s'arrêter pour examiner où elles le conduisent; le second ne voyant que celle qui est devant lui, n'hésite pas. Il la suit, semblable à ces animaux opiniâtres dont on circonscrit la vue par des cuirs cousus à leurs brides pour les empêcher de s'écarter à droite ou à gauche et surtout pour les empêcher de voir le fouet qui les morigène; mais malheur au conducteur s'ils viennent à se mutiner; car, dans leur fureur déja demi-aveugles, ils poussent toujours devant eux, et finissent par le jeter avec eux dans les précipices.

      Tel est, messieurs, le sort que prépare la certitude présomptueuse à l'ignorance crédule; par inverse, l'avantage qui résulte du doute circonspect et observateur est tel, que réservant toujours dans l'esprit une place pour de nouvelles preuves, il le tient sans cesse disposé à redresser un premier jugement, à en confesser l'erreur. De manière que si, comme il faut s'y attendre, soit dans cette matière, soit dans toute autre, je venais à en énoncer quelqu'une, les principes que je professe me laisseraient la ressource, ou me donneraient le courage de dire avec le philosophe ancien: Je suis homme, et rien de l'homme ne m'est étranger.

      La prochaine séance étant destinée à une conférence, je vous invite, messieurs, à rechercher et à rassembler les meilleures observations qui ont été faites sur le sujet que j'ai traité aujourd'hui: malheureusement éparses dans une foule de livres, elle y sont noyées de questions futiles ou paradoxales. Presque tous les auteurs qui ont traité de la certitude historique, en ont traité avec cette partialité de préjugés dont je vous ai parlé; et ils ont exagéré cette certitude, et son importance, parce que c'est sur elle que presque tous les systèmes religieux ont eu l'imprudence de fonder les questions de dogme, au lieu de les fonder sur des faits naturels, capables de procurer l'évidence; il serait à désirer que quelqu'un traitât de nouveau et méthodiquement ce sujet, il rendrait un véritable service non-seulement aux lettres, mais encore aux sciences morales et politiques.

      QUATRIÈME SÉANCE

      Résumé du sujet précédent.—Quelle utilité peut-on retirer de l'histoire?—Division de cette utilité en trois genres: 1º utilité des bons exemples, trop compensée par les mauvais; 2º transmission des objets d'arts et de sciences; 3º résultats politiques des effets des lois, et de la nature des gouvernements sur le sort des peuples....—L'histoire ne convient qu'à très-peu de personnes sous ce dernier rapport; elle ne convient à la jeunesse, et à la plupart des classes de la société, que sous le premier.—Les romans bien faits sont préférables.

      JUSQU'ICI nous nous sommes occupés de la certitude de l'histoire, et nos recherches, à cet égard, peuvent se résumer dans les propositions suivantes:

      1º Que les faits historiques, c'est-à-dire les faits racontés, ne nous parvenant que par l'intermède des sens d'autrui, ne peuvent avoir ce degré d'évidence, ni nous procurer cette conviction qui naissent du témoignage de nos propres sens.

      2º Que si, comme il est vrai, nos propres sens peuvent nous induire en erreur, et si leur témoignage a quelquefois besoin d'examen, il serait inconséquent et attentatoire à notre liberté, à notre propriété d'opinions, d'attribuer aux sensations d'autrui une autorité plus forte qu'aux nôtres.

      3º Que, par conséquent, les faits historiques ne peuvent jamais atteindre aux deux premiers degrés de notre certitude, qui sont la sensation physique, et le souvenir de cette sensation; qu'ils se placent seulement au troisième degré, qui est celui de l'analogie, ou comparaison des sensations d'autrui aux nôtres; et que là, leur certitude se distribue en diverses classes, décroissantes selon le plus ou le moins de vraisemblance des faits, selon le nombre et les facultés morales des témoins, et selon la distance qu'établit entre le fait

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<p>8</p>

Voyez le 1er chapitre du Qoran, verset 1er et suivants.