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avec deux circonstances politiques, sans lesquelles il aurait eu, selon les apparences, un tout autre développement. C'était, d'une part, la prépondérance soudaine de la maison d'Autriche, qui menaçait la liberté de l'Europe; de l'autre, le zèle actif de cette famille pour l'ancienne religion. La première de ces deux causes éveilla les princes; la seconde arma les peuples pour eux.

      L'abolition d'une juridiction étrangère dans leurs États, l'autorité suprême dans les affaires ecclésiastiques, une digue opposée à l'écoulement des deniers envoyés à Rome, enfin la riche dépouille des bénéfices ecclésiastiques, étaient des avantages propres à séduire également tous les souverains: pourquoi, demandera-t-on peut-être, firent-ils moins d'impression sur les princes de la maison d'Autriche? Qui empêcha cette maison, et surtout la branche allemande, de prêter l'oreille aux pressantes invitations d'un si grand nombre de ses sujets, et de s'enrichir, à l'exemple d'autres souverains, aux dépens d'un clergé sans défense? Il est difficile de se persuader que la croyance à l'infaillibilité de l'Église romaine ait eu plus de part à la pieuse fidélité de cette maison, que la croyance contraire n'en eut à l'apostasie des princes protestants. Plusieurs motifs concoururent à faire des princes autrichiens les soutiens de la papauté. L'Espagne et l'Italie, d'où l'Autriche tirait une grande partie de ses forces, avaient pour le siége de Rome cet aveugle dévouement qui distingua, en particulier, les Espagnols dès le temps de la domination des Goths. La moindre tendance vers les doctrines abhorrées de Luther et de Calvin aurait enlevé irrévocablement au monarque d'Espagne les cœurs de ses sujets; la rupture avec la papauté pouvait lui coûter son royaume: un roi d'Espagne devait être un prince orthodoxe ou descendre du trône. Ses États d'Italie lui imposaient la même contrainte: il devait peut-être les ménager plus encore que ses Espagnols, parce qu'ils supportaient avec une extrême impatience le joug étranger, et qu'ils pouvaient le secouer plus aisément. D'ailleurs, ces États lui donnaient la France pour rivale et le chef de l'Église pour voisin: motifs assez puissants pour le détourner d'un parti qui détruisait l'autorité du pape, et pour qu'il s'efforçât de gagner le pontife romain par le zèle le plus actif pour l'ancienne religion.

      A ces considérations générales, également importantes pour tout roi d'Espagne, s'ajoutèrent pour chacun d'eux en particulier des raisons particulières. Charles-Quint avait en Italie un dangereux rival dans le roi de France, qui aurait vu ce pays se jeter dans ses bras, à l'instant même où Charles se serait rendu suspect d'hérésie. Précisément pour les projets qu'il poursuivait avec le plus de chaleur, la défiance des catholiques et une querelle avec l'Église lui auraient créé les plus grands obstacles. Quand Charles-Quint eut à se prononcer entre les deux partis religieux, la nouvelle religion n'avait pu encore se rendre respectable à ses yeux, et d'ailleurs on pouvait, selon toutes les vraisemblances, espérer encore un accommodement à l'amiable entre les deux Églises. Chez Philippe II, son fils et son successeur, une éducation monacale s'unissait à un caractère despotique et sombre pour entretenir dans son cœur, contre toute innovation en matière de foi, une haine implacable, qui ne pouvait guère être diminuée par la circonstance que ses adversaires politiques les plus acharnés étaient en même temps les ennemis de sa religion. Comme ses possessions européennes, dispersées parmi tant d'États étrangers, se trouvaient de toutes parts ouvertes à l'influence des opinions étrangères, il ne pouvait contempler avec indifférence les progrès de la réformation en d'autres pays, et son intérêt politique immédiat le poussait à prendre en main la cause de l'ancienne Église en général, pour fermer les sources de la contagion hérétique. La marche naturelle des choses plaça donc ce monarque à la tête de la religion catholique et de l'alliance que ses adhérents formèrent contre les novateurs. Ce qui fut observé sous les longs règnes, remplis d'événements, de Charles-Quint et de son fils, devint une loi pour leurs successeurs, et plus le schisme s'étendit dans l'Église, plus l'Espagne dut s'attacher fermement au catholicisme.

      La branche allemande de la maison d'Autriche semble avoir été plus libre; mais, si plusieurs de ces obstacles n'existaient pas pour elle, d'autres considérations l'enchaînaient. La possession de la couronne impériale, qu'on ne pouvait même pas se figurer sur une tête protestante (car comment un apostat de l'Église romaine aurait-il pu ceindre le diadème du saint empire romain?), attachait les successeurs de Ferdinand Ier au siége pontifical; Ferdinand lui-même lui fut dévoué sincèrement par des motifs de conscience. D'ailleurs, les princes autrichiens de la branche allemande n'étaient pas assez puissants pour se passer de l'appui de l'Espagne, et c'était y renoncer absolument que de favoriser la nouvelle religion. Leur dignité impériale les obligeait aussi à défendre la constitution germanique, par laquelle ils se maintenaient dans ce rang suprême, et que les membres protestants de l'Empire s'efforçaient de renverser. Si l'on considère encore la froideur des protestants dans les embarras des empereurs et dans les dangers communs de l'Empire, leurs violentes usurpations sur le temporel de l'Église, et leurs hostilités partout où ils se sentaient les plus forts, on comprendra que tant de motifs réunis devaient retenir les empereurs dans le parti de Rome et que leur intérêt particulier devait se confondre parfaitement avec celui de la religion catholique. Comme le sort de cette religion dépendit peut-être entièrement de la résolution que prirent les princes autrichiens, on dut les considérer, dans toute l'Europe, comme les colonnes de la papauté. La haine qu'elle inspirait aux protestants se tourna donc aussi unanimement contre l'Autriche, et confondit peu à peu le protecteur avec la cause qu'il protégeait.

      Cependant cette même maison d'Autriche, irréconciliable ennemie de la réforme, menaçait sérieusement par ses projets ambitieux, soutenus de forces prépondérantes, la liberté politique des États européens et surtout des membres de l'Empire. Ce danger tira nécessairement ces derniers de leur sécurité, et ils durent songer à leur propre défense. Leurs ressources habituelles n'auraient jamais suffi pour résister à un pouvoir aussi menaçant: ils durent donc demander à leurs sujets des efforts extraordinaires, et, les trouvant encore très-insuffisants, ils empruntèrent des forces à leurs voisins et cherchèrent, par des alliances entre eux, à contre-balancer une puissance trop forte pour chacun d'eux en particulier.

      Mais les grandes raisons politiques qui engageaient les souverains à s'opposer aux progrès de l'Autriche n'existaient pas pour leurs sujets. Les avantages et les souffrances du moment peuvent seuls ébranler les peuples, et une sage politique ne doit jamais attendre ces mobiles-là. Ces princes eussent donc été fort à plaindre, si la fortune ne leur eût offert un autre mobile très-puissant qui passionna les peuples et excita chez eux un enthousiasme qu'on put opposer au danger politique, parce qu'il se rencontrait dans un même objet avec ce danger. Ce mobile était la haine déclarée d'une religion que protégeait la maison d'Autriche; c'était le dévouement enthousiaste à une doctrine que cette maison s'efforçait de détruire par le fer et par le feu. Ce dévouement était ardent, cette haine implacable. Le fanatisme religieux craint les dangers lointains; l'enthousiasme ne calcule jamais ce qu'il sacrifie. Ce que le plus pressant péril politique n'aurait pu obtenir des citoyens, l'ardeur d'un zèle pieux le leur fit faire. Peu de volontaires eussent armé leurs bras pour l'État, pour l'intérêt du prince; mais pour la religion, le marchand, l'artisan, le cultivateur saisirent avec joie les armes. Pour l'État ou pour le souverain, on eût tâché de se dérober au plus léger impôt extraordinaire: pour la religion, on risqua son bien et son sang, toutes ses espérances temporelles. Des sommes trois fois plus fortes affluent maintenant dans le trésor du prince; des armées trois fois plus nombreuses entrent en campagne; et l'imminence du danger de la foi imprime à toutes les âmes un élan si prodigieux, que les sujets ne sentent point des efforts qui, dans une situation d'esprit plus calme, les auraient épuisés et accablés. La peur de l'inquisition espagnole ou des massacres de la Saint-Barthélemy fait trouver, chez leurs peuples, au prince d'Orange, à l'amiral Coligny, à la reine d'Angleterre, Élisabeth, et aux princes protestants de l'Allemagne, des ressources encore inexplicables aujourd'hui.

      Cependant, des efforts particuliers, quelque grands qu'ils fussent, auraient produit peu d'effet contre une force qui était supérieure même à celle du plus puissant monarque, s'il se présentait isolé; mais, dans ces temps d'une politique encore peu avancée, il n'y avait que des circonstances accidentelles qui pussent résoudre des États éloignés à s'entre-secourir. La différence de constitutions, de lois, de langage, de caractère national, qui faisait

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